Des microbes et des hommes… le retour des maladies infectieuses
Chikungunya, paludisme, tuberculose... Depuis les années 1970, on note un retour des maladies infectieuses sur le devant de la scène. Les micro-organismes résistent davantage aux traitements, les vecteurs se jouent des insecticides et, de plus en plus fréquemment, émergent des maladies que nous ne connaissions pas. Explications avec Maxime Schwartz, biologiste moléculaire, directeur général honoraire de l’Institut Pasteur.
_ En 1976 sont apparues chez l’homme trois nouvelles maladies :
- La légionellose
- La borréliose de Lyme
- Le virus Ebola
Ces microbes, qui étaient bien connus avant de s’adapter à l’homme, ont réussi à franchir la barrière de l’espèce animale à l’espèce humaine, à cause de modifications de l’environnement résultant de l’homme lui-même.
1. L’homme, responsable de la propagation d’un virus : l’exemple du sida et du chikungunya
Le sida :
Cette maladie, qui émerge dans les années 1980, fait aujourd’hui trois millions de morts par an.
Il semble que le VIH, qui trouvait un hôte chez le singe, a passé la barrière de l’espèce de la manière suivante : certaines populations africaines ont pour habitude de chasser les grands singes et d'en manger. La découpe de la viande crue de l’animal associée à de microcoupures auront certainement suffi au développement du virus chez l’homme.
Pendant une dizaine d’années, le virus ne se répand pas. Le foyer est restreint à un petit village de l’ex-Zaïre (actuel RDC), touchant alors l’équivalent de 1 % de la population. Les choses se compliquent dix ans plus tard, au moment de l’exode rural pour trouver du travail en ville. Misère et prostitution font se propager le virus du sida comme une traînée de poudre.
Le chikungunya :
L’épidémie de chikungunya s’est déroulée en deux étapes. Au printemps 2005, c’est une petite épidémie qui voit le jour. En revanche, en 2006, c’est une épidémie de grande ampleur qui sévit, touchant 40 % de la population réunionnaise.
Pourtant, initialement, ce virus est transmis par un moustique particulier, très peu présent dans l’océan Indien… Comment celui-ci a-t-il pu se propager ?
En analysant le virus de ces deux vagues de contamination, il semble que c’est un voyageur, revenant des Comores, qui est à l’origine de cette épidémie. Piqué initialement lors de son séjour par le moustique vecteur du chikungunya, il croisa de retour sur l’île de la Réunion, des moustiques locaux qui, en faisant ripaille de quelques gouttelettes du sang infecté, se sont mis à infecter d’autres Réunionnais !
2. Quand les virus contre-attaquent !
Les virus ont aussi une capacité d’adaptation redoutable, et résistent notamment aux antibiotiques. On observe plusieurs mécanismes de résistance :
- 1. la modification de la cible
- 2. le court-circuit de l’enzyme cible
- 3. l’atténuation de la perméabilité membranaire
- 4. la production d’une enzyme détruisant ou modifiant l’antibiotique
- 5. et, fait le plus inquiétant, les pompes à efflux. Le principe est remarquablement simple : le virus fait ressortir l’antibiotique de la cible !
De ce fait, dans certains cas comme celui de la tuberculose, il devient pratiquement impossible de combattre la maladie. En effet, sur les 10 millions de nouveaux cas dans le monde par an, 5 % sont multirésistants.
Autre cas connu : la grippe et sa facilité à muter
La grippe a fait plusieurs vagues successives de morts : en 1918 (grippe espagnole, cf émission), en 1957 (grippe de Hong-Kong) et en 1968 (grippe asiatique). À chaque fois, le virus de la grippe provient des oiseaux avant de s'attaquer aux hommes.
Aujourd’hui, les 300 morts de la grippe aviaire, depuis 2003, inquiètent les virologues. Le H5N1 va-t-il totalement s’adapter à l’homme ?
3. Les nouvelles armes des virologues
Actuellement, les scientifiques travaillent sur plusieurs possibilités de lutte contre ces maladies infectieuses, notamment celle du génie génétique. Il s’agit de prendre un gène du virus, de le mettre en culture avec une levure, pour fabriquer une protéine du virus… pour que celle-ci devienne un vaccin : une sorte de vaccin OGM !
Ce procédé a déjà été utilisé pour le vaccin contre la rage vulpine en France. Et c’est sur ce même procédé que l’on travaille à la possibilité d’un vaccin antivecteur.
Pour ce dernier cas, les virologues travaillent à prendre un gène du virus du sida pour le mettre dans le génome du virus atténué de la rougeole. Mais il faut rester prudent. S’il existe beaucoup d’essais de vaccins contre le sida, pour le moment, aucun ne fonctionne.
Autre voie explorée : l’immunothérapie
Il s’agit d’injecter au patient les anticorps manquants, pour que son organisme affronte le virus. Dans le cas du paludisme par exemple, on sait depuis longtemps que certaines populations ont acquis une immunité, et l’on travaille sur cette immunité pour pouvoir l’établir chez d’autres.
Enfin, les chercheurs travaillent aussi sur la possibilité d’un vaccin anti-vecteur :
Si nous restons sur l’exemple du paludisme, le vaccin fonctionnerait de cette manière : l’homme serait vacciné de telle sorte que le moustique potentiellement vecteur du paludisme mourrait en piquant l’homme !
Écoutez les explications de Maxime Schwartz, correspondant de l'Académie des sciences. Sa communication se déroulait en novembre 2008 à l'Académie des sciences, dans le cadre des Défis du XXIe siècle.
En savoir plus :
- Restez à l'écoute de Canal Académie sur ce même sujet :
-* Le Malaria research and training center
-* Sida : bilan et perspectives en France et dans le monde
-* La grippe aviaire : avons-nous raison de nous inquiéter ?
-* L’éternel retour des épidémies
-* La maîtrise des maladies infectieuses
Et poursuivez par la question sous-jacente : Abattre des animaux par « principe de précaution » ?
- Écoutez également trois conférences, qui se sont déroulées au cours de la Journée du livre, à l'Académie nationale de médecine, en septembre 2008, sur le thème des maladies infectieuses :
-* La tuberculose dans la littérature
-* le sida A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, d’Hervé Guibert
-* Histoire de la grippe espagnole
Maxime Schwartz, membre correspondant de l'Académie des sciences
Maxime Schwartz, François Rodhain, Des microbes ou des hommes : qui va l'emporter ?éditions Odile Jacob, 2008