André Vauchez : Rome au Moyen Âge
Si nous avons tous en mémoire les ruines de la Rome antique ou les ors de la Rome baroque, la cité médiévale reste largement méconnue. Comment a-t-elle évolué durant cette longue période ? Quel rapport a-t-elle entretenu avec son passé ? Réponse avec l’historien André Vauchez, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
Malgré les pillages, les guerres et les révoltes, sans compter les épidémies de peste qui ont ponctué son histoire durant cette longue période, Rome semble mériter plus que jamais, au regard des dernières découvertes historiques et archéologiques, son surnom de Ville éternelle.
Spécialiste d’histoire religieuse, André Vauchez évoque dans cette émission, Rome, capitale d’empire et de la papauté, à l’occasion de la sortie de son dernier livre Rome au Moyen Âge chez Riveneuve Edition, (mai 2010). Son dernier opus, est la traduction française de son livre Roma médiévale, paru en 2006, sorti en italien, sous le titre original de Roma médiévale, a cura di André Vauchez.
Ce volume de 500 pages réunit sous sa direction, les contributions de douze chercheurs français et italiens, pour l’essentiel issus de l’Université de Rome, La Sapienza (fondée en 1303).
André Vauchez, professeur émérite de l’Université de Paris-X Nanterre, a dirigé l’École française de Rome de 1995 à 2003.
L'historien a formé plusieurs générations de chercheurs et l'empreinte de son œuvre est profonde dans le domaine universitaire qui est le sien. Membre de l’Académie et des inscriptions et belles-lettres depuis 1998, ce médiéviste s'est particulièrement intéressé à l’histoire des pèlerinages, des saints, à "l’homme médiéval" et à l'histoire du christianisme.
Parmi ses nombreux ouvrages, citons :
- La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge (1981)
- Rome, l’idée et le mythe (2000)
- Saint-François d’Assise entre histoire et mémoire (2009).
Comment Rome, ville cosmopolite par excellence, a-t-elle traversé le Moyen Âge, de 476 ap. J-C, année de la déposition du dernier empereur romain, à la Renaissance ?
Passant de 500 000 habitants sous l'empire romain à 30 000 à peine sous Charlemagne, les historiens évaluent à 50 000 personnes le nombre de ceux qui la peuplent au XIIIe siècle. Aux côtés des ruines imposantes, se développe une constellation de petits îlots urbains. La beauté de la ville antique s'impose à tous, aux visiteurs, aux habitants, comme aux différentes autorités, communale, papale ou aristocratique. Période confuse sur le plan politique au regard de mille ans d'histoire, la ville frappe par son décor impérial. L'habitat évolue. De récentes et exceptionnelles découvertes archéologiques dans le Forum de Nerva montrent que la maison du IXe siècle passerait de l’horizontal à la verticale.
L'ouvrage remet en cause l'idée d'une Rome à l'écart de l'essor des villes de l'Italie du Nord, comme Florence ou Gênes pour la période du premier âge roman à la Renaissance, du XIe au XVe siècle. Les historiens pensaient que Rome en était exclue, ou qu'elle se cantonnait à la périphérie lointaine de ce type de rayonnement nouveau. Des traités conclus avec Pise et Gênes montrent l’implication de Rome dans les circuits commerciaux de l’époque. Les marchands romains se défendaient somme toute très bien, à travers l’Italie et l’Europe. Pour André Vauchez, les historiens ont jusqu'à présent minimisé l’attraction de la papauté établie à Rome, sur cette période troublée.
Pendant longtemps, l’historiographie a sous-entendu que la commune romaine, créée en 1143 était la proie des barons de 1230 à 1300 (une quinzaine de familles aristocratiques prédominaient). Or, les travaux historiques montrent que les rapports politiques entre ces entités sont plus complexes et plus équilibrés. L'évolution politique se lit dans l'évolution de l'habitat. Apparaissent alors des tours fortifiées, d'énormes forteresses à l’intérieur de l’enceinte urbaine avec un pouvoir de contrôle par les barons de "châteaux-villages", les castelli, sorte de vastes patrimoines seigneuriaux (milieu-XIIIe siècle). Parallèlement, des monastères s'installent. Les ordres mendiants gagnent la capitale et les pèlerins ne cessent de se rendre à Rome. La ville demeure donc, d'après les dernières découvertes, plus attractive sur le plan religieux et commercial.
Le mythe de Rome n'est pas mort durant ce long Moyen Âge. La ville génère quantité de légendes selon les sources. André Vauchez rapporte la fascination des visiteurs pour les centaines de statues en place, leur attribuant légendes et mystères. Les récits du sang versé des martyrs et des vies de saints nourrissaient la foi et l'imaginaire des habitants comme des pèlerins et voyageurs.
Extrait :
A la ville concrète de superficie réduite, se superpose une Rome imaginaire, structurée autour de l'axe majeur qui conduisait de Saint-Pierre au Vatican, à celle de Saint-Jean de Latran, "cathédrale de Rome et du monde", à proximité de laquelle se trouvait, outre le palais "patriarcal" du pape, un grand baptistère où la tradition voulut voir le lieu du baptême de Constantin. Un axe mineur, qui allait de Saint-Paul-hors-les-Murs croisait le précédent. Mais ces lignes directrices n'avaient rien de grandes voies triomphales : il s'agissait plutôt de chemins sinueux qui serpentaient au milieu des ruines et des jardins. Au fil des siècles, ces itinéraires de pèlerins devaient devenir le parcours rituel du tour des quatre basiliques évoquées ou celui des sept églises principales.
Un nouveau langage pictural s'empare des murs des églises. Honneur est fait à la mosaïque, à la peinture mais pas l’architecture, ou à la sculpture et l’épigraphie qui avaient fait la grandeur de la Rome antique. André Vauchez parle d'une mise en page du mur peint à fresque des églises et des absides couvertes de mosaïques (Site Internet officiel de la Basilique saint-Clément).
Rome au Moyen Âge, comme le rappelle l'auteur, s'est affirmée, à partir de 1300, comme le seul lieu au monde où tous les fidèles pouvaient obtenir la rémission des péchés. Son prestige spirituel et son statut de ville sacrée ont pris corps dans cette longue période médiévale : une dimension vouée à perdurer ultérieurement.
En savoir plus
- André Vauchez ( né en 1938) : membre de l'Institut, élu le 13 novembre 1998, à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres au fauteuil d’Ernest Will. Médiéviste, spécialiste de l'histoire religieuse de l’Occident médiéval (XIIe-XVe siècle), de la sainteté, d'hagiographie, des pratiques religieuses médiévales et du monachisme (ordres mendiants).
- Codirecteur de la collection "Histoire du christianisme".
- Directeur de la Revue Mabillon et membre des comités de rédaction de la Revue d'Histoire de l'Église de France de la revue Hagiographica (Florence) et du Journal of Ecclesiastical History.
Dernières publications :
- François d'Assise. Entre histoire et mémoire, Fayard, 2009
- Christianisme. Dictionnaire des temps, des lieux et des figures, seuil, 2010.
Ecoutez André Vauchez sur Canal Académie :
- André Vauchez : l’Ordre des Célestins et le duc Louis II de Bourbon
- Le rayonnement spirituel de l’Europe du Moyen Âge
- François d’Assise : une vie sainte par André Vauchez
- L’université médiévale vue d’aujourd’hui
- Rome au Moyen Âge (dir.), Riveneuve Editions, mai 2010.