Élire, élection, électrice, élite... et grands électeurs

Jean Pruvost, lexicologue, traque les mots autour des élections

Comment a évolué le mot "élection", et ses diverses expressions à travers cinq siècles de dictionnaires ? À quand remonte le rapprochement entre élection et vote ? Et que dire des mots ballotage, suffrage, scrutin, censitaire ? Toutes ces explications figurent dans l’ouvrage de Jean Pruvost Les Élections paru aux éditions Honoré Champion dans la collection "Champion les Mots".

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : pag1054
Télécharger l’émission (18.9 Mo)

Avec Jean Pruvost, on se promène avec délice au sein des dictionnaires depuis qu'il en existe.



Quelle place le mot "Élections" tient-il dans les dictionnaires? Quelle est l’origine de ce mot, et son histoire ? A-t-il subi au fil des siècles une évolution ? Et, dans le même ordre d'idées, d'où viennent les mots associés à l'idée d'élection : électeur, scrutin, ballottage, censitaire, isoloir... bref, vous l'avez compris, ce sont les mots des élections que nous allons passer en revue avec notre invité, que vous connaissez tous, puisqu'il anime sur Canal Académies, la rubrique régulière "le sens des mots" : Jean Pruvost, lexicologue et collectionneur de dictionnaires.



Notre invité lexicologue rappelle tout d'abord l'étymologie du mot élection et sa relation à l'idée d'un choix.



Ainsi, trouve-t-on dans la chronique de Rains (Reims) de 1260 : "Et s'assemblèrent les barons du royaume et firent roi par élection". Quant au mot "élite", il est mentionné dans "A votre eslite" c'est-à-dire à votre choix par Chrétien de Troyes en 1176...





Jean Pruvost rappelle le tout premier dictionnaire dans lequel on lit (en français) le verbe "élire" : en 1539, le dictionnaire francois-latin. Mais déjà dans le haut Moyen Âge on parlait en Allemagne des Électeurs du Saint Empire Romain Germanique. Les Électeurs (écrit avec un E majuscule) au nombre de 7 (4 princes et 3 hommes d'église) élisaient l'Empereur...



Nous abordons ensuite le XVIIe et les mentions du mot élection dans l'un des plus importants dictionnaires du XVIIe, le Richelet (1680). Remarquons tout de suite que le mot électeur n'a pas encore de féminin, l'électrice est seulement la femme d'un Électeur et l'élue, la femme d'un élu...

Furetière, (de l'Académie française, 1662) et son Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et des arts en trois volumes, datant de 1690, en donne une dimension plus encyclopédique comme on peut s'y attendre.



 

Page 1 du Dictionnaire françois contenant les mots et les choses de Pierre Richelet, 1ère édition 1680

 

 



Incontournable : le Dictionnaire de l'Académie française ! Dans sa première édition qui date de 1694, il apporte une nouvelle approche et offre de nombreux exemples de mise en situation du mot. Et Jean Pruvost n'omet pas d'évoquer Thomas Corneille, frère de Pierre, qui, la même année, publie un Dictionnaire des sciences dans lequel il définit le mot "electuaire", terme de pharmacie, recette d'apothicaire.



Au XVIIIe siècle, on peut remarquer deux dynamiques : la précision et l'esprit critique. Ainsi l'abbé Gabriel Girard (de l'Académie française), secrétaire du roi, publie Les synonymes françois. Les Encyclopédistes avec un esprit plus scientifique, parlent de l'élection mathématique ou arithmétique mais utilisent le mot également en droit, en histoire, en philosophie ; ils répertorient les "pays d'élection" ces 181 juridictions royales (où se trouve un tribunal) dans tout le royaume... et aussi l'élection en théologie (en pleine querelle jésuites-jansénistes).



Surprise, le verbe oublié : ELITER : "vous élitez ma marchandise" autrement dit, éliter, c'est prendre le meilleur d'une chose.



Quant au mot "VOTATION", qu'on utilise encore de nos jours en Suisse romande, il existe avant le mot voter et se montre finalement encore tout récent... (le dictionnaire de l'Académie française n'en parle que dans la 5 ème édition en 1798). Et le mot "vote " serait anglais à l'origine, même si votum en latin exprime un voeu.



Avec le XIX e siècle, on entre en démocratie, après moult formes d'autres régimes politiques, et les mots prennent leur connotation moderne.



Maurice Lachâtre, dans son Nouveau Dictionnaire universel, emploie désormais le mot "ELECTRICE" en suggérant qu'on pourrait permettre aux femmes de voter "dans un avenir prochain" (il faudra attendre plus de 3/4 de siècle tout de même et l'ordonnance du 21 avril 1944 )

Il utilise un mot spécifique "ELECTIF ".



Venons-en aux deux grands du XIXe : LAROUSSE ET LITTRE (tous deux républicains convaincus et candidats à des fonctions publiques). Littré offre le mot inattendu de ELECTIONNER (agir pour préparer les élections). Et Jean Pruvost termine en évoquant pour la fin du siècle, deux autres témoins importants : Ferdinand BUISSON (collaborateur de Larousse et ministre de l'Instruction publique) et l'astronome Camille FLAMMARION qui proposera, lui, le mot ELECTIONNEUR.



Pour résumer la présentation de ce livre 144 pages, très illustré, présenté de manière simple, claire, avec de nombreux encadrés pour les définitions essentielles,



- 1ère partie : les mots dans les dictionnaires au fil des siècles

- 2è partie : les mots de la même famille et aussi la vingtaine de mots du même champ lexical, c'est-à-dire qui se rattachent à ce même thème des élections.

- 3è partie : citations et expressions, formulations, proverbes, on trouvera "une élection de maréchal" , la définition du "vase d'élection" et aussi la patrie d'élection et de nombreuses citations. Une autre émission sur Canal Académie vous propose d'ailleurs des citations d'académiciens qui ont utilisé ce mot élection.



Le livre se termine sur quelques pages d'humour, avec des mots que l'on trouve dans des dictionnaires des jeux de mots, des bêtisiers, des citations de chansonniers qui s'en donnent évidemment à cœur joie, sur le dos des hommes politiques.



Bref : petit livre en taille mais fort complet...avec bibliographie et index. et pour moins de 10 euros !









 

 

 

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise et où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.



Écoutez toutes les émissions de Jean Pruvost sur Canal

Académies !








 

Cela peut vous intéresser