Florence Delay, de l’Académie française : Mes cendriers

À rebours du discours public, l’académicienne s’entretient avec Jacques Paugam
Florence DELAY
Avec Florence DELAY de l’Académie française,

Florence Delay, de l’Académie française, nous offre avec son dernier ouvrage, Mes cendriers, un autoportrait peu banal au travers des cendriers qui l’ont accompagnée au cours de sa vie. A contre-courant de l’antitabagisme, l’invitée de Jacques Paugam, persiste et signe !

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : pag742
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Une ode à la cigarette

« Pauvre tabac, rémanence du calumet indien de la paix sur lequel s’abattent, payant pour tout le reste comme l’âne des Animaux malades de la Peste, toutes les foudres de la science médicale, de la morale et de la loi », écrivait l’académicien Marc Fumaroli dans son dernier ouvrage, Paris-New York et retour.

À contre-pied de l’actuelle diabolisation du tabagisme, Florence Delay sait pertinemment tout ce qu’il y a d’incorrect à clamer le lien quasi-viscéral qui existe entre elle et la cigarette, elle qui s’est autoproclamée « la productrice des cendres » ; et elle s’amuse même des publicitaires s’acharnant à retirer cigarettes et pipes des lèvres nicotinées de Malraux, Sartre ou Jacques Tati sur les affiches de la capitale.

Florence Delay occupe le 10è fauteuil de l’Académie française depuis 2000.


Discours rare par les temps qui courent, elle évoque inlassablement, passionnément, entre deux anecdotes sur Garcia Lorca ou sur Hemingway, la grâce des phalanges serrant une cigarette, tel un prolongement naturel de la main ; l’agressivité virile du cigare ; les mégots honnis, ces « horribles créatures » qui jonchent tous les trottoirs de Paris ; l’éveil de l’imagination à la vue des volutes de fumée ; le rituel main / briquet / flamme / fumée / cendre, véritable « résumé-express de notre vie ».

C’est que Florence Delay avoue être fumeuse « génétiquement », tant son amour de la cigarette est lié à l’amour parental et à l’amour de la littérature ; elle raconte que son père, l’académicien Jean Delay (de l'Académie française) était en son temps un grand fumeur de gitanes, à une époque où la cigarette était encore liée à un univers valorisant, au personnage du réfractaire.

Elle s’étonne que notre société soit passée d’un extrême à l’autre dans son approche du tabac, naguère encore considéré comme médicinal, mais note aussi avec malice que les récentes lois donnent paradoxalement aux fumeurs un plus grand plaisir à sortir une cigarette, en raréfiant l’acte de fumer.

« Mes cendriers, mes muses »

L’acte de fumer, Florence Delay en apprécie l’élégance, le silence – également le fait que la cigarette occupe la main qui n’écrit pas. Mais ce que préfère l’auteur de Riche et légère, c’est peut-être encore la « communauté » de cendriers qu’elle a accumulés au cours des années, tout en réfutant pour autant le terme de collection : ces cendriers dénichés par hasard, hérités, donnés, « se sont trouvés là sans que je les cherche, mais si je les ai rapportés d’ailleurs, c’est qu’ils m’avaient fait un petit signe, désireux de rejoindre l’archipel », écrit-elle.

Florence Delay attribue une « âme » aux objets inanimés, qu’ils partagent avec tous ceux qui s’en sont servis ; il en jaillit un passé, une histoire, une « fontaine narrative », et c’est pour cette raison que chacun de ses cendriers a sa personnalité, son pouvoir d’évocation propre. Certains sont ses compagnons intimes, d’autres évoluent plus librement ; certains sont connotés positivement, d’autres semblent plus sombres, plus inquiétants même, tel ce cendrier rapporté d’Inde qui lui rappelle irrépressiblement la misère des Intouchables aperçus là-bas, ou ce cendrier macabre aux motifs de squelettes, trouvé pendant la fête des morts mexicaine.

Mes cendriers est en apparence un tout petit livre avec ses 123 pages, mais se révèle être, selon les mots de Jacques Paugam, « une fête de l’intelligence, de la culture, de la liberté d’esprit et du cœur ».
C’est un livre tout en force et en délicatesse, souvent drôle ; souvent grave, aussi. À travers ses cendriers, autant de balises d’étapes de vie, d’étapes d’écriture, d’étapes d’amour, Florence Delay livre une réflexion sur le temps qui passe, les joies et peines du vieillissement et la perspective de la mort.

« La cendre est chaste », nous dit-elle, car ayant brûlé, elle a été purifiée. Elle est objet de pénitence, à l’image de Saint François d’Assise qui en saupoudrait les plats trop savoureux ; mais elle est aussi prémisse de la renaissance : Florence Delay remarque que dans le calendrier chrétien, le mercredi des Cendres précède symboliquement la résurrection pascale, ainsi que la Pentecôte et ses langues de feu. Cendre de cigarette, poussière de la condition humaine, même combat, du berceau au tombeau, de la cartouche au cendrier.

Florence Delay dit s’inquiéter de la honte de la mort qui s’est répandue dans notre société. En ce qui la concerne, elle la regarde bien en face, de la même façon qu’elle regarde en face les dangers du tabac. Au reste, pour les éventuels inquiets de la santé de l’académicienne, celle-ci avoue avoir beaucoup diminué sa consommation ; mais pour le symbole, Florence Delay ne se sent pas prête à jeter son précieux porte-cigarettes. « Peut-être qu’un jour je ne fumerai plus », lâche-t-elle sans trop y croire. « Mais j’aurai toujours des cigarettes dans mon sac ».


En savoir plus :

Florence Delay est traductrice, romancière, essayiste, dramaturge et comédienne. Agrégée d'espagnol, elle a longtemps assuré un enseignement de cette langue. Interprète de Jeanne d'Arc dans le Procès de Jeanne d'Arc de Robert Bresson en 1962, elle publie son premier roman en 1973. Prix Femina en 1983 pour son roman Riche et légère, elle a été élue à l'Académie française en décembre 2000.

Quelques oeuvres de Florence Delay :

- Minuit sur les jeux (1973)
- Le Aïe Aïe de la corne de brume (1975)
- L’Insuccès de la fête (1980)
- Riche et légère (prix Femina en 1983)
- Course d’amour pendant le deuil (1986)
- La Fin des temps ordinaires (1996)
- La Séduction brève (1997)
- Dit Nerval (1999)
- Graal Théâtre (avec Jacques Roubaud), Gallimard, Paris, 2005.
- Mon Espagne. Or et Ciel, Hermann, Paris, 2008.
- Mes cendriers, Gallimard, Paris, 2010.

Retrouvez aussi notre entretien avec Florence Delay dans la rubrique « L'Essentiel » ainsi qu'une interview Florence Delay, de l’Académie française, rend hommage à Mgr Daniel Pezeril. Vous pouvez également écouter le discours de réception qu'elle a prononcé pour Mgr Dagens Réception de Mgr Claude Dagens à l’Académie française

Consulter la fiche de Florence Delay sur le site de l'Académie

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