Des fouilleurs de hasard au Prince savant, à la recherche des origines de l’espèce humaine
l’Institut de Paléontologie Humaine, troisième plus vieille fondation de recherche française, finance des chantiers de fouilles dans le monde entier. En 101 ans, il a permis des découvertes primordiales pour l’histoire de l’Homme. Pourtant cet établissement prestigieux aurait pu ne jamais voir le jour. Heureusement, ce "prince savant" que fut Albert 1er de Monaco, permit à l’archéologie inorganisée de devenir une véritable discipline scientifique, grâce à une singulière oeuvre de mécénat. Les comédiens Pierre Lascoumes, Nelly Sevat et Olivier Voirin content, à travers la lecture de textes d’archives, les origines de la découverte de l’histoire de l’humanité.
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Bien souvent la connaissance que nous avons de notre propre histoire, celle de l'espèce humaine, se limite à Charles Darwin et à une probable ascendance simiesque. Bien entendu la réalité est bien plus complexe, et le combat mené par une poignée de scientifiques pour la faire admettre a été, injustement, occulté par nos manuels scolaires. Sur une idée d'Amélie Vialet (de l'Institut de Paléontologie Humaine) et d'Arnaud Hurel (historien du Muséum national d'histoire naturelle); Pierre Lascoumes, Nelly Servat et Olivier Voirin rétablissent la vérité par le verbe.
Si au commencement était le primate, il ne tarda pas à évoluer dans divers directions. L'une d'elle donna l'Homme. Les travaux de Darwin contribuèrent à diffuser cette idée dans la communauté scientifique malgré de fortes réticences. Cependant, il ne suffisait pas d'admettre l'hypothèse, encore fallait-il la vérifier, découvrir le fameux «chaînon manquant». Jusqu'alors l'histoire française ne commençait qu'avec la conquête des Gaules par Jules César. Tout au mieux y avait-il auparavant « les celtes », terme vaste et flou, sans définition exacte, qui servait à qualifier l'ensemble des populations indigènes d'Europe Occidentale, sans distinction aucune.
Le premier « fou » à avoir remis en question un tel dogme fut Jacques Boucher de Perthes. Ce « Bohème de la science » comme il se définissait lui même, supporta, pendant des années, les railleries de la communauté scientifique dénigrant les résultats, pourtant édifiants, de ses fouilles. L'Académie des sciences mit plus de vingt ans à reconnaître qu'il pût exister un hominidé antérieur aux celtes, contemporain de ces grands fauves préhistoriques dont on exhumait de temps en temps les restes. Si Jacques Boucher de Perthes est aujourd'hui considéré comme le père de la paléontologie humaine en France, ses pairs voyaient en lui un charlatan, au mieux un illuminé. Ce qui est bien regrettable pour «cet amateur une collection unique en France et probablement en Europe». Désespéré il légua son imposante collection à la mairie d'Abbeville. Malheureusement cette mine scientifique sera détruite en 1940 par les bombardements allemands.
Mais sa quête ne fut pas vaine. A sa suite nombreux furent ceux qui tentèrent de prouver que «l’homme a non seulement été contemporain d’anciennes espèces animales (…) mais à une époque antérieure il a été aussi contemporain d’animaux maintenant disparus et qui caractérisent les populations antédiluviennes». Parmi cette foule de paléontologues amateurs et de sociétés savantes locales, citons Paul Tournal explorateur des Grottes de Bize, ou encore la société Polymathique du Morbihan créée en 1826. Que de chercheurs remarquables. Que d'illustres inconnus. En effet les autorités scientifiques restèrent indifférentes aux découvertes des ces amateurs qui remettaient dangereusement en question leurs certitudes.
