Une victoire à la Pyrrhus
Une victoire qui coûte cher ! On évoque en effet le nom de ce roi de l’Antiquité pour désigner une victoire aux lourdes retombées. L’historien Jean-Claude Bologne nous rappelle les origines historiques et les utilisations contemporaines de cette allusion.
Ainsi qualifie-t-on une victoire qui a coûté très cher à son vainqueur, à tel point qu’il en ressent aussi durement les conséquences que son adversaire vaincu. Pyrrhus aurait d’ailleurs commenté l’événement par cette réplique, rapportée par Plutarque, mais sans doute apocryphe : « Encore une victoire comme celle-ci et je suis perdu ! »
Pyrrhos, dont le nom, en grec, signifie « le roux », était roi d’Épire à la fin du IIIe siècle avant notre ère. Ce petit royaume, entre l’Albanie et la Grèce, était alors au faîte de sa puissance. Pyrrhus, lointain cousin d’Alexandre et, prétendait-il, descendant d’Achille, espérait bien l’étendre, notamment en Italie. Aussi lorsque les habitants de Tarente, dans les Pouilles, l’appellent à la rescousse pour arrêter l’expansion romaine, il saisit le prétexte pour se transporter en Italie du sud avec une armée puissante. Il remporte coup sur coup deux victoires, à Héraclée en 280 et à Ausculum en 279.
Les historiens romains, peu fiers de leurs défaites, ont incriminé l’affolement de leur cavalerie devant les éléphants de Pyrrhus. Pour la même raison, ils semblent avoir grossi les pertes du roi d’Épire à Ausculum. La moitié de ses hommes, plus de treize mille, seraient en effet restés sur le terrain. « Il retira de cette victoire plus de gloire que de satisfaction », dit Justin. Ainsi est né le mythe de la victoire à la Pyrrhus. Les Romains refusent de négocier avec lui un partage des zones d’influence, et les Carthaginois, qui ne voient pas d’un très bon œil la présence grecque aussi près de leurs comptoirs de Sicile, lui livrent bataille de leur côté. Après quelques victoires, Pyrrhus est vaincu par les Romains en 275 et retourne en Épire. Il meurt trois ans plus tard dans une expédition contre Sparte.
L’affrontement de grandes puissances montantes ou déclinantes, la Grèce, Rome, Carthage a marqué les mémoires. On emploie volontiers l’expression lorsqu’un champion souvent vainqueur, un dirigeant charismatique rencontrent des difficultés inattendues et ne doivent la victoire qu’à l’ampleur des moyens engagés. Le sport et la politique sont friands de cette allusion. Ainsi, un journaliste américain, Michael Madved, a-t-il qualifié de victoire à la Pyrrhus le succès de Barack Obama lors de l’adoption de la sa loi sur la sécurité sociale, qui lui a coûté de dangereuses divisions dans son propre camp (Libération, 9 novembre 2009).
Texte de Jean-Claude Bologne.
En savoir plus :
Jean-Claude Bologne est historien, essayiste et romancier.
Jean-Claude Bologne, Qui m’aime me suive, dictionnaire commenté des allusions historiques, éditions Larousse, 2007
Jean-Claude Bologne a également publié :
Histoire de la pudeur (Hachette Pluriel)
Histoire morale et culturelle de nos boissons (Laffont)
Histoire du mariage en occident (Hachette Pluriel)
Une de perdue, dix de retrouvée : Chiffres et nombres dans les expressions de la langue française (Larousse, 2004)
Au septième ciel, Dictionnaire commenté des expressions d’origine biblique (Larousse 2005)
Qu’importe le flacon... Dictionnaire commenté des expressions d’origine littéraire (Larousse, 2005)
Histoire de la conquête amoureuse (Seuil, 2007) ; cet ouvrage a fait l’objet d’une émission sur Canal Académie : La conquête amoureuse a une histoire !
Les allusions historiques