Relecture de Raymond Aron, "Paix et guerre entre les nations", 50 ans après (1/2)
Ces Entretiens consacrés à une relecture de l’oeuvre de Raymond Aron cinquante ans après la parution de "Paix et guerre entre les nations" offrent cinq points de vue complémentaires pour mieux cerner la fécondité de sa pensée pour toute une génération d’intellectuels, dirigeants et responsables politiques du monde entier. Retransmission proposée en deux parties. Voici la première où vous pouvez entendre Marianne Bastid-Bruguière qui présidait ces Entretiens le lundi 5 novembre 2012, puis les points de vue de l’historien Georges-Henri Soutou, du philosophe Pierre Hassner, et de l’économiste, par Jean-Claude Casanova. La seconde partie propose, elle, les exposés de Thierry de Montbrial et du diplomate Jean-David Levitte.
Raymond Aron était membre de l'Académie des sciences morales et politiques ; élu en 1962, il y siégea durant vingt ans jusqu'à sa mort en 1982. Son oeuvre majeure "Guerre et paix entre les nations" est parue en 1962. Il y observe que, dans le passé, les temps de troubles ont incité à une méditation (Platon, Spinoza, Rousseau...) mais que les lendemains de la Seconde Guerre mondiale n'ont pas généré semble-t-il des réflexions du même ordre.
Les textes ci-dessous ne sont qu'un résumé rédigé par la rédaction de Canal Académie des propos des intervenants. Ils seront publiés par l'Académie ultérieurement.
- 1 - Georges-Henri Soutou : le point de vue de l'historien
L'intervenant rappelle ce qu'écrivait Aron lui-même : "La théorie que ce livre développe a pour titre "Paix et guerre entre les nations" parce qu'elle tend à la mise en forme rationnelle de la conduite stratégico-diplomatique". L'ouvrage propose un large contenu historique, Aron se servant de l'histoire comme source de réflexions et d'exemples. Comme le constate G.H. Soutou : "L'histoire est omniprésente et étroitement intégrée à l'ensemble de l'ouvrage" et il analyse en détails les références historiques de Raymond Aron. Les réflexions les plus fondamentales qui ont compté dans son travail relèvent essentiellement de trois auteurs :
- Hans Delbrück, historien allemand du début du XXe siècle (1848-1929) (Aron y puise toute une problèmatique de la guerre réelle historique par rapport à la guerre théorique) ;
- Treitschke (historien prussien (théorie du primat de la politique extérieure des Etats-Nation)
- Arnold Toynbee (et accessoirement Oswald Splinger) (montée et déclin des civilisations, thème qui fascine Aron).
Aron n'adhère pas forcément à ces auteurs mais il les cite souvent comme type de réflexion, comme instrument d'analyse de l'évolution du monde. G. H. Soutou expose aussi la notion de civilisation selon Aron en citant plusieurs passages de son oeuvre.
Quelle place accordée à l'histoire dans "Paix et Guerre" ? Aron se tient loin de l'histoire universitaire et se penche surtout sur les historiens qui donnent à penser... Selon Aron, les historiens préfèrent raconter les relations internationales plutôt que les analyser.
Aron a compris quelque chose de fondamental : que l'histoire n'est pas tant la science du temps, de la chronologie, que celle des différences (citation).
Pour étudier l'état du monde et son avenir, l'histoire est un élément indispensable dans une démarche pluridisciplinaire. A côté du droit et de la sociologie, l'histoire a son rôle propre par la rationalisation qu'elle permet. "Les leçons du passé ne peuvent être retenues que si elles sont insérées dans une théorie qui embrasse le même et l'autre, dégage les constances pour élaborer et non pour éliminer la part de l'inédit". Aron a donc développé une sociologie historique de l'international.
La 3ème partie du livre intitulé "Histoire" ne satisfaisait pas, en vérité, l'auteur. Il avoue dans ses Mémoires l'avoir ajoutée plus tard.
