Les expositions vident-elles les musées ? Le point de vue de Pierre Rosenberg, de l’Académie française
L’évènement a pris le pas sur le permanent… Pierre Rosenberg, de l’Académie française, Président-Directeur honoraire du Musée du Louvre, regrette que les salles de musées aient tendance à se vider alors que le public se bouscule dans des expositions temporaires. Un phénomène de mode, irritant, que déplore l’académicien inquiet pour l’avenir des musées.
A en juger par le nombre de visiteurs annuels (huit millions pour le Louvre) et par la compétition des architectes pour emporter les marchés de construction, il semblerait que les musées bénéficient d’une certaine mode. La réalité est bien différente : des plus grands aux plus modestes, les musées sont vides. Au Louvre, seules la Joconde et peut-être la Vénus de Milo ou la Victoire de Samothrace réalisent leur trop plein de visiteurs cependant que Poussin, Rubens, Rembrandt, Watteau, Fragonard, vous attendent dans la solitude.
Aujourd’hui, ce sont les expositions qui attirent le visiteur, les bonnes comme les moins bonnes, celles qui se justifient parfaitement par leur sérieux et leur qualité scientifique aussi bien que celles qui ne présentent aucun intérêt. Ce sont les expositions qui font du chiffre, déplacent les foules et occupent la une des journaux.
Pierre Rosenberg ayant lui-même organisé un certain nombre d’expositions, n’a certes pas dans l’idée d’en condamner le principe, il a trouvé un immense plaisir à les mener à bien et pense bien en faire d’autres. Mais leur nature éphémère et surtout leur multiplication en France et à l’étranger a détourné le visiteur de l’essentiel, le musée. On se déplace pour voir une exposition Corot au Grand Palais. Mais on ne va plus voir les Corot du Louvre ! (voir la préface dans « Aimer les Musées, une passion à partager», Editions Dumesnil).
Un phénomène de mode
Trop d’expositions sont organisées à travers le monde. Les grandes villes en comptent d’innombrables, impossible de les voir toutes et comment faire son choix ? Résultat de cette mode, le public délaisse les musées. Les expositions ont certes des aspects positifs, l’intérêt pédagogique permettant de s’immerger dans l’œuvre d’un artiste est évident. Mais cela ne va pas sans dangers. Les sujets s’épuisent, les expositions elles mêmes deviennent une sorte de marché. Risques pour les tableaux car ils sont fragiles. Une exposition, par nature éphémère, n’a de sens que si elle survit par son catalogue, fruit de recherches approfondies, et ne se justifie que si elle marque un progrès dans la discipline de l’histoire de l’art.
Le museion
Le mouseion, lieu sacré depuis l’Antiquité grecque, lieu dédié aux divinités des arts, temple habité par les muses. Depuis ces temps anciens, le musée demeure une sorte de sanctuaire, un espace magnifié où le silence de ses vastes salles entretient une atmosphère quasi religieuse, propice au recueillement et aux grandes émotions.
Pierre Rosenberg tient le musée pour une des plus belles inventions du monde civilisé.
Or visiter aujourd’hui un musée n’est pas chose facile. Le musée ne se livre pas par lui-même, il fait peur, les œuvres sont exposées les unes à côté des autres au hasard de l’histoire. L’effort n’est pas toujours fait pour rendre le musée plus accessible. Quant à la baisse de culture artistique, historique et mythologique, pour ne pas dire religieuse, elle n’en favorise guère l’attrait. D’où l’importance d’encourager dans les lycées, l’enseignement de l’histoire de l’art.
Un cri d’alarme
Pierre Rosenberg déplore l’engouement pour les expositions au détriment des salles de musée. Cette sensible désaffection pour les musées peut avoir de fâcheuses conséquences pour leur avenir.
Pourquoi les institutions publiques ou les mécènes privés investiraient-ils des fonds pour un musée vide ? Un musée qui n’enrichit plus ses collections est un musée qui meurt. Un musée doit maintenir une activité scientifique, sortir des publications, entreprendre régulièrement des restaurations d’œuvres, etc. faute de quoi, il est condamné à disparaître.
Pierre Rosenberg rend hommage à l’un des plus éminents historiens de l’art, André Chastel : "le premier devoir scientifique du musée est l'établissement d'un catalogue cohérent et régulièrement tenu à jour" et de citer en exemple les catalogues de la National Gallery de Londres de Martin Davies qui, pour ma génération, furent les modèles que nous tentions d'égaler. (Extrait d’un article de Pierre Rosenberg à propos de l’essai d’André Chastel).
Cette situation exige absolument une réflexion internationale des responsables des musées pour s’interroger quant aux moyens de combattre ce processus.
Une réflexion qui nous mène vers l’ART, le BEAU, les IMAGES.
Pierre Rosenberg développe ce thème en général et en particulier s’agissant des musées. Il souligne l’importance de l’EDUCATION.
Il est persuadé que le public des musées doit se cultiver dès le plus jeune âge, des visites régulières en famille ou par l’école.
Le président-directeur honoraire du Louvre élargit ses observations ensuite sur l’art contemporain. Et le fait qu’il exerce un énorme attrait sur la jeunesse, nous laisse espérer que ces jeunes retrouveront le chemin vers l‘art ancien.
Après ce champ d’interrogation sur le monde des musées et des expositions, souhaitons qu’une évolution des esprits favorise un regain d’intérêt pour cette belle institution qu’est le musée.
Pour en savoir plus
- Ecouter d'autres émissions avec Pierre Rosenberg :
- L’Essentiel avec...Pierre Rosenberg, de l’Académie française
- Pierre Rosenberg, de l’Académie française : Itinérance à Venise
- Les cent plus beaux tableaux des États-Unis selon Pierre Rosenberg
- Les Fragonard de Besançon, avec Pierre Rosenberg, de l’Académie française
- Pierre Rosenberg, de l’Académie française, et son Dictionnaire amoureux du Louvre
- Louis Cretey, l’artiste sorti de l’oubli, présenté par Pierre Rosenberg
- Pierre Rosenberg, Dictionnaire amoureux du Louvre, aux Editions Plon
- Thierry Gausseron, Gilles Mentré, Aimer les Musées – une passion à partager, préface de Pierre Rosenberg de l’Académie française, Editions DuMesnil, 2011.