Se retirer sur l’Aventin

Une allusion historique présentée par Jean-Claude Bologne
Avec Jean-Claude Bologne
journaliste

On peut se draper dans sa dignité ou se retirer dans sa tour d’ivoire, mais l’on peut aussi "se retirer sur l’Aventin". L’historien Jean-Claude Bologne rappelle les origines historiques de cette allusion.

Émission proposée par : Jean-Claude Bologne
Référence : hist523
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Aujourd’hui, on dit d’un homme vexé, qui se désintéresse d’une situation qu’il ne contrôle plus, ou qui se drape dans sa dignité après un échec, qu’il se retire sur l’Aventin. Après les élections présidentielles, on a entendu dire de beaucoup de candidats malheureux qu’ils avaient ainsi pris leur retraite sur cette colline proche de Rome. Libération évoque « Laurent Fabius retiré sur son Aventin du Grand-Quevilly », et Le Figaro, d’Alain Madelin, « retiré sur son Aventin libéral », tant il est vrai que le mont n’a pas de couleur politique.

Le mont Aventin, Didier Jules
huile sur toile, Haut. en cm : 93. Larg. en cm : 150<br /> © Beaux-arts de Paris, l’école nationale supérieure



L’expression fait allusion à un épisode des débuts de l’histoire romaine, en 494 avant notre ère, durant les rivalités entre patriciens et plébéiens. Elle est rapportée par Tite Live. La plèbe romaine, écrasée par les dettes, est en pleine révolte quand une guerre contre les Volsques incite à l’union sacrée. Les consuls promettent d’annuler les dettes de ceux qui s’enrôleront. Mais après la victoire, les belles promesses s’évanouissent, et les soldats outrés se retirent sur une montagne voisine, laissant les patriciens sans défense. Force est de négocier pour éviter que les Volsques ne reviennent venger leur défaite.
Selon une tradition antique, cette montagne aurait été l’Aventin, une des sept collines originelles, foyer des plébéiens, d’origine latine. Ceux-ci se serait donc retirés sur leur lieu d’origine. Selon Tite-Live, en revanche, c’est sur le mont Sacré, à trois milles de Rome, que les soldats se seraient mis en grève avant la lettre. Son explication est plus convaincante : les légionnaires étaient en effet liés par leur serment aux consuls, tant qu’ils restaient dans l’enceinte de la ville. En la quittant, ils échappaient à leur engagement. Pour les convaincre de rentrer, on créa des tribuns de la plèbe chargés de les représenter.


Le retrait politique est donc tout à fait approprié à l’emploi de cette allusion, mais la condamnation implicite n’est pas dans l’anecdote romaine. Il entre désormais de la bouderie ou de l’orgueil blessé dans cette retraite, sans doute par contamination avec d’autres allusions, mythologiques ou littéraires (« se retirer sous sa tente », « se retirer dans sa tour d’ivoire »). Du coup, ce n’est pas le peuple, mais ses élites, que l’on dénonce par cette expression, en parlant par exemple de l’Aventin de la haute couture, ou des intellectuels parisiens. Un curieux renversement pour une expression pourtant très précise.


En savoir plus :

Jean-Claude Bologne est historien, essayiste et romancier.

Jean-Claude Bologne, Qui m’aime me suive, dictionnaire commenté des allusions historiques, éditions Larousse, 2007






Jean-Claude Bologne a également publié :
Histoire de la pudeur (Hachette Pluriel)
Histoire morale et culturelle de nos boissons (Laffont)
Histoire du mariage en occident (Hachette Pluriel)
Une de perdue, dix de retrouvée : Chiffres et nombres dans les expressions de la langue française (Larousse, 2004)
Au septième ciel, Dictionnaire commenté des expressions d’origine biblique (Larousse 2005)
Qu’importe le flacon... Dictionnaire commenté des expressions d’origine littéraire (Larousse, 2005)
Histoire de la conquête amoureuse (Seuil, 2007) ; cet ouvrage a fait l’objet d’une émission sur Canal Académie : La conquête amoureuse a une histoire !


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