Isabelle Arnulf, neurologue : "les gestes violents pendant le sommeil paradoxal peuvent être les signes avant coureurs de Parkinson"
Isabelle Arnulf, chercheur neurologue à la Pitié Salpêtrière à Paris, a fait des troubles comportementaux pendant le sommeil (somnambulisme, terreurs nocturnes et gestes violents en sommeil paradoxal) son cheval de bataille. Loin d’être anodins, ces troubles peuvent révéler dans certains cas les prémices d’une neurodégénérescence, parfois 10 ans avant le déclenchement effectif de la maladie. Une découverte qui ouvre un pan nouveau de la recherche médicale, pour traiter encore plus en amont ces maladies et travailler sur leurs facteurs déclencheurs. Co-lauréate du prix 2012 de la fondation NRJ avec le professeur Medhi Tefti, elle nous présente ses travaux au cours de cette émission.
Au cours de ses études, Isabelle Arnulf a croisé sur son chemin deux académiciens des sciences : le professeur Michel Jouvet, spécialiste de l’étude des rêves et le philosophe des sciences Claude Debru, qui s’est intéressé à la neurophilosophie et à la temporalité du rêve.
Puis très rapidement, notre invitée s’est penchée sur les comportements anormaux pendant le sommeil pour mieux comprendre le fonctionnement de notre cerveau.
Reprécisons de suite que l’on divise schématiquement le sommeil en deux temps :
- Le sommeil paradoxal : un terme inventé par Michel Jouvet lui-même après l’avoir mis en évidence : le cerveau est en effet très actif pendant cette phase de sommeil alors que paradoxalement, on observe un relâchement total du corps, une inhibition motrice.
- Le sommeil lent, qui regroupe le sommeil léger et le sommeil profond et qui occupe la majorité du temps de sommeil
Un cycle de sommeil débute par un sommeil léger, puis profond, le tout pendant 1h30 environ, avant de basculer pendant 10 minutes en sommeil paradoxal. Ces cycles de sommeil se répètent dans une nuit entre 3 et 4 fois. « Les phases de sommeil paradoxal sont assez courtes en début de nuit et plus longues en fin de nuit. Les problèmes liés au sommeil paradoxal s’observeront donc pendant la dernière partie de la nuit et à l’inverse, ceux liés au sommeil profond se verront pendant la première partie de la nuit » explique Isabelle Arnulf.
On distingue donc les troubles comportementaux en sommeil profond de ceux du sommeil paradoxal.
Les troubles comportementaux en sommeil profond
Les troubles comportementaux du sommeil profond sont connus de tous : il s’agit de somnambulisme, de terreurs nocturnes ou encore d’éveils confusionnels. « Ici, nos patients sont à demi endormis, à demi éveillés, un état chimère où ils poursuivent leur rêve tout en étant capables de se lever, d’ouvrir les portes et de voir un certain nombre d’obstacles. C’est typique du somnambulisme.
Dans la variante des terreurs nocturnes, ils sont confrontés à des peurs intenses en début de nuit, avec la volonté d’échapper à un danger éminent (on les enterre vivant, le plafond s’écroule...) auxquels des gestes sont associés. On observe également des mimiques, des accélérations cardiaques ».
Dans le cas de la narcolepsie, il s’agit cette fois d’un trouble de l’éveil ; la personne touchée s’endort brutalement dans la journée et directement dans le sommeil paradoxal où les rêves sont intenses. Ce sont des états que les narcoleptiques atteignent dans un état de demi-éveil qui donne l’impression d’avoir des hallucinations.
On observe le plus souvent que les troubles comportementaux du sommeil profond touchent des sujets jeunes. « Près de 17% des enfants sont somnambules, et ils sont 4% à le rester à l’âge adulte » rappelle Isabelle Arnulf. Quant à la narcolepsie, « cette maladie du sujet jeune va persister à l’âge adulte ».
Les troubles du sommeil paradoxal
Mais il existe également des troubles comportementaux du sommeil paradoxal, deuxième axe de recherche de l’équipe d’Isabelle Arnulf.
Comment expliquer qu’il existe des troubles comportementaux pendant cette phase de sommeil si notre corps est musculairement très relâché ?
Parce que « c’est en fait une paralysie active » répond la neurologue. Michel Jouvet avait en effet démontré dans les années 1960 qu’il existait un « verrou » qui inhibait les gestes potentiels du rêveur. « Il avait montré que lorsque l’on faisait sauter le verrou chez les chats, ils vivaient leurs rêves en miaulant, en effectuant leur toilette... Il a fallu plus de 30 ans pour qu’on découvre la même chose chez l’homme, dont le verrou peut être touché par une maladie, provoquant des troubles du comportement en phase de sommeil paradoxal ».
Et chez l’homme cela se traduit non pas par une toilette... mais par des violences en sommeil paradoxal : coups de poing, jurons, exclamations... « Certains patients donnent des conférences fictives, d’autres mangent une soupe sans soupe ou fument une cigarette qui n’existe pas. » Si cela prête à sourire, ces comportements peuvent cependant être dangereux pour le rêveur et la personne qui dort à côté... « Nous avons eu le cas d’une patiente qui rêvait qu’elle cueillait des pommes, et elle a cueilli la tête de son mari ! »
Cette fois, ce sont des troubles qui touchent un public plus âgé (à partir de 50 ans) et essentiellement masculin. Et « dans 80% des cas, ces troubles comportementaux dans le sommeil paradoxal sont les prémices d’une maladie de Parkinson » affirme Isabelle Arnulf.
« Cela a été démontré par différentes équipes dans le monde. Cette perte du verrou est la première étape du processus de perte de neurones cérébraux : c’est le signe qu’une neurodégénérescence commence ». C’est aussi le moment de prévenir les cas de Parkinson qui peuvent être identifiés 10 ans avant le déclenchement effectif de la maladie.
« Cela nous permet de travailler sur les produits potentiels qui peuvent abîmer les cellules. Il peut s’agir d’un mauvais gène, auquel cas cela sera très difficile à traiter. En revanche, s’il s’agit d’un produit environnemental, lesquels sont actuellement soupçonnés comme des pesticides, l’usage de la soudure, ou encore le corossol fruit très consommé dans les Antilles, nous pourrons agir en amont ».
Les travaux d’Isabelle Arnulf et de son équipe sont aujourd’hui récompensés conjointement avec ceux du professeur Medhi Tafti à Lausanne par le prix 2012 de la fondation NRJ. Un prix qui va lui permettre de mettre en œuvre plusieurs projets : dont la poursuite d’une étude de cohorte sur une cinquantaine de patients, l’investissement dans l’achat de caméras centrées sur le visage pendant la nuit, pour observer les émotions qui transparaissent pendant le sommeil et comment elles sont gérées. « Nous allons aussi travailler sur la fonction consolidatrice du sommeil. Car actuellement, nous ne savons pas si c’est le repos qui permet de mieux retenir des informations ou si une partie du cerveau travaille pendant cette période ».
Isabelle Arnulf est neurologue, chercheur à l'INSERM, unité 975 à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière, et dirige l'unité des pathologies du sommeil à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Le professeur Tafti, colauréat du Prix de la Fondation NRJ2012 avec Isabelle Arnulf est professeur à l’Université de Lausanne et codirecteur du Centre de recherches et d’investigation sur le sommeil, il étudie les causes neurobiologiques de la narcolepsie.
En savoir plus :
- Prix de la Fondation NRJ