Aller à Canossa
Qu’est-ce qui se cache derrière la petite ville italienne de Canossa ? D’où vient et que signifie l’expression historique "aller à Canossa" ou "prendre le chemin de Canossa" ? Est-elle encore utilisée de nos jours et dans quel contexte ? A toutes ces questions, l’historien Jean-Claude Bologne, qui anime la rubrique "Allusions historiques" sur Canal Académie, donne la réponse.
Cette petite ville italienne, proche de Reggio d’Emilia, n’aurait jamais pensé entrer ainsi dans l’Histoire. Dans toutes les langues, elle désigne depuis près de dix siècles une reddition sans condition, une capitulation humiliante. En français, la plupart de ses emplois se retrouvent aujourd’hui dans le domaine politique.
En 1077, Canossa appartenait à la comtesse Mathilde, alliée du pape dans la querelle des Investitures qui l’opposait alors aux empereurs germaniques. Le pape Grégoire VII avait déclenché les hostilités, trois ans auparavant, en supprimant à l’empereur Henri IV le droit de nommer les évêques. Le rapport de force est alors favorable au pape : l’empereur est jeune, en butte à une révolte de ses vassaux. Excommunié, il est obligé de venir implorer le pardon. Grégoire lui-même raconte la suite, dans une lettre datée du 28 janvier, trois jours après l’événement : « il vint, en faible compagnie, au château de Canossa, où je résidais, et là, assis devant la porte pendant trois jours, dépouillé de ses attributs royaux, misérablement, déchaussé et vêtu de laine, il ne se releva pas avant d’avoir imploré en pleurant le secours et la consolation de la miséricorde apostolique ». Ainsi commence un conflit d’un demi-siècle.
L’allusion à cet épisode est cependant plus récente. En 1872, en effet, le chancelier Bismarck est confronté à une violente opposition catholique, soutenue par le Vatican. Le pape Pie IX menace de rompre les relations diplomatiques en refusant l’ambassadeur nommé par Berlin, version moderne de la guerre des investitures. Devant le Reichstag, le chancelier prononce un discours célèbre où il réaffirme ses convictions laïques. Il conclut par la formule restée célèbre : « Nous n’irons pas à Canossa. »
L’allusion historique, depuis, se réfère à ces deux événements séparés par huit siècles, ce qui est plutôt rare dans la vie d’une allusion. Récemment, le président d’une petite formation de droite qui s’apprête à rejoindre la majorité présidentielle confie par exemple au Figaro (13 août 2009) qu’il ne prend pas le chemin de Canossa, puisqu’il compte bien faire aboutir les dossiers qui lui tiennent à cœur.
Ecoutez également :
Jean-Claude Bologne est historien, essayiste et romancier.
Jean-Claude Bologne, Qui m’aime me suive, dictionnaire commenté des allusions historiques, éditions Larousse, 2007
Jean-Claude Bologne a également publié :
Histoire de la pudeur (Hachette Pluriel)
Histoire morale et culturelle de nos boissons (Laffont)
Histoire du mariage en occident (Hachette Pluriel)
Une de perdue, dix de retrouvée : Chiffres et nombres dans les expressions de la langue française (Larousse, 2004)
Au septième ciel, Dictionnaire commenté des expressions d’origine biblique (Larousse 2005)
Qu’importe le flacon... Dictionnaire commenté des expressions d’origine littéraire (Larousse, 2005)
Histoire de la conquête amoureuse (Seuil, 2007) ; cet ouvrage a fait l’objet d’une émission sur Canal Académie : La conquête amoureuse a une histoire !
Les allusions historiques