Philippe le Hardi (1363-1404) : fondateur de l’État bourguignon (1/6), par Philippe Contamine
Entre le milieu de XIVe et la fin du XVe siècle, les quatre ducs de Bourgogne de la Maison de Valois, Philippe le Hardi (1363-1404), Jean sans Peur (1404-1419), Philippe le Bon (1419-1467) et Charles le Téméraire (1467-1477) rassemblent sous leur autorité un vaste territoire et forgent un État original, qui paraîtra, au mitan du XVe siècle, mettre en péril le royaume de France. Philippe le Hardi, prince du sang des lys, duc de Bourgogne depuis 1364, comte de Flandre en 1384, construit l’État burgundo-flamand, gouverne la France pour le roi fou et impose sa politique à l’Europe. Philippe Contamine, membre de l’Institut, et Bertrand Schnerb, évoquent cet homme d’État fastueux, fondateur de la « puissance bourguignonne ». Trois autres portraits seront proposés dans d’autres émissions.
Philippe Contamine est membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, historien médiéviste, professeur émérite à l'université Paris-Sorbonne, ses travaux portent sur la guerre, l'État, la noblesse, l'économie et la vie privée entre le XIIIe et le XVe siècle.
Bertrand Schnerb, spécialiste de la société et des institutions bourguignonnes des XIV° et XV° siècles et professeur d'histoire médiévale à l'Université de Lille III est l'auteur, entre autres, de l'État bourguignon: 1363-1477, publié chez Perrin en 1999, et réédité chez Perrin dans la Collection Tempus en 2005.
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Philippe de France, nouveau duc de Bourgogne
Philippe de France gagne son surnom de « Hardi » à la bataille de Poitiers (1356), au côté du roi son père, Jean II le Bon -dont il partage, ensuite, la captivité en Angleterre de 1356 à 1360.
Les services rendus par le jeune Philippe tant dans la bataille de Poitiers que durant la captivité sont explicitement invoqués comme l'une des raisons qui poussent le roi Jean à récompenser son fils en lui concédant le duché de Bourgogne. Il existe aussi, en fait, des motifs plus politiques : il s'agit d'agrandir le prestige, l'influence, la puissance de la Maison de France.
En 1364 Jean II le Bon meurt, Charles V continue, alors, à favoriser l'élévation de la dignité de son jeune frère duc de Bourgogne. Il lui accorde le titre de Doyen des Pairs de France.
Un prince des fleurs de lys fidèle à la couronne de France
C'est donc grâce à Jean le Bon et Charles V que s'est constituée la puissance bourguignonne. Dans l'esprit de ces deux rois, il ne s'agissait pas de créer sur le flanc du royaume de France une principauté rivale. Les circonstances sont très largement responsables de cette déviation par rapport à la pensée initiale. Et il faut attendre le principat de Philippe le Bon et surtout celui de Charles le Téméraire pour présenter l'État bourguignon comme un concurrent – voire un « ennemi », en ce qui concerne le Téméraire- de la puissance française.
Mais, revenons à Philippe le Hardi. Jusqu'à la mort de Charles V (1380), il n'est qu'un exécutant sous l'autorité du roi de France. Parfaitement encadré et fin politique, c'est un acteur fidèle et efficace de la diplomatie de son frère face aux Anglais.
C'est aussi en tant qu'artisan de la politique royale qu'en 1369,il épousera Marguerite de Male, l'unique héritière de Louis de Male, comte de Flandre ; Charles V écarte, ainsi, un projet matrimonial entre Marguerite de Flandre et un prince anglais – mariage assurément dangereux pour la politique française.
Le « Gouvernement des Oncles »
En 1380, le nouveau roi, Charles VI, n'a que 12 ans. Les ducs Jean de Berry, Louis d'Anjou (mort en 1384) et Philippe de Bourgogne, oncles du jeune roi, ont le pouvoir jusqu'à la majorité du souverain en 1388. Mais, en 1392, la première crise de démence de Charles VI rappelle Berry et Bourgogne sur le devant de la scène politique française.
Une rivalité s'installe sourdement entre Louis d'Orléans, frère de Charles VI, et le duc de Bourgogne. Elle éclatera dramatiquement au grand jour avec Jean sans Peur, successeur de Philippe le Hardi.
