Une littérature à la fois savante et amusante : la gastronomie !
Les ouvrages de la Bibliothèque de l’Institut peuvent nous régaler, surtout lorsqu’ils évoquent la gastronomie, les plaisirs de la table, la cuisine ou des caricatures d’hommes politiques déguisés en légumes ! Mireille Pastoureau a choisi cette thématique gastronomique pour établir le nouveau document proposé sur le site de la Bibliothèque. Amateurs de bonne chère, voici une lecture à déguster !
Si la bibliothèque de l’Institut conserve, comme il se doit, des livres savants et peu de livres techniques ou pratiques, elle compte néanmoins dans son fonds de nombreux livres et documents relatifs à la gastronomie française.
On peut s’en étonner en relisant un ancien numéro du journal Le Gourmet, daté du 21 mars 1858, qui affirme que, parmi ceux qui mangent mal, on peut ranger les musiciens, les danseurs, les chanteurs, les peintres et sculpteurs, et… la moitié des membres de l’Institut parce qu’il ne suffit pas pour être gourmand d’être astronomie, chimiste, d’avoir un habit brodé et 1500 f.
Cette anecdote, amusante, on la doit à Mireille Pastoureau, conservateur général directeur de la bibliothèque de l’Institut qui, fidèle à son habitude, aime régaler ses visiteurs en exposant régulièrement les plus beaux ou les plus intéressants volumes de sa bibliothèque.
Comme elle le souligne d'emblée, la gastronomie, élément du patrimoine français, doit être ici entendue au sens de littérature sur la gastronomie. Dans le document qu'elle a rédigé et qu’on peut lire sur le site de la bibliothèque de l’Institut, elle précise qu’au moins deux académiciens contemporains ont pris la gastronomie au sérieux et ont rédigé des ouvrages sur la gastronomie :
- Jean François Revel, de l’Académie française, auteur de Un festin en paroles, histoire littéraire de la sensibilité gastronomique de l’Antiquité à nos jours (Ed. Plon, 1979)
- Jean-Robert Pitte, de l’Académie des sciences morales et politiques, auteur de plusieurs ouvrages dont « Gastronomie française, histoire et géographie d’une passion » (Ed. Fayard, 1991 et 2005), président de la Mission pour l'inscription du repas français au patrimoine immatériel de l'humanité de l'Unesco.
- Dans cette émission, Mireille Pastoureau évoque quelques uns des trésors de la bibliothèque sur la gastronomie, mais aussi la cuisine, le jardinage, la culture, l’art de la table, les buffets de fête, un assez grand nombre d'ouvrages somme toute, et parmi ceux-ci de nombreux ouvrages de l’Ancien Régime, (le mot Régime ne manque pas d’a-propos). Notre invitée commence par nous présenter un étrange réchaud qui... sert à tout ! On le doit à un certain Du Val : Le Foyer de campagne et de cabinet, nouvellement inventé par le Sr Du Val, ingénieur et architecte des bâtiments du roi. Cette nouvelle machine est un réchaud ou chaufferette portatif, fonctionnant à l’éthanol (« esprit de vin »). Elle permet de faire cuire et réchauffer toutes choses pour la commodité des malades, des voyageurs (en carrosses, litières, ou bateaux), gens de guerre et personnes d‘étude qui sont longtemps dans leurs chambres et cabinets, religieux sur l’autel ou dans un confessionnal. « Cette petite machine peut servir de chauffe pieds, à repasser et sécher le menu linge des dames, des lingères, des femmes de chambre, religieuses, & d’autres personnes, à cuire le chocolat, le thé et le café ; à chauffer des bouillons, ragouts, à répandre toutes sortes de parfums dans les appartements où on l’expose et à échauffer les mains par temps froid. »
La bibliothèque de l'Institut recèle aussi, parmi les ouvrages scientifiques, plusieurs livres rédigés par le célèbre Parmentier, pharmacien de son état, Antoine Auguste de ses prénoms, tirés de la collection Delessert. L'inventeur de la pomme de terre, sensible aux misères du peuple, est l'auteur notamment de :
- Avis aux bonnes ménagères des villes et des campagnes, sur la meilleure maniére de faire leur pain. « Comme le pain est la provision du ménage la plus essentielle, puisqu’il constitue l’aliment journalier et indispensable à la vie, il nous paroit très important qu’on sache le préparer de manière avantageuse à la santé, à l’économie et à l ‘agrément : or, voilà tout ce que nous proposons. Le pain qu’on fabrique chez soi, en province, est presque toujours aigre, mat et bis, malgré la bonté des grains qu’on y emploie et revient toujours à un prix fort cher, faute de connoitre les moyens économiques de les moudre et d’en préparer convenablement cet aliment. Je crois avoir remarqué que ces défauts dépendaient d’une farine mal faite, de l’eau trop chaude et des levains trop anciens… »
- Recherches sur les végétaux nourrissans : qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les alimens ordinaires. Avec de nouvelles observations sur la culture des pommes de terre ... Parmentier vante les avantages pour la santé du régime végétarien. Il propose une grande diversité de végétaux, dont on a retenu surtout la pomme de terre mais il préconise aussi marrons d’Inde, glands, racines diverses, par exemple de narcisse, de tulipes sauvages, de campanule et de chiendent, quantité de plantes sauvages et d’ herbes.
