Les académiciens racontent l’Histoire : Louis XIV (2/2)
Les Académiciens racontent l’histoire de Louis XIV : second volet de cette évocation du Roi-Soleil avec les mots et sous la plume talentueuse du très combatif Voltaire puis de l’historien Ernest Lavisse, tous deux membres de l’Académie française. Si le premier rappelle les terribles méfaits de la Révocation de l’Edit de Nantes, le second évoque plutôt le développement du commerce, des comptoirs et des grandes Compagnies.
François-Marie Arouet dit Voltaire nait en 1694 à Paris d’un père, notaire.
Il a 21 ans à la mort du Grand Roi, Louis XIV. Esprit brillant et frondeur, cet écrivain et philosophe a marqué profondément le XVIIIe siècle.
Symbole des Lumières, chef de file du parti philosophique, son nom reste attaché à son combat pour le progrès et la tolérance, et contre le fanatisme religieux. Il est cependant déiste et son idéal reste celui d’une monarchie modérée et libérale, « éclairée » par les philosophes. Il agit d'ailleurs auprès des élites éclairées de l’Europe des Lumières en se servant de son immense notoriété et prend, seul, la défense des victimes de l’intolérance religieuse et de l’arbitraire dans des affaires qu’il a rendues célèbres (Calas, Sirven). Il a été élu à l'Académie française en 1746.
C’est en 1751, alors qu’il séjourne à Berlin que Voltaire fait publier Le Siècle de Louis XIV, résultat d’un immense labeur de documentation. Ce livre reste aujourd’hui encore, important pour l’étude du XVIIe siècle. Voltaire y glorifie le règne de Louis XIV, monarque « le plus éclairé qui fut jamais ». Et cependant, vous allez l'entendre dans cette émission, il ne se montre pas tendre envers le monarque qui a révoqué l'Edit de Nantes...
Pour compléter le portrait de ce roi ébauché au cours d’une première émission, nous avons choisi des extraits des derniers chapitres du Siècle de Louis XIV. Ils traitent des questions religieuses après la révocation de l'Edit de Nantes. Sans renier son admiration pour Louis XIV, Voltaire dénonce les faiblesses du règne : l’absence de Lumières.
Voici donc des extraits du Siècle de Louis XIV - Tome 3, chapitre 36,
« Du calvinisme au temps de Louis XIV », écrit par Voltaire
« … On ne songeait pas que les huguenots n’étaient plus ceux de Jarnac, de Moncontour et de Coutras ; que la rage des guerres civiles était éteinte ; que cette longue maladie était dégénérée en langueur ; que tout n’a qu’un temps chez les hommes ; que si les pères avaient été rebelles sous Louis XIII, les enfants étaient soumis sous Louis XIV…
Louis XIV, qui, en se saisissant de Strasbourg, en 1681, y protégeait le luthéranisme, pouvait tolérer dans ses États le calvinisme, que le temps aurait pu abolir, comme il diminue un peu, chaque jour, le nombre des luthériens en Alsace.
Pouvait-on imaginer qu’en forçant un grand nombre de sujets, on n’en perdrait pas un plus grand nombre, qui, malgré les édits et malgré les gardes, échapperait par la fuite à une violence regardée comme une horrible persécution ?
Pourquoi, enfin, vouloir faire haïr à plus d’un million d’hommes un nom cher et précieux, auquel, et protestants et catholiques, et Français et étrangers, avaient alors joint celui de grand ?
La politique même semblait pouvoir engager à conserver les calvinistes, pour les opposer aux prétentions continuelles de la cour de Rome. C’était en ce temps-là même que le roi avait ouvertement rompu avec Innocent XI, ennemi de la France. Mais Louis XIV, conciliant les intérêts de sa religion et ceux de sa grandeur, voulut à la fois humilier le pape d’une main, et écraser le calvinisme de l’autre.
Il envisageait, dans ces deux entreprises, cet éclat de gloire dont il était idolâtre en toutes choses…
Les troupes furent envoyées dans toutes les villes et dans tous les châteaux où il y avait le plus de protestants ; et comme les dragons, assez mal disciplinés dans ce temps-là, furent ceux qui commirent le plus d’excès, on appela cette exécution la dragonnade.
Les frontières étaient aussi soigneusement gardées qu’on le pouvait, pour prévenir la fuite de ceux qu’on voulait réunir à l’Église. C’était une espèce de chasse qu’on faisait dans une grande enceinte.
Un évêque, un intendant, ou un subdélégué, ou un curé, ou quelqu’un d’autorisé, marchait à la tête des soldats.
On assemblait les principales familles calvinistes, surtout celles qu’on croyait les plus faciles. Elles renonçaient à leur religion au nom des autres, et les obstinés étaient livrés aux soldats, qui eurent toute licence, excepté celle de tuer.
Il y eut pourtant plusieurs personnes si cruellement maltraitées qu’elles en moururent. Les enfants des réfugiés, dans les pays étrangers, jettent encore des cris sur cette persécution de leurs pères.
Ils la comparent aux plus violentes que souffrit l’Église dans les premiers temps.