Mais en 1859 le paléontologue Albert Gaudry, effectuant des fouilles dans la banlieue d'Amiens, met à jour les restes d'animaux disparus côtoyant des artéfacts primitifs, venant ainsi confirmer les théories de Boucher de Perthes. La seconde moitié du XIXe siècle voit donc la naissance d'une paléontologie humaine avec un véritable statut scientifique. Dès 1951 Napoléon III amorçait la création d'un musée des antiquités nationales au palais de Saint-Germain-en-Laye. L'archéologue Christian Jurgensen Thomsen affirmait l'existence de trois âges de l'humanité, ceux de la pierre, du bronze et du fer. Et, à l'aube du XXe siècle les frères Bouyssonie firent une découverte capitale : ils exhumèrent de la grotte de la Chapelle-aux-Saints (Corrèze) un squelette de Néandertalien presque complet.
Quand Marcellin Boule, célèbre géologue et paléontologue, vint expertiser la découverte, il sut qu'elle marquait un tournant pour la science paléontologique. Le journal local, Le Matin, légendait la photo du scientifique un crâne à la main : «N'est-il pas infiniment plus honorable de descendre d'un singe perfectionné que d'un ange déchu ?». Réponse à un Victor Hugo qui écrivait dans La Légende des siècles: «Dieu t’a fait homme et moi je te fais singe, rends toi digne à présent d’une telle faveur. Cette promotion me laisse un peu rêveur.»
Dès lors l'affaire prend une ampleur considérable, le tout-Paris veut rendre visite à ce vénérable cousin qu'expose Marcellin Boule. Et, parmi les visiteurs, le Prince Albert 1er de Monaco. Océanographe de renom, il ne tarde pas à s'intéresser activement à cette science nouvelle où tout est encore à construire. Mais il va vite s'apercevoir que les lacunes qui accablent cette discipline toute neuve ne sont pas négligeables.
L'amateurisme, s'il fut à l'origine des premières découvertes, nuit désormais à cette science, en saccageant de précieux sites de fouilles juste pour trouver «la belle pièce». Qui plus est la communauté scientifique, qui reconnaît maintenant une certaine légitimité à la paléontologie humaine, reste des plus divisées. Les théories les plus folles sont élaborées, on dit même que Rodin a pris comme modèle pour son Penseur, un individu aux linéaments sculptés par les atavismes néandertaliens. Enfin, les deux plus grands spécialistes de la question, Marcellin Boule et L'abbé Henri Breuil, qui sera élu membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres en 1938, ne parviennent pas à se mettre d'accord.
L'évolution est-elle une ligne droite progressant constamment vers le progrès ? Néandertal a-t-il disparu sans laisser de descendance ? Mérite-t-il la qualification d'homo faber ou n'est-ce juste qu'une brute, un pré-homme ? Que signifient les peintures pariétales ? Pourquoi s'est-il éteint ? Autant de questions qui constituaient les principaux défis de la paléontologie humaine.
Il fallait donc mettre de l'ordre, offrir aux scientifiques un lieu où se réunir, où travailler au calme, un lieu entièrement dédié à la paléontologie. Ce fut le don du Prince Albert à la science. Avec les conseils de Marcellin Boule et de l'abbé Henri Breuil, il fonde en juillet 1910 l'Institut de Paléontologie Humaine. C'est Emmanuel Pontremoli, l'architecte à qui nous devons la villa Kerylos de Beaulieu-sur-Mer, aujourd'hui propriété de l'Institut de France, qui établit les plans de la bâtisse inaugurée en 1920. Loin d'être l'apogée de la paléontologie, cela n'en était que le commencement, et depuis, l'IPH a financé des kyrielles de projets scienfiques, apportant toujours plus de réponses à une liste interminable de questions.
C'est grâce au travail de cet Institut que nous pouvons dire aujourd'hui de la paléontologie humaine «qu'elle referme un peu de la lumière qui montrera la vanité des haines entre les races, des compétitions territoriales et des guerres suscitées par l’ignorance». Belle définition pour une science qui a acquis ses lettres de noblesse sur le tard.
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La rédaction de Canal Académie remercie les comédiens Pierre Lascoumes, Nelly Sevat et Olivier Voirin, ainsi que le violoncelliste François-Pierre Fol pour leur participation.