Alexandre Dumas père, grand chasseur devant l’Eternel !

par le bibliologue Bertrand Galimard Flavigny

Alexandre Dumas père (1802-1870) fut un grand chasseur devant l’éternel. Ce fut même une passion, il ne se passait pas de voyages, tant en province qu’à l’étranger, sans partie de fusil et abattage d’animaux à poils et à plumes...

Émission proposée par : Bertrand Galimard Flavigny
Référence : pag428
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Témoin de l'amour d'Alexandre Dumas pour la chasse, cette lettre adressée, le 21 juin 1833 à Alfred Tattet, épicurien et compagnon de ribote d’Alfred de Musset, Alexandre Dumas déclinait, notamment, une invitation à dîner : « Mercredi prochain je serai à la chasse ainsi impossible à mon grand regret d'aller dîner chez vous » , écrivait-il.

Dans leur Récits de campagne et de chasse, Jérôme et Valentine del Moral citent Dumas parmi les écrivains cynégétiques : « prit parfois la chasse comme prétexte à des nouvelles ou des romans. […] Sa dernière chasse eut lieu à Naples, à Capodimonte, le 10 septembre 1860, ses derniers coups de fusil furent tirés aux abords du château d’Ormesson », rapportent-ils (1). Quant à ses premiers coups, ils datent de février 1815. Alexandre n’était plus tout à fait un enfant et encore loin d’être un adulte. Pour ses étrennes en 1806, son père, quelques semaines avant sa mort, lui avait offert « un charmant fusil à un coup dont la crosse était garnie d’un coussin de velours». Ce n’est pas avec cette arme que le jeune Dumas tira pour la première fois, car, faute de revenus, la veuve de Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie dit le général Dumas fut contrainte de vendre « tous les objets qui ne nous étaient pas strictement nécessaires. »
Tirant sur les perdrix rouges, comme les sangliers et même les loups, Dumas profitait à tous les instants de la chasse grâce à sa plume. Dans une autre lettre adressée le 4 octobre 1820, à son ami Auguste Boussin employé des contributions indirectes à Questembert, évoquant les femmes, il ne put s’empêcher de parler de ses parties de chasses. Il avait tué la veille un chevreuil, sa 130e pièce : « Cet exercice auquel je me suis un peu trop livré m'a rendu aussi gros que vous lorsque vous relevâtes de maladie et aussi blanc que mes ancêtres du Nouveau Monde ». Dumas était alors âgé de 17 ans ; ne nous étonnons pas qu’il prit tant de plaisir à prolonger ses chasses en composant bon nombre de textes cynégétiques, parus dans des journaux comme La Presse ou dans des revues comme La Chasse illustrée, dont il fut l’un des fidèles collaborateurs. La lecture de ses récits de voyage, notamment Les Impressions de voyage, publiées par Guyot et Carpentier, en1834, celles consacrées à la Russie, et à son circuit de Paris à Cadix, chez Dellhoy, en 5 tomes en 1847 et 1848, révèlent des histoires de chasse. Certains de ses textes furent réunis dans Mes Mémoires, chez Cadot, en 22 tomes en 11 volumes de 1852 à 1856.

Or, d’Alexandrie, près de Gênes, le 21 mai 1860, l’écrivain, dans l’attente de nouvelles de Garibaldi, écrivit à Emma Mannoury-Lacour, avec laquelle il entretenait une liaison. Il lui disait notamment : « J’écris mes trois premières lettres de chasse à Léon Bertrand - pour ne pas y mettre d’affectation puis ensuite à Anatole, une de temps en temps ». Le personnage cité était le rédacteur du Journal des chasseurs, fondé en 1837 (2). Qu’étaient devenues ces « Lettres » ? Claude Schopp qui s’est fait une spécialité de découvrir des inédits de Dumas et de les publier, se lança dans l’enquête, consulta la collection du Journal des chasseurs. Rien. Il ne découvrit aucune trace de sa signature. Sachant que Gaspard de Cherville, collaborateur de Dumas et véritable auteur – il l’a avoué lui-même – du Lièvre de mon grand-père (chez Cadot, en 1857), tenait la «Rubrique cynégétique» de La Vie à la campagne. Claude Schopp consulta ses pages et découvrit qu’entre septembre 1861 et janvier 1864, dans ses numéros 44, 45 et 46, sous le titre générique de Mes chasses, quatorze articles étaient signés «Alex. Dumas ». « Chaque livraison est illustrée de soixante charmantes vignettes placées en tête et dans le corps des articles », explique-t-il dans la préface qu’il a donnée à la publication de Mes chasses, réalisant ainsi, près d’un siècle et demi plus tard, le projet de leur auteur (3).

Alexandre Dumas père (1802-1870)

Dumas avait eu cette volonté de réunir ces articles en un volume chez Furne et Cie qui éditait La Vie à la campagne. Il en demanda même l’autorisation à son éditeur principal Michel Lévy, qui le lui accorda, mais à condition que cette publication ne dure que trois ans. L’affaire ne se fera pas, sans doute à cause d’un différent d’ordre financier. Sans la sagacité de Claude Schopp, nous ne tiendrions pas cette « édition originale » de Mes chasses entre nos mains. Celle-là est importante pour la connaissance du père de Monte- Cristo, car ces récits montrent sans fard et sans détour, le personnage dans l’une de ses activités qui explique bien des traits de son caractère. Il y a de la gourmandise dans cette anthologie qui puise à pleine main dans l’autobiographie.

Texte de Bertrand Galimard Flavigny

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(1) Récits de campagne et de chasse, réunis par Jérôme et Valentine del Moral, Bouquins/Robert Laffont, 1020 p.
(2) Le titre de la revue devint à partir du 6 novembre 1869, à la suite de sa fusion avec La Vie à la campagne, La Chasse illustrée et La Vie à la campagne. La publication fut suspendue pendant la guerre de 1870 ; puis le 6 janvier 1872, elle prit en outre le nom de Journal des chasseurs. À partir de 1900, elle parut sur papier couché avec des illustrations en phototypie.
(3)Mes Chasses par Alexandre Dumas, les Billets de La Bibliothèque, 220 p.


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