L’essentiel avec...Arnaud d’Hauterives
L’invité de notre série l’Essentiel est le peintre Arnaud d’Hauterives élu le 13 juin 1984 à l’Académie des beaux-arts, Académie qu’il a présidée en 1987, 1991 et 1996 et dont il a été élu Secrétaire Perpétuel le 2 octobre 1996, fonction qu’il occupe donc depuis plus de 15 ans.
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Première question : Dans votre itinéraire professionnel, dans votre carrière, quel a été le moment essentiel ?
- Arnaud d'Hauterives : Je dirais que ce moment essentiel a été l’obtention du Grand Prix de Rome, que j'ai reçu à 22 ou 23 ans. Le statut d’un artiste à cette époque était souvent difficile. Je payais mes études en étant balayeur tous les matins au Bazar de l'hôtel de ville, je me levais tous les jours à 3 heures et demie du matin et j’allais ensuite à l’École des beaux-arts. J’ai eu la chance d’avoir le Rome du premier coup. Ensuite je suis parti pour Rome, 4 ans à la villa Médicis. Nous avions la possibilité de rester, si nous le souhaitions, plus longtemps. Je suis resté 6 mois de plus.
- Jacques Paugam : Vous êtes ensuite allé en Espagne à la Casa Velasquez. Qu’est ce qui vous a le plus marqué : la peinture italienne ou la peinture espagnole ?
- Arnaud d'Hauterives : Je vais vous faire un aveu, j’ai beaucoup aimé mon séjour à Rome. C’était une découverte exceptionnelle. Il avait fallu la dernière guerre pour que je franchisse la Loire. Je suis un homme du bas de l’Aisne et à cette époque les familles campagnardes passaient leurs vacances entre cousins, cousines. Et je n'avais vu, avant cet exode, la mer qu'à Perros-Guirec, dans la baie du Mont-Saint-Michel.
L’exode m’a permis de franchir la Loire, nous nous étions en effet réfugiés en Corrèze. Découvrir Rome par la suite fut quelque chose d’extraordinaire. D’abord cette lumière. L’esprit italien m’a beaucoup plu, même si, avec l’Espagne, j’ai découvert une expression allant davantage en profondeur, moins épidermique. Est-ce dû à mes ascendances (ma grand-mère américaine était d’origine andalouse et avait le caractère très marqué de ces Espagnoles du Sud) ?
- Jacques Paugam : Vous parlez de la lumière de Rome : on trouve effectivement beaucoup de cette lumière dans vos tableaux et en particulier dans les tableaux de femmes. Mais lorsque l'on regarde vos personnages féminins, ceux-ci sont loin d'être des saintes-nitouches !
- Arnaud d'Hauterives : Non c’est certain. Ce sont des femmes dont on rêve, dont la féminité est exprimée. Ce sont des personnages très présents.
- Jacques Paugam : Le tableau qui me touche le plus concernant ces portraits féminins est celui qui s’appelle Devinette : c’est une femme nue, assise, bras croisés, dont on ne voit pas la tête. La devinette concerne-t-elle la tête ?
- Arnaud d'Hauterives : C’est effectivement en rapport avec la tête. C’était un très beau modèle, mais un tableau qui a connu une fin tragique. Il a été acheté par une personne de La Nouvelle-Orléans et a été détruit lors de la tempête Katrina. On l’a retrouvé complètement éventré. Ses propriétaires l’ont gardé et encadré ainsi, en écrivant « souvenir de Katrina ».
- Jacques Paugam : Quand on regarde votre itinéraire on s’aperçoit que vous avez non seulement fait une brillante carrière, mais que vous avez aussi toujours su garder une indépendance totale.
- Arnaud d'Hauterives : Je pense que, le premier, mon père avait ce goût pour la liberté et qu'il l'a transmis au reste de la famille, à mon frère et ma sœur. Nous sommes tous de grands amoureux de la liberté. Mon père a su nous placer très tôt devant nos propres responsabilités. Et mon passage chez les Jésuites a fortifié cette éducation. C’est sûrement, concernant ma jeunesse, un de mes plus beaux souvenirs, ce fut un endroit où j’ai rencontré des hommes extraordinaires. Les Jésuites m'ont appris la finesse de sentiments. Et j'ai beaucoup apprécié chez eux la rigueur et l’exigence.
Deuxième question : Qu’est ce qui vous paraît essentiel à dire sur votre domaine d’activité aujourd’hui, la peinture ?
- Arnaud d'Hauterives : Même si je pense que tout artiste subit généralement les désastres de la création, nous vivons, aujourd'hui, une époque de trouble général. Avant il y avait des références, des règles. Je ne suis pas du tout un passéiste attaché à une certaine pratique de la peinture. Je peins comme je le ressens, avec une parfaite sincérité. Par contre ce qui est merveilleux maintenant, c’est que tout le monde peut se prétendre peintre.
- Jacques Paugam : Qu’est-ce qui vous gêne le plus dans cette situation de la création artistique aujourd’hui ? La place de l’argent ?
- Arnaud d'Hauterives : Oui et le désir de paraître, d’être reconnu. Je n’ai jamais eu le fétichisme de mon œuvre, je l'avoue. Cela ne m’intéresse pas. La seule chose qui m’intéresse c’est le combat lorsque je peins. Le destin de mon œuvre ne n’importe pas. Ni même le besoin d’être reconnu comme un bon ou un mauvais artiste.
