Eric-Emmanuel Schmitt : trois femmes, trois époques, mais peut-être une seule âme ?
Quels liens peut-il y avoir entre une jeune fille prénommée Anne, en 1530, à Bruges, qui s’enfuit lors de sa préparation nuptiale et disparaît dans la forêt, et Hanna Von Waldberg, épouse d’un aristocrate viennois qui revient de voyage de noces et qui cherche à être enceinte , et encore Anny Lee, star d’Hollywood, complètement perdue dans la drogue, l’alcool, le sexe ? Aucun en apparence. Et pourtant... L’auteur du "Visiteur", d’ "Oscar et la Dame Rose" présente ici son dernier roman : "la Femme au miroir"
Et pourtant, il y en a un, confie Eric-Emmanuel Schmitt devant les micros de Canal Académie ; très rapidement dans le récit de leur trois destinées, les trois héroïnes utilisent, chacune à leur époque, les mêmes mots : « Je me sens différente »
"Toutes les trois ne savent pas ce que sera leur destinée, mais elles ont entre elles ce point commun : elles vont prendre le risque de larguer les amarres, pour partir à la découverte d’elles-mêmes. Pour moi, c'est l’aventure suprême à laquelle est convié chacun d’entre nous, chaque être humain ; vivre sa vie, plutôt que la vie que les autres ont préparée pour vous. Il ne s’agit pas de s’inventer soi-même mais de se découvrir soi-même.
Parce que mes personnages étaient des femmes, j’ai pu mieux dire le rapport du corps à la nature, l’extase cosmologique, la recherche du plaisir, l’invasion du corps par les autres ou par la drogue, l’alcool ; cela m’oblige aussi à plus de finesse dans l’analyse du labyrinthe social, parce que si la nature est généreuse avec la femme, la société, elle, a été, et reste encore, avare. Une femme qui se cherche, qui veut se réaliser, n’a pas encore sa place dans nos sociétés, car il y a des ruses de l’Histoire qui font que ce n’est pas si facile.
Mes trois Femmes, mes trois héroïnes vont devenir rebelles par nécessité, malgré elles ; c'est-à-dire que, par tempérament elles sont plutôt douces, aimantes, tournées vers les autres ; on rêverait qu’elles s’accomplissent sans heurt ; or leur singularité, leur exigence, font qu’elles vont être obligées de se dresser contre la société et le monde, pour s’affirmer ; elles deviennent rebelles par nécessité.
Chacun d’entre nous a en lui : l’ « animus » et l’ « anima », comme disait Claudel, c'est-à-dire l’intellect et l’imagination.
J’ai toujours vu dans la femme, l’être qui privilégiait l’imagination.
Explorer le féminin me passionne et m’enrichit.
Quand on écrit, quand on descend dans l’intimité, ce n’est pas soi qu’on trouve, ce sont tous les êtres que nous pourrions être, tous les êtres qui nous ont faits.
Lorsque je suis en train d’écrire, je touche la réalité humaine des autres, pas seulement la mienne.
Pour moi, il n’y a d’expérience de vie que dans l’altérité.
Quand je descends absolument au fond de moi, c’est encore moins moi que je trouve, puisque j’y trouve quelque chose de l’ordre de la transcendance que Saint Augustin désignait comme étant au plus profond de l’intériorité : l’absolu
Je ne doute pas que l’art romanesque ait une certaine puissance philosophique ; raconter des histoires, ce n’est pas s’abstraire du champ de la pensée; c’est, avec des personnages de chair, des émotions et des situations, dire le monde, mais inviter aussi à réfléchir sur le monde ; en écrivant cette histoire, je faisais en sorte que plusieurs lectures soient possibles.
Pour moi, l’art romanesque, c’est créer de nombreuses pistes qui permettent dans un halo d’émotions et de réflexion de penser par soi-même."