Héritage flamand et expansion territoriale : un État bourguignon bipolaire
En 1384, après la mort de son beau-père, Philippe entre en possession d'un ensemble territorial considérable comprenant le comté de Flandre et la seigneurie de Malines, le comté de Nevers et la baronnie de Donzy, le comté de Rethel, le comté de Bourgogne (future Franche-Comté) et la seigneurie de Salins et, enfin, le comté d'Artois et quelques « Terres de Champagne ». Le duc de Bourgogne est de loin le plus riche des princes des lys. En 1390, il achète le comté de Charolais.
Une nouvelle puissance politique est en marche grâce au génie politique de Philippe qui s'attache à organiser politiquement et administrativement ses territoires si éparpillés et si divers. Aux problèmes de communications, de délégation de pouvoirs, s'ajoutent ceux liés aux nombreuses différences entre les principautés : particularismes juridiques, coutumes, monnaies, langues, mentalités, commerce, diplomatie, etc.
Le jeu diplomatique de Philippe le Hardi est subtil à toutes les échelles : ducale, comtale, nationale et européenne.
Les pays « de par-delà », bourguignons, et ceux « de par-deçà », flamands
Philippe Contamine et Bertrand Schnerb précisent tous deux : «l'héritage flamand est compliqué.
Quand le duc de Bourgogne prend possession de la Flandre, c'est dans un contexte de révolte contre le pouvoir comtal. Philippe réussit à surmonter la crise en s'adaptant à la culture de négociations, de dialogues, traditionnelle dans les villes flamandes. Ce n'est pas évident pour lui, du fait de sa formation, mais il s'adapte très bien.
Gouverner les principautés bourguignonnes et flamandes est, en effet, en soi, une opération extrêmement difficile mais quand on souhaite, également, avoir un droit de regard prioritaire à Paris, cela devient du grand art. Ce fut la grande réussite de Philippe le Hardi.
Un comte de Flandre n'a pas, à l'égard des Anglais, la même politique qu'un duc de Bourgogne, « fils du roi de France » -pour qui l'Anglais, c'est l'ennemi.
Philippe le Hardi, comte de Flandre, doit tenir compte des intérêts économiques de la Flandre, des relations très anciennes entre les villes
drapières flamandes et l'Angleterre productrice de laine. Desaccommodements diplomatiques sont nécessaires avec la puissance anglaise.
drapières
Il s'agit, aussi, pour le prince de mener une politique d'intégration de ses diverses principautés à un ensemble plus vaste : « l'État bourguignon». Une puissance certes vassale du roi de France mais qui se caractérise par ses institutions propres, ses fonctionnaires, ses revenus bien en ordre, son mécénat et l'immense prestige de son prince »».
Réformes institutionnelles pour la Flandre, l'Artois et les deux Bourgogne
Ces institutions mises en place ne sont pas nouvelles mais profondément réformées : Chambre des Comptes et Chambre du Conseil à Lille pour Flandre et Artois ; Chambre des Comptes et Chambre du Conseil à Dijon pour le duché et la comté de Bourgogne.
La création d'institutions supérieures pour tout l'État, dans son ensemble, renforce la souveraineté du prince dans ses pays « de par-delà », et « de par-deçà ».
L'innovation la plus importante consiste en la création d'un office de chancelier. Ce deuxième personnage de l'État est la cheville ouvrière du gouvernement bourguignon ; il participe hautement à
l'éclosion de l'« esprit » bourguignon de Charolles à la mer du Nord.
Un prince de Valois, dans toute sa splendeur
Le goût du faste, le sens artistique de Philippe le Hardi, contribue à sa propre renommée et à celle de son État.
Il prépare et annonce l'étonnant épanouissement de l'art burgondo-flamand et la théâtralisation politique du XVe siècle bourguignon : le Siècle de la Toison d'Or.
La mort de ce prince vénérable suscite, dans la littérature du temps, des échos nombreux.
Christine de Pisan la première montre Philippe, calme, noble, conscient de ses devoirs. Dans son Livre des faits du sage roi Charles V, elle glorifie le caractère exemplaire du duc défunt.
La disparition de cet homme d'expérience dont l'autorité était respectée, apportera bien du changement à la cour de France.
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