Il descendit du ciel : Nativité et Incarnation dans l’art médiéval
Le théologien et historien de l’art, François Boespflug nous présente une vision peu connue et étonnante de l’iconographie de la Nativité.
_ Noël est sans doute de toutes les fêtes du calendrier chrétien, celle qui parle le plus au cœur. L’accent est mis de nos jours sur les retrouvailles familiales, l’enfance, la lumière, la joie, la générosité, la solidarité et le partage, ou bien encore la fécondité.
La portée proprement théologique et mystique de la fête est un peu occultée.
En d’autres temps, dans l’art paléochrétien, ce n’est pas la crèche ni la vierge à l’enfant ni la sainte famille qui ont retenu l’attention, mais l’idée de manifestation aux nations : l’adoration des mages domine les autres thèmes du cycle de l’enfance jusqu’au Ve siècle.
Durant le Haut-Moyen-Âge, et jusqu’au XIIe siècle, c’est plutôt l’identité mystérieuse entre le fils unique du Père et le fils de Marie qui a excité l’imagination.
Ensuite, sous l’influence de Bernard de Clairvaux puis de François d’Assise, ce sont la merveille de la naissance et la magie de la crèche qui ont suscité l’émotion et attiré la dévotion.
François Boespflug développe ici son analyse de la représentation de la naissance du Christ dans l’art chrétien du Moyen-Âge.
L’Incarnation
L’incarnation est un des deux dogmes fondamentaux du christianisme, l’autre étant la résurrection.
Selon les théologiens et les mystiques jusqu’au XIIe siècle, on distinguait trois naissances du Christ :
- sa naissance éternelle comme verbe de Dieu,
- sa naissance temporelle de Marie comme verbe incarné
- sa naissance spirituelle dans le cœur du croyant, comme parole et
présence du Christ en chacun.
La deuxième naissance, celle du Christ fils de Marie est bien sûr la plus représentée dans l’art. Mais il y a beaucoup d’images médiévales de la naissance du fils dans le sein du père.
La « paternité », d’abord binaire, fut ensuite complétée en trinité. L’image de la paternité nous transporte dans l’éternité.
Ce sont les relations entre les personnes divines qui sont montrées, avant et au-delà du temps. D’autres images de l’éternité de Dieu existent, telle la Trinité de Roublev.
Comment le fils unique de Dieu, passant de l’un à l’autre, est devenu le fils de Marie ?
L’Incarnation du Fils-Verbe
Pour pouvoir naître de Marie, le Christ a dû s’écarter du Père et quitter le ciel. Il dit lui-même : « Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde…. Il lui a fallu "descendre du ciel" ». Cette déclaration est reprise dans le credo de Nicée-Constantinople : « Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel - Par l'Esprit-saint il a pris chair de la vierge Marie et s’est fait homme ».
Afin d’ « entrer dans le monde », le « verbe de Dieu » a dû changer de « lieu » et donc aussi d’état. Pour le dire avec Saint Augustin, le Christ, qui était dans la forme de Dieu (forma Dei), revêtit la forme de serviteur (forma servi).
Comment se représenter ce changement ?
En Occident, des théologiens comme Saint Bernard, des mystiques comme Mechtilde de Magdebourg, puis des artistes ont pour ainsi dire composé tous ensemble un scénario. Les artistes imaginèrent non ce qui suit la venue de Jésus mais ce qui la précède. Ils nous content la préhistoire de l'incarnation.
François Boespflug évoque ensuite l’histoire créée par les mystiques (Mechtilde de Magdebourg) : un « procès en paradis » pour instruire la cause de l’humanité.
La plaidoirie des quatre filles de Dieu du Psaume 85, 11. Justice et Vérité réclamant la peine de mort. Miséricorde et Paix plaidant l’acquittement. La Justice exige la mort, la Miséricorde veut la vie.
Comment la vie pourrait-elle jaillir d’une juste mort ? Il faudrait pour cela qu’un juste meure librement par amour. Où le trouver ?
C’est alors que le fils de Dieu se lève du trône de la trinité et se prosterne devant son père : « Je serai celui-là ! ». Ainsi serait né Christ le sauveur.
L’affaire avec la crèche, l’âne et le bœuf, bien connue, correspondrait donc à une iconographie tardive du catholicisme occidental. C’est François d’Assise (XIIIe siècle) qui créa la scène attendrissante de Jésus né dans l’étable avec Marie, Joseph, et entouré des animaux.
François Boespflug nous commente ensuite une sélection d’images illustrant son analyse de cette iconographie médiévale particulière de la nativité – incarnation.
En guise de conclusion, François Boespflug répond à une interrogation que l’on serait en droit de se poser : pourquoi ces images, alors que le Moyen Âge s’en est allé et qu’elles peuvent sembler appartenir à un monde révolu ?
Notre époque aspire, nous dit-il, à réconcilier le cerveau gauche et le droit, la rationalité et la sensibilité. Mais c’est un vœu pieux tant que l’on ne prend pas les moyens de frayer longuement avec le monde de l’imaginaire. C’est pourquoi il est opportun d’attirer l’attention sur la richesse de la théologie en images : les dogmes chrétiens y reprennent des couleurs aussi.
Les œuvres d’art religieux sont une véritable mine de significations religieuses élaborées. Même les images plus traditionnelles de la Nativité ont été portées par l’immense travail de la réflexion médiévale. Le panorama esquissé nous remet en mémoire l’origine divine de Jésus.
Joyeux Nöel à tous à travers le monde !
François Boespflug, historien et théologien, a mené depuis plus de trente ans une recherche iconographique sans précédent. Professeur à l’université Marc Bloch de Strasbourg, il a publié de nombreuses études sur l’histoire de Dieu dans l’art.
Pour en savoir plus :
François Boespflug, Dieu et ses images, Une histoire de l'Eternel dans l'art, éditions Bayard, septembre 2008
Et aussi aux éditions du Cerf S'initier aux religions