Napoléon et les Arts : la création à la gloire de l’Empire
Napoléon a choisi les arts comme vecteurs de communication du pouvoir. Architecture, peinture, sculpture et arts décoratifs entrent alors au service de la gloire de l’Empire. Jamais alliance aussi forte n’a été passée entre le pouvoir et le monde de la création. Jean-Michel Leniaud nous présente le projet de Napoléon pour les arts dans un magnifique ouvrage paru aux éditions Citadelles et Mazenod.
Napoléon a mené une politique très active dans le domaine des arts. Il avait en fait une idée très précise de ce qu’il attendait des artistes : ils se devaient de glorifier son pouvoir.
Architecture
- Dans le domaine architectural, il voit grand et nourrit de vastes desseins d’urbanisme. Il se méfie pourtant des architectes et préfère solliciter le génie ou les Ponts et Chaussées. Sous son règne, plusieurs tendances s’affrontèrent en architecture, les architectes qui poursuivaient la tradition du XVIIIème comme Peyre, membre de l’Institut, ou Brongniart et les tenants de l’antique comme Poyet (Corps législatif) ou Vignon. Dans ce paysage officiel, deux hommes se distinguent, Percier et Fontaine. Elèves de Peyre, ils sont les véritables acteurs du goût impérial. Dès 1800, Joséphine leur confiait les travaux d’embellissements de la Malmaison. En 1805, Napoléon les chargeait du réaménagement du Louvre. En 1813, Fontaine devint premier architecte de Napoléon. Il est difficile d’étudier l’œuvre architecturale de l’Empire dans la mesure où beaucoup de chantiers ne sont qu’entamés lors de la chute de l’Empire (arc de Triomphe) alors que d’autres n’ont jamais vu le jour (liaison Louvre-Tuileries, palais du roi de Rome). Emerge tout de même un style inspiré de la Rome impériale par le gigantisme des proportions et la pureté des lignes (palais Brongniart, Madeleine, Palais Bourbon). Au-delà des grands chantiers pour lesquels Napoléon voulait du grandiose, il favorisa l’essor d’une architecture utilitaire faisant appel aux techniques nouvelles de construction, en particulier au fer dont il préconisa l’emploi pour les ponts (passerelle des Arts).
Peinture
- En peinture, on reprocha l’émergence d’une peinture officielle, entrée dans un système institutionnelle bridant toute créativité. Il est vrai que la peinture napoléonienne répond d’abord aux commandes officielles d’où une peinture qui met en scène les fastes de l’Empire (Le sacre par David ; La bataille d’Eylau par Gros) et son empereur (portrait par Gérard, Girodet, Ingres). Comme l’écrit, Jean-Michel Leniaud « le souci d’informer remplace l’incitation à méditer ». Quant au style, un maître domine, Jacques Louis David, et avec lui, le néo-classicisme. Il a toutefois su favoriser, l’éclosion des talents qui ont à la fois fondé le romantisme et l’orientalisme. C’est bien dans les toiles de Gros et de Géricault (Cuirassier blessé quittant le feu, 1814) que l’esthétique épique ouvre la voie vers le romantisme.
Dans le même temps, se développe un goût pour le Moyen-âge que l’on qualifie de style « troubadour » (Le Tournoi par Revoil – 1812) alors que la peinture intimiste revient en force. En fait, malgré son tempérament autoritaire, David admettait avec bienveillance les projets esthétiques les plus contradictoires. Pour lui, tous les genres sont bons, dès lors qu’on y excelle.
Sculpture
- Tout comme la peinture, la sculpture fut elle aussi accusée d’être à la solde du régime. Il faut dire qu’après avoir quasiment disparu sous la Révolution, la sculpture renaît. Dès le Consulat, Bonaparte lance de grands chantiers nécessitant des décors sculptés. Quels sont ses goûts en sculpture ? Son intérêt se porte sur l’antique même s’il n’apprécie guère la nudité héroïque (Bronze en pied de Napoléon en Mars pacificateur par Canova). Sous son règne, d’ailleurs, la querelle du nu reprit. Vivant Denon, épris des modèles grecs ou romains, la défend ; Napoléon exige l’uniforme ou le costume contemporain du moins pour les personnages officiels.