- Jacques Paugam : Quand vous parlez de combat, est ce que vous ressentez celui-ci comme ont pu le ressentir d'autres artistes avant vous, comme Van Gogh par exemple, c'est à dire un combat entre la vie et la mort ?
- Arnaud d'Hauterives : Non. Je suis artiste (ce sont des aveux redoutables !) par accident car je préparais une carrière de pilote de chasse. J’ai fait mes premiers vols à Reims, où j’avais commencé avec le planeur. C’est un problème cardiaque qui m’a empêché de poursuivre. A l’école j’avais toujours eu les prix de dessin. Je n’aimais que les matières qui me proposaient une véritable évasion. Grâce à ma mère je suis rentré à l’École des beaux-arts de Reims et je suis venu par la suite à Paris : à l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts. C'est en découvrant la lumière de Rome que j’ai basculé dans la non-figuration. J’ai été le premier Prix de Rome non figuratif. Ce qui fait qu’à l’époque, j’avais été complètement condamné par l’Académie !
Troisième question : Élargissons les perspectives de cet entretien au monde et à l’évolution de notre société : quelle est l’idée essentielle que vous aimeriez faire passer à ce propos ?
- Arnaud d'Hauterives : Ce qui m’étonne toujours, c’est l’importance que représente la créativité en matière artistique. La créativité qui est en fin de compte la chose la moins bien comprise par la majorité des gens. L’art est souvent bafoué et n’occupe pas la place qu’il devrait avoir. En fin de compte les artistes sont admirés et en même temps peu pris au sérieux. L’art n’est pas compris.
- Jacques Paugam : C’est une question d’éducation ?
- Arnaud d'Hauterives : Je pense que c’est un facteur important. Quand on pense à la créativité des Aztèques, des Incas, ou de la Nouvelle Guinée, ce fut une sorte de génération spontanée avec, en même temps, une parfaite authenticité. Actuellement nous sommes les récupérateurs de tout ce qui a été fait antérieurement.
Quatrième question : Pour vous quelle est la plus grande hypocrisie de notre temps ?
- Arnaud d'Hauterives : Dans le domaine que je connais le mieux, dans la création : chez les primitifs il y avait une authenticité qui me plaisait beaucoup. Nous sommes aujourd'hui dans une période de tricherie, une sorte de malhonnêteté intellectuelle.
Cinquième question : Quel est l’évènement de ces dernières années, ou la tendance apparue ces dernières années, qui vous laisse le plus d’espoir ?
- Arnaud d'Hauterives : La science et plus particulièrement le domaine médical. J’ai vu l’évolution des prix décernés par l’Institut. Au départ il s'agissait de prix littéraires (qui existent encore), mais progressivement de grands prix ont été attribués à des chercheurs. J’ai beaucoup d’estime pour ces gens qui croient et qui ont l’amour de l’être humain. Ces personnes ont réussi à faire des découvertes souvent dans des laboratoires quasi minables par rapport à ce que l’on voit à l’étranger.
- Jacques Paugam : C’est étonnant car les deux précédents invités de l’émission, Nicolas Grimal et Amin Maalouf ont répondu la même chose que vous à cette question : la science.
Sixième question : Quel a été le plus grand échec de votre vie et comment l’avez-vous surmonté, ou avez-vous tenté de le surmonter ?
- Arnaud d'Hauterives : Le mariage. Je n’ai jamais divorcé pour des raisons personnelles et religieuses, mais je considère que le mariage est quelque chose de terrible, où tout devient monotone, répétitif. J’ai perdu mon épouse le mois dernier mais nous étions séparés. Nous avions encore des relations, nous nous retrouvions, mais nous n’avons jamais voulu divorcer. Est-ce par lâcheté ou autre chose ? Mais pour moi le mariage reste quelque chose de terrible.
- Jacques Paugam : D’une façon générale ou vous avez l’impression d’avoir été une exception ? Vous avez des exemples de mariages réussis autour de vous ?
- Arnaud d'Hauterives : Oui. Mes parents. Dans ma famille nous n'aurions jamais pu entrevoir le fait que l’on puisse divorcer ou même être séparés. Ma sœur, par exemple, a toujours été très proche de son mari. Mais je vois pourtant tellement d’échecs... Dans le couple que formaient mes parents, il n’y avait ni sentiment ni désir d’imposer ou de croire que l'un était supérieur à l’autre. C’était une rencontre. Nous n’étions pas d’un milieu mondain, nous vivions dans la simplicité. C’est ainsi que j’ai découvert que cette simplicité est la plus belle des qualités. Vous savez mon père nous citait toujours, je crois que c’était de Florian, «Ne forçons pas notre talent. Nous ne ferions rien avec grâce. Jamais lourdaud quoi qu’il fasse ne saurait passer pour galant. Être soi-même.»
Septième question : Quel est votre motivation essentielle dans la vie aujourd’hui ?
- Arnaud d'Hauterives : Donner le sentiment que je suis sincère avec moi-même. Non pas par devoir mais plutôt pour se réaliser.
- Jacques Paugam : Le fait d’être Secrétaire Perpétuel de l’Académie des beaux