C’était un étrange contraste que du sein d’une cour voluptueuse, où régnaient la douceur des mœurs, les grâces, les charmes de la société, il partît des ordres si durs et si impitoyables…
Il est affreux sans doute que l’Eglise chrétienne ait toujours été déchirée par ces querelles, et que le sang ait coulé pendant tant de siècles par des mains qui portaient le Dieu de la paix. »
Nous vous proposons également au cours de cette seconde émission consacrée au Roi soleil, un panorama de l’activité commerciale et de la présence française en Inde, en Chine et Amérique, sous le règne de Louis XIV et de son ministre Colbert, cette fois sous la plume de l’historien Académicien Ernest Lavisse.
Ernest Lavisse naît le 17 décembre 1842, au Nouvion-en-Thiérache dans l’Aisne, à quelques kilomètres de la Belgique. Il meurt à Paris le 18 Août 1922. Cet historien français fut élu à l’Académie française le 2 juin 1892.
Fils d’un modeste boutiquier, Lavisse, boursier, intègre l’Ecole normale supérieure et obtient son agrégation d’histoire en 1865. Il devient en 1868 précepteur du prince impérial sur recommandation du ministre Victor Duruy académicien et historien.
Dans cette émission « Les Académiciens racontent l’Histoire » écoutez les propos d’Ernest Lavisse décrivant la Compagnie des Indes Orientales et l’aventure de François Martin ; la Compagnie de Chine et
l’activité commerciale des Français dans la mer du Sud ; ainsi que les possessions françaises en Amérique du Nord et le commerce établi alors avec l’Acadie, la baie d’Hudson, la Louisiane… extraits de son ouvrage : Histoire de France depuis les origines jusqu'à la Révolution
- Tome VIII - Chapitre IV - Le grand commerce et les Colonies,
chapitre V. — Le commerce des Indes, de la Chine et de la Mer du Sud, Chapitre IV - VI. — Le commerce avec l’Amérique
La Baie D’Hudson et la Louisiane
De la vallée du Saint-Laurent et de la région des lacs partent vers le Nord coureurs de bois et marchands en quête de pelleteries, et ainsi est rattaché le territoire de la baie d’Hudson. Vers le Sud-Ouest le Canada prend dès 1682 une extension extraordinaire, grâce à l’indomptable courage d’un des plus grands explorateurs qu’ait vus l’Amérique, Cavelier de la Salle.
Négociant de Rouen, agent d’une société d’actionnaires, La Salle, comme ses ancêtres les Normands découvreurs des côtes occidentales d’Afrique, se lance dans l’inconnu. En 1680, il s’établit au pays des Illinois et y construit un fort ; mais il ne peut s’engager sur le fleuve que deux ans après ; ses créanciers l’ont obligé deux fois à quitter son fort Crèvecœur pour descendre jusqu’à Montréal. Il part enfin, au commencement de 1682, avec quelques compagnons. Ils descendent sur des barques le Mississipi, et , le 9 avril 1682, ils arrivent aux bouches du fleuve. « Là, dit La Salle, on équarrit un arbre dont on fit un poteau qu‘on planta, et on y attacha les armes du Roi, faites du cuivre d’une chaudière. On planta aussi une croix, et on enterra dessous une plaque de plomb où il y avait ces mots écrits : « Au nom de Louis XIV, roi de France et de Navarre, le 9 avril 1682.... »
L’histoire du commerce extérieur de la France se trouve presque toute dans les vicissitudes des Compagnies privilégiées. Colbert avait vu disparaître l’une après l’autre ses Compagnies. Ses successeurs subirent les mêmes échecs. A cet insuccès persistant il faut assigner les mêmes causes. D’abord, l’individualisme des commerçants : chacun veut faire soi-même ses affaires et se défie des grandes entreprises qui monopolisent le commerce. Ensuite la disette d’argent : non qu’il n’y ait de riches négociants, mais ce sont des exceptions. Les petites fortunes sont peu à peu absorbées par les impôts ou par les créations continuelles de rentes et d’offices. Le bourgeois veut bien acheter une charge qui lui donnera des gages et de la considération ; mais ses habitudes d’économie et de prudence l’écartent des placements risqués dans des affaires lointaines.
Aussi les Compagnies manquent-elles de capitaux ; les fonds versés sont tout à fait insuffisants pour l’exploitation du vaste domaine qui leur a été concédé. Ce ne sont pas des affaires nationales - les privilégiés, presque tous les bourgeois portent leur attention ailleurs - mais seulement celles de quelques marchands et banquiers.
Cependant, - et ceci est remarquable, - malgré les guerres et la fiscalité qui entravent le trafic avec le Nord, le Levant et les colonies, l’horizon du commerce français s’élargit ; il embrasse désormais la Moscovie, l’Éthiopie, la Perse, l’océan Pacifique. Le Ponant se réveille. Dans les ports et les grandes places de commerce, à Nantes, à Saint-Malo, à Marseille, à Lyon, l’initiative des armateurs et des négociants se déploie, au milieu des entraves de la politique commerciale.
Même pendant la guerre, les espérances d’un relèvement se manifestent. L’activité française dans l’océan Pacifique en est un symptôme évident. Après la paix rétablie, en 1716, les exportations dépassèrent les importations de 36 millions.
C’était le présage d’une période de prospérité. "