On ne saurait aborder l'Ancien Régime, sans évoquer aussi les festins princiers car, comme le précise notre invitée : "Le modèle culinaire français a longtemps été celui de la cour versaillaise, ostentatoire et sophistiqué. L’abondance, la multiplicité et la diversité des mets sont les fondements de la tradition culinaire française. En France, de la fin du Moyen Âge à Louis XVIII, les dîners de l’aristocratie sont servis « à la française ». Les convives sont soit debout - ils se servent eux-mêmes sur une table comportant tous les plats du service en cours, principe qui prendra ensuite le nom de buffet - soit assis. Le repas est divisé en trois services : potages et poissons, pièces rôties, desserts. Chaque service comprend 3 à 15 plats, selon le nombre de convives, plats qui sont tous servis en même temps, posés avec symétrie et qui circulent peu. Les verres sont placés sur les dessertes, apportés par les domestiques et rapportés une fois vides.
La bibliothèque possède le plan de table à la cour de Louis XIV « Liste et rang des princes et princesses qui étaient à la table du roy le 18 février 1692 au dîner. » « Monsieur », frère du roi, est placé à la gauche du souverain. Le Grand Dauphin, dit « Monseigneur », est assis à la droite de Louis XIV (croquis du haut) mais cède sa place au roi d’Angleterre si celui-ci est présent (croquis du bas). « Madame », la Dauphine, est placée à la droite de son mari dans les deux cas.
- La Révolution est aussi une révolution de la table. Deux noms dominent : Grimod de la Reynière, inventeur de la littérature gourmande, et Brillat Savarin l'auteur de la Physiologie du goût. Balzac avait commencé à rédiger sur ce dernier, la bibliothèque possède le manuscrit autographe grâce à la collection Spoelberch de Lovenjour.
- Passons au XIX è siècle : on publie pour l’économie domestique et la littérature gourmande prend un véritable essor. Les ouvrages deviennent illustrés, notamment par des caricatures (Grandville, Gavarni, Daumier, etc.). On garde en mémoire celle d'Auguste Thiers portant une grosse poire représentant Louis-Philippe, tandis que les fils du souverain, petites poires, sont placés sur une étagère.
Mireille Pastoureau dresse le portrait de Georges Vicaire (1853-1921), gastronome, bibliophile et conservateur de la collection Spoelberch de Lovenjoul offerte à la Bibliothèque de l'Institut. S'il aimait se mettre aux fourneaux, il est aussi l'auteur de La bibliographie gastronomique (1860) ouvrage fondateur : "Vicaire est une gloire pour les bibliothécaires" affirme notre invitée.
Quant au fameux dîner du Vendredi Saint chez Sainte Beuve, le 10 avril 1868, dîner provocateur envers la tradition catholique du maigre et du jeûne, la bibliothèque peut se vanter de posséder toutes les lettres manuscrites des invités, et non des moindres : le Prince-Napoléon, et son égérie Mme de Tourbey, Renan, Flaubert, Edmond About, Maurice Berthelot, Henry Harrisse : tous ont accepté et certains ont regretté de ne pouvoir y participer !
Reste à évoquer aussi la non moins fameuse soirée chez Napoléon III pour la "Dictée de Mérimée", laquelle, on s'en souvient, évoque les "cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil", belle occasion de fautes d'orthographe ! Il semblerait, précise Mireille Pastoureau, que ce paragraphe ait été ajouté trente ans après la mort de Mérimée (1870).
La bibliothèque est également riche d'une belle collection de journaux gastronomiques, dont quelques exemplaires du rare "Le Gastronome" fondé par Paul Lacroix en 1830 et dont le format était semblable à celui d'une carte de restaurant !
Et pour terminer sur deux notes plus contemporaines, notre invitée se plait à mentionner l'ouvrage de Mme Francisque Gay (homme politique catholique et éditeur) à qui l'on doit : Comment se nourrir au temps des restrictions, principes généraux et recettes. Publié en 1941, l'ouvrage connaîtra le succès (sans doute parce qu'il était utile) et sera réédité 23 fois. Claude Mauriac (le fils de François Mauriac) dans son roman Le dîner en ville (1959) place son intrigue au cours d'un dîner, du début où les 8 convives prennent place jusqu'au moment où ils quittent la table et... le livre doit se lire avec un carton séparé qui donne le plan de table et permet de suivre les convives : "Huit est un très mauvais nombre. J'ai eu le plus grand mal à faire ma table...".
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