Le Japon bouddhiste et la crémation généralisée
Suite de notre série sur la crémation et les grandes civilisations avec Jean-Noël Robert, orientaliste de remon. La crémation se développe aujourd’hui en France et implique un « pas de coté » grâce au regard que les « grandes civilisations » portent ou ont porté sur elle, sur le lien que nous avons avec les obsèques. La crémation a-t-elle un sens et lequel dans les grandes civilisations disparues ou implantées ailleurs ? Quel est le statut du corps ? Ce corps doit-il être préservé ou, au contraire, peut-il accepter la crémation ? Ecoutez Jean-Noël Robert parler de la crémation dans le Japon actuel.
Jean-Noël Robert est spécialiste du bouddhisme et du Japon. Après avoir été au CNRS et à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (section religieuses), il est, depuis le 11 avril 2011, professeur au Collège de France titulaire de la chaire de Philologie de la civilisation japonaise – avec une leçon inaugurale donnée le 2 février 2012. Depuis le 17 Mars 2006, il est membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
Au Japon, aujourd’hui, la crémation est obligatoire pour tous et s’inscrit dans un contexte éminemment religieux (84% des Japonais sont shintoïstes et 71% sont bouddhistes). Pourquoi cette pratique est-elle à la fois relativement récente, franchement prédominante et réellement inscrite dans cette synthèse japonaise du shinto-bouddhisme ? Le shinto a horreur de la mort et des souillures qui vont avec. De sorte que si vous revenez d’un deuil, vous ne pouvez entrer dans une maison sans être aspergé de sel aux effets purificateurs. Quant au bouddhisme, il considère la mort comme l’occasion d’une transmigration.
Jean-Noël Robert détaille toutes les étapes des obsèques et de la crémation avec, comme éléments principaux :
- pour la veillée funéraire, la toilette faite aux morts avec, en plus, un chapelet bouddhiste (composé de 108 perles – comme autant de karma) placé entre les mains du défunt sans oublier la présence d’un sac plein d’argent pour traverser le « fleuve des morts » - l’équivalent du Styx des grecs anciens.
- Si l'on peut dire que les Japonais sont plus bouddhistes morts que vivants, c’est qu’ils changent de nom une fois morts et deviennent « laïc pieux » dans la religion bouddhiste – sorte de « frère mineur » des ordres religieux chrétiens. Sur leur tombe est inscrit ce nom en religion (qui parfois s’ajoute à celui de l’état civil). Car « mourir » en japonais veux dire « devenir bouddha »
- Pour la crémation, proprement dite, deux étapes sont à considérer. 1/ La crémation elle-même qui doit se faire alors que les moines récitent des soutras. Autrefois faite sur des bûchers, elle se pratique aujourd’hui dans des fours modernes. 2/ La récupération des os du crématisé donne lieu à une cérémonie particulière. Les os et les restes osseux sont récupérés par deux personnes, des membres de la famille, avec des baguettes. Cette cérémonie doit se faire en débutant par le bas de l’ancien corps jusqu’au crâne pour éviter que le défunt ne se retrouve la tête en bas dans l’urne. Dans les deux illustrations (ci jointe) (et qui datent de l’ère Meiji) que Jean-Noël Robert commente ces deux opérations qui s’opéraient aux temps anciens.
- Puis, il faut attendre 49 jours avant que l’urne soit placée dans le caveau familial. Après tous ces jours, le défunt est sensé être arrivé à destination post-mortem. Il a été jusqu’au bout en évitant, autant que faire se peut, les trois voies dangereuses (les enfers, les « démons affamés » et les animaux) pour aller vers les trois bonnes voies de la transmigration (Dieu, Titan, humain).
- Une date est importante, la fête des morts le 15 août.
Pour comprendre l’importance de la crémation au Japon, il faut donc comprendre la force des rites et des croyances religieuses.
Damien Le Guay, philosophe, vient de faire paraître « la mort en cendres », aux éditions du Cerf (octobre 2012), réflexion sur ces questions de la crémation aujourd’hui en France.
- A écoutez aussi :
- Pourquoi la crémation se développe-t-elle aujourd’hui ? avec Damien Le Guay
- Le catholicisme tolère la crémation depuis 1963 avec l'historien Philippe Levillain, de l'Académie des sciences morales et politiques