Grâce aux nombreuses commandes publiques (décor des monuments publics et portraits), les réalisations sont nombreuses et révèlent une activité débordante. Plus que dans tout autre domaine, l’iconographie glorifie l’histoire du règne (reliefs de l’arc du Carrousel célébrant les succès de la campagne de 1805 ; le fronton du palais du Corps législatif exécuté par Chaudet et aujourd’hui disparu, représentant la remise des drapeaux conquis par l’Empereur). Napoléon multiplia les commandes de séries de bustes et de statues pour les musées et palais. Ces nombreuses réalisations sont effectuées par des ateliers qui rassemblent une cohorte d’artistes honorables et disciplinés pour un art reposant sur une esthétique sévère, réaliste et surtout monumentale. Peu de talents se distinguent, notons les travaux de Chaudet, Chinard ou encore Bosio annonciateurs des romantiques.
Les arts décoratifs
- Dans le projet de Napoléon pour les arts, les arts décoratifs tiennent une place tout aussi importante que l’architecture, la peinture ou la sculpture. Du fait, de la rapidité de leur exécution, on peut considérer qu’ils sont le reflet de l’esprit nouveau et permettent de mieux percevoir le style « empire ».
Dès le Consulat, de grands chantiers relancent les arts décoratifs. Joséphine, dont l’influence est déterminante dans le goût impérial, fait appel à Percier et Fontaine pour le réaménagement de la Malmaison. Vient ensuite l’installation du Premier Consul aux Tuileries puis après 1804 le réaménagement des différents palais impériaux (Fontainebleau, Compiègne, St Cloud). Un des buts de ces chantiers est aussi de soutenir ou relancer les différentes manufactures. La manufacture de la Savonnerie est ainsi chargée des tapis des palais alors que Sèvres se voit confier le service particulier de l’Empereur. L’attention de Napoléon se porte particulièrement sur l’industrie de la soie à Lyon. D’importantes commandes de soie sont passées afin de faire vivre ce fleuron de l’industrie française et surtout de fournir du travail à une population connue pour être turbulente. Les arts décoratifs ne renaissent pas que par les chantiers impériaux, c’est dans l’aménagement de la vie quotidienne que le style Empire s’impose mais là aussi sous la férule de Percier et Fontaine, qui imposent leurs conceptions aux ébénistes. Leur rôle est en effet capital dans le choix des formes, des décors et des matériaux. L’acajou règne, les formes sont rectilignes, enrichies de cariatides… le décor est inspiré de l’égyptien, du gréco-romain ou de l’étrusque. La mythologie voisine avec les symboles guerriers, les abeilles avec les aigles. L’orfèvrerie est largement sollicitée, Odiot, Thomire, Biennais sont les plus connus. Dans le domaine du mobilier, les frères Jacob se distinguent par une production immense et un savoir-faire qui témoigne des changements intervenus dans la production. Ils sont les premiers à couvrir la totalité de la chaîne de production : l’établissement compte 16 ateliers, tous spécialisés dans des activités particulières et préfigure le mariage de l’art et de l’industrie.
Présentation de l'éditeur :
- Le Sacre peint par Jacques-Louis David pourrait symboliser à lui seul les arts sous Napoléon Bonaparte. Toutes les composantes de ce qui sera le « style Empire » y figurent déjà : le goût du colossal, le rappel de l’Antiquité, la promotion du héros et l’apothéose de la nation. Jamais un souverain n’avait fait représenter cette cérémonie, jamais on n’avait théâtralisé à ce point chaque détail, jusqu’aux costumes, conçus par le peintre – dans la réalité comme dans le tableau – à la demande de l’Empereur. Le couronnement est en lui-même une gigantesque mise en scène à laquelle participent deux architectes emblématiques de l’époque, Percier et Fontaine, qui « rhabillent » Notre-Dame pour l’occasion.
L’héritage artistique de ce bref épisode est plus éclectique qu’il n’y paraît. À côté des arcs de triomphe et des colonnes érigées à la gloire des armées, on y trouve notamment les lignes sévères et imposantes des édifices de Brongniart ou Chalgrin, les motifs guerriers des tableaux de David, du baron Gros ou de Géricault, les lions et trophées des meubles chargés de bronzes, comme les lyres et les déesses ornant la Malmaison de Joséphine, ou la grâce des odalisques d’Ingres et des sculptures de Canova.
L’auteur :
- Jean-Michel Leniaud dirige l’École nationale des chartes depuis septembre 2011. Il est également président du conseil scientifique de l’Institut national du patrimoine, membre du conseil supérieur des archives ainsi que des collèges régionaux du patrimoine et des sites d’Île-de-France et de Poitou-Charentes. De 1998 à 2011, il a été membre de la commission nationale des monuments historiques.