Souvenirs de famille : André Chamson, de l’Académie française
« Je suis de ce pays autant qu’on peut l’être... Je tiens à cette terre par les cimetières et les sillons » : André Chamson, si fortement ancré dans ses Cévennes natales, est ici évoqué par sa fille, la romancière et scénariste Frédérique Hebrard dont la télévision française vient de diffuser le film "Les châtaigniers du désert". Elle nous fait découvrir sur La Luzette la tombe de ses parents qui porte le mot "Résister"...
Frédérique Hébrard, fille unique d’André Chamson, évoque dans ce « Souvenirs de famille » son père, chartiste émérite qui fut aussi un remarquable romancier à qui l’on doit une œuvre empreinte de son amour pour les Cévennes et inspirée, pour une grande partie, par son attachement aux souvenirs et aux malheurs de ses ancêtres huguenots. Citons entre autres : Roux le bandit (1925), Les Hommes de la route (1927), Le Crime des justes (1928), La Galère (1939), Quatre mois (1940), La Superbe (1967), La Tour de Constance (1970)
André Chamson fut élu à l’Académie française le 17 mai 1956 et reçu sous la Coupole le 23 mai 1957. Il nous a quittés le 9 novembre 1983.
Pour commencer son évocation Frédérique Hébrard a souhaité citer ces quelques lignes extraites de son roman "Les châtaigniers du désert"
devenu récemment un film de télévision diffusé par le Service Public :
« Le Paysage est là, on le devine par saccades, mais la journée neuve hésite encore. Va-t-il faire beau ? Brusquement une écharpe de brume s’effiloche devant moi comme un fantôme qui s’évanouit.
J’avance dans les nuages comme les oiseaux du ciel. Je ralentis, il faut attendre la volonté de la nature comme il faut au théâtre, attendre les trois coups pour que le rideau se lève.
Et le rideau se lève, enfin. Et le monde réapparait, indiscutablement beau.
Le tombeau de l’écrivain est là, devant moi, à la proue de la montagne, dominant un à pic vertigineux, faisant face à un paysage si vaste qu’il semble un grand livre ouvert; le livre où est écrit une histoire, notre histoire.
Le tombeau porte des noms, des dates, et comme une signature, ce mot-clé des Cévennes: résister.
Deux noms sur le tombeau, mon père, ma mère, et deux dates : 1900-1983.
Le brouillard est parti, oublié, le brouillard n’a jamais existé, pas plus qu’un linge blanc que l’on fait tomber pour dévoiler une plaque, une statue ; et ce qui vient d’être dévoilé devant mes yeux, c’est mon pays".
Je tenais à citer ce bref passage de mon roman « Les châtaigniers du désert » parce que le tombeau de l’écrivain qui y est décrit est celui de mes parents.
Je me souviens du jour où nous avions tellement rit lorsque Papa nous avait annoncé « Tout est arrangé, on va pouvoir être enterrés sur La Luzette.»
La Luzette est face au mont Aigoual dans les Cévennes.
« C’est très gai comme nouvelle ! » lui avions-nous répondu.
« Vous verrez, on ne peut pas être tristes là, au pied de l’Aigoual, cela vous fera un joli but de promenade ». Nous avons beaucoup ri et puis nous sommes allés voir. Il n’y avait pas encore le tombeau, il y avait une espérance de tombeau…C’est un endroit en rupture de pente, toujours fleuri, magnifié par les bruyères.
Un jour, mon père me dit « Est-ce que tu ne seras pas trop triste quand je serai mort pour lire sur mon tombeau, la prière de notre famille ? »
J’éclatai de rire et promis « Je serai vraiment très gaie ce jour là ».
Il me répondit que cela lui ferait vraiment plaisir.
La prière de notre famille est très belle, c’est la prière de Moïse, homme de Dieu: le chiffre de nos jours est de 70, et pour les plus robustes de 80, et le plus beau de ces jours n’est que peines et tourments, puis nous nous envolons. Pour mes parents, le chiffre de leurs jours a été de 83, c’est l’âge que j’ai maintenant.
Il faut que j'apporte la précision suivante: nous, descendants des Camisards qui avons des ancêtres qui furent galériens pour la foi sur la Superbe et des grands-mères qui furent enfermées vivantes dans la Tour de Constance, avons le droit de par la législation française, d'être enterrés dans nos terres comme nous étions obligés de le faire pendant tout le temps où la terre chrétienne nous fut interdite. Donc on voit beaucoup dans notre montagne des cyprès, cela signifie : ici, tombe de descendants des camisards.
Je trouve absolument admirable que mes parents reposent ici tous deux, tournés vers l'Orient ; ils regardent vers la mer ; et j'aime à dire qu'après cette mer intérieure qui est la nôtre, il y a Rome, après Rome il y a Jérusalem, et après Jérusalem il y a la Mecque...
Je porte sur moi depuis 40 ans, l’étoile de David, la croix des chrétiens, et le Coran des musulmans.
Je suis toujours bouleversée quand j’arrive dans ce lieu de paix, voire même de bonheur.C’est très émouvant de retrouver le tombeau de mes parents, sur lequel est écrit « Résister » qui a été pour moi un mot essentiel, dans mon enfance, mon éducation, et encore aujourd’hui.
Je crois que j’hérite tous les jours. Pourtant lorsque l’on perd ses parents, on perd tout. On ne se rend pas tout de suite compte qu’ils vont revenir nous apporter tout ce que l’on n’a pas pu recevoir d'eux, de leur vivant.
J’ai compris une chose extraordinaire sur le tombeau de mes parents : j’étais devenu la mémoire ; pour que celle-ci existe, il me fallait la transmette à mes enfants, mes petits-enfants de la part de mon père, de ma mère et de tous ceux qui les avaient précédés. C’est une chose qui me remplit de joie.
L’hiver, quand la montagne est couverte de neige, personne ne peut accéder au tombeau d’André Chamson mais tous les personnages de ses livres sont autour de lui puisqu’ils appartiennent à la même montagne.
Je pense aussi que les mouflons que l’on a réintroduits sur la Luzette, ces bêtes merveilleuses, très timides et sauvages doivent leur tenir compagnie. Il y a aussi les chevreuils, les renards, les chats sauvages, peut être des loups, toute une grande faune qui n’est pas effarouchée par la présence invisible mais certaine des personnages de la littérature d’André Chamson...
On dit que c’est le tombeau de l’écrivain, le tombeau d’André Chamson, mais pour nous sa famille, c’est le tombeau d’André et de Lelette. André c’est lui, Lelette c’était maman. Ils ont été heureux ensemble tout au long de leur vie. Maman est partie la première contre toute attente, et il m’a interrogé « Comment vais-je pouvoir vivre sans cette femme adorable ?». Il n’a pas survécu longtemps, seulement 5 mois jour pour jour après le décès de maman.
Papa disait « je suis de ce pays autant qu’on peut l’être. J’appartiens à cette terre par les cimetières et les sillons. »
Ecouter d'autres émissions : Souvenirs de famille notamment sur Alain Peyrefitte, Jean Foyer, Théodore Monod, Léon Binet, Jacques-Yves Cousteau, Pierre Gaxotte.