Un portrait des autorités administratives indépendantes
Cette émission est la première d’une série de trois avec Roland Drago : celle-ci dresse le portrait robot de ces Autorités et les questions qui ne manquent pas de les accompagner ; la deuxième abordera la question de la régulation, de la compétence réglementaire de ces Autorités et la troisième traitera de la question de l’Europe et du devenir de ces AAI. Marie-Béatrice Lahorgue, qui interroge ici Roland Drago, est maître de conférences-HDR à l’Université de Poitiers.
Au sein de l'Académie des sciences morales et politiques, Roland Drago préside un groupe de travail consacré aux AAI, Autorités Administratives Indépendantes.
Voici les différentes parties de cette émission :
I. Quelle réalité juridique à ce qui ressemble à un inventaire à la Prévert ?
Depuis son apparition, il y a quelque trente ans, avec la création de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), la formule des AAI a connu un indéniable succès. Le rapport de Patrice Gélard en juin 2006 au nom de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation en avait recensé 39.
Roland Drago aborde ainsi l'état actuel des AAI, se demandant si, en effet, on peut parler d’inventaire à la Prévert ?
Deux autres questions lui sont posées :
- Quels sont les missions et les pouvoirs dont sont dotées finalement ces AAI ?
- Leur création est-elle le symptôme ou le remède d’un État en crise ?
II. Un nouveau mode d’exercice du pouvoir exécutif
Ces autorités détiennent un pouvoir d’information, produisent des normes, émettent des recommandations et sont parfois aussi investies d’un pouvoir de sanction. Elles occupent une place importante dans l’ordre juridique et administratif français et communautaire (point qui sera abordé dans un troisième et dernier volet). Pourtant, elles ne correspondent pas à une catégorie précisément définie par la loi – au point que le législateur ne qualifie pas toujours comme telle une AAI qu’il crée, laissant ce soin à la jurisprudence. Leurs pouvoirs sont divers, leur composition collégiale ou non, leur appellation peut varier, leur statut aussi, cependant elles ont toutes un point commun : elles sont toutes nées de la volonté du législateur de créer un nouveau mode d’exercice du pouvoir exécutif par des autorités indépendantes du pouvoir politique et économique.
- À première vue, cela peut paraître inquiétant car contraire à plusieurs principes fondateurs de la démocratie représentative.
- Sommes-nous face à un « effet de mode » ou véritablement face à une période de transition vers un modèle nouveau d’Etat régulateur ?
- À terme, comment vont pouvoir s’articuler les deux dynamiques démocratiques, l’une représentative et l’autre participative… très à la mode aussi aujourd’hui ?
III. La planète des sages
Ces autorités doivent leur nomination essentiellement à leurs compétences techniques. Elles ont pour vocation première à être des collèges d’experts, à former ce que Thierry Tuot a appelé – en référence à un roman de science-fiction, écrit en 1963 par l’écrivain Pierre Boulle – la « planète des sages ». L’expertise est théoriquement garante d’impartialité. Roland Drago s'exprime sur ce point abordant aussi la question de la transparence.
Est-il concevable d’assister aux noces de l’expert et du profane (le citoyen) ? Ce que Jean-Pierre GAUDIN dans son livre sur la démocratie participative appelle la « rencontre des incommensurables » ? Serait-ce un facteur de progrès démocratique ?
IV. Le spectre de l’arbitraire et la rationalisation du système AAI
Aux termes de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Autrement dit, l’indépendance reconnue aux AAI, qui est d’ailleurs l’une de leur raison d’être, n’est jamais allé jusqu’à les soustraire à tout mécanisme de contrôle démocratique. Le Conseil d'Etat dans son rapport public de 2001 soulignait l’indépendance ne saurait signifier l’irresponsabilité (…) cette surveillance est la condition de leur développement et la meilleure garantie de leur bon fonctionnement.
Roland Drago est invité à se prononcer sur cette palette des contrôles qui sont classiquement exercés sur tous les corps de l’administration, alors que pour les AAI, seuls les contrôles administratifs disparaissent…
Le juge constitutionnel range les AAI parmi les administrations de l’Etat dont le gouvernement, conformément à la Constitution, est responsable devant le Parlement. Comment s’exerce justement le contrôle parlementaire en la matière ?
L’Office parlementaire d’évaluation des législations née d’une initiative parlementaire et, qui s’inscrit dans un travail (de longue haleine) de rénovation du travail parlementaire, a décidé de consacrer son troisième rapport , rendu public le 15 juin 2006, à l’évaluation des AAI. Il apparaît en réalité que la volonté du gouvernement et du parlement de respecter scrupuleusement le principe d’indépendance des AAI peut conduire à une sorte de « déni de contrôle ».
Le souci légitime de préserver l’indépendance des AAI est-il à la seule source de ce phénomène ou faut-il rechercher d’autres causes ?
Une solution – encore discutée et contestée par les juristes – a conduit à doter certaines autorités dites « Autorités publiques indépendantes » de la personnalité morale. Au premier chef de celles-ci l’AMF (l’autorité des marchés financiers) qui se substitue à la fois à la COB et au Conseil des marchés financiers (loi 2003-706 du 1er août 2003).
Ce statut d’indépendance « relooké » apporte-t-il de réelles améliorations, des solutions à la question du contrôle, de l’évaluation des AAI (en particulier peut-être à terme avec l’engagement de leur responsabilité) ?
Il n’en reste pas moins que le législateur, qui a un pouvoir de vie sur les AAI, n’a toujours pas un pouvoir de mort, même si elles peuvent à tout instant être remises en cause. Le droit communautaire – ce point sera abordé dans le dernier volet de cette série – impose désormais la mise en place d’organismes présentant une parfaite indépendance et régulièrement la question se pose de l’inscription du statut des AAI dans la Constitution (ou en tout cas de certaines d’entre elles à l’image de l’Ombudsman suédois).
Qu’est-il prévu en la matière dans le cadre des travaux du Comité de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dit Comité Balladur et ses 77 propositions ?
Roland Drago est membre de l’Académie des sciences morales et politiques depuis 1990, dans la section Législation, Droit public et Jurisprudence.
Agrégé des facultés de droit, secrétaire général de l’Académie internationale de droit comparé, président du Tribunal suprême de la principauté de Monaco. Il exerce plusieurs autres fonctions : co-directeur de l’Encyclopédie Dalloz depuis 1989, membre des comités de rédaction de la Revue internationale de droit comparé, de la Revue française d’administration publique et de la revue Administration.
En savoir plus :
- Roland Drago, membre de l'Académie des sciences morales et politiques
Quelques ouvrages pour approndir la question :
- Rapport n°404 (2005-2006) de P.Gélard Les AAI : Évaluation d’un objet juridique non identifié
- Le numéro de Regards sur l’actualité d’avril 2007 paru à la Documentation française
- L’ouvrage de M.Collet paru à la Bibliothèque de droit public (LGDJ) en 2003 sur Le contrôle juridictionnel des actes des AAI
Écoutez la communication du professeur Roland Drago du lundi 29 octobre 2007 devant l’Académie des Sciences morales et politiques :
- L’émergence des Autorités Administratives Indépendantes
- et Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République
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