G.H. Soutou expose ensuite la manière dont les historiens des relations internationales ont reçu cet ouvrage. Aron et son livre ont exercé une forte influence sur l'école française des études des relations internationales. Cependant on peut observer qu'Aron n'a pas réellement une démarche d'historien, il utilise les éléments de l'histoire qui appuient sa théorie.
Le cours que R. Aron a donné au Collège de France (1973-1974) s'intitulait : "Histoire et théorie des relations internationales" (publié) G. H. Soutou recommande de lire "La république impériale" et aussi "Penser la guerre".
-Ecoutez l'intégralité de l'intervention de G.H. Soutou (30 mn environ) pour découvrir d'autres aspects de la pensée et du travail de R. Aron par rapport à l'histoire contemporaine, notamment sur la crise de Cuba et la théorie de la riposte graduée, ou sur la guerre froide et "les frères ennemis".
-2- Le point de vue du philosophe par Pierre Hassner,
Directeur de recherches émérite, agrégé de philosophie, il admet tout à fait volontiers que "Paix et guerre" reste le plus grand traité de relations internationales qui est jamais été écrit. Mais la philosophie d'Aron ne s'expose pas tellement dans cet ouvrage mais plutôt dans d'autres oeuvres. Pierre Hassner pense qu'Aron est kantien (contrairement à Pierre Manent). Il cite les phrases d'Aron tirées de la fin de "Paix et guerre", qui se montre en écho des mots de Kant : que savoir, que faire, qu'espérer ? Aron termine toujours sur le sens du devenir humain par une interrogation, par un "nous ne savons pas". Il évoque une discussion que lui-même a eue avec Aron, sur les probabilités de guerre entre états.
Aron a fait graver sur son épée d'académicien une phrase attribuée à Hérodote : aucun homme n'est assez dénué de raison pour préférer la guerre à la paix.
Aron a étudié autant Kant que Clausewitz (sur la guerre).
P. Hassner explique pourquoi il a pris grand intérêt à découvrir un autre livre "Les guerres en chaîne", livre toujours éclairant. De même pour "Dimension de la conscience historique". Ces ouvrages reflètent, selon l'intervenant, de manière plus claire les conceptions de R. Aron.
Ecoutez l'intégralité de l'intervention de Pierre Hassner (durée 15 mn environ)
-3- Le point de vue de l'économiste par Jean-Claude Casanova
Cette oeuvre ne donne pas, selon l'intervenant, le meilleur angle pour comprendre Aron économiste. Il maîtrisait parfaitement lesconnaissances théories de l'économie dès l'avant guerre, par sa fréquentation de Marx, Keynes, et par le maniement régulier des instruments d'information et de réflexion sur l'actualité économique. Il en connaît l'évolution et la comprend. Mais, ce livre (qui découle de deux cours à la Sorbonne en 58-59 et 59-60 que Hassner et Casanova ont suivis) est conçu avant 1962 dans un monde fondamentalement différent (avec nouvelle édition 1984 avec préface nouvelle).
Jean-Claude Casanova retrace donc les principales lignes du monde économique avant 1962 : phase de libéralisation progressive des échanges, de retour progressiste à la convertibilité des monnaies, avec un système de change, monétaire international qui n'est ni fixe (bien que Jacques Rueff le réclame en France), ni parfaitement organisé mais un système monétaire ancré sur les Etats Unis, sur la parité entre le dollar et l'or, les autres monnaies s'adaptant par des systèmes de dévaluation ou de réévaluation (avec plus ou moins le FMI), avec un déficit américain (qui préoccupait beaucoup Aron)...
Il compare cette période avec celle d'aujourd'hui : peut-on parler et pourquoi d'un déclin des Etats-Unis (déficit des finances publiques financées par le reste du monde).
Il s'interroge ensuite sur l'analyse de Aron pour percevoir comment elle reste pertinente pour aujourd'hui.
Poursuivez l'analyse de Jean-Claude Casanova, en écoutant l'intégralité de son intervention (15 mn environ).
- Ecoutez la 2 ème partie de ce colloque : "Paix et guerre" de Raymond Aron, relecture 50 ans après (2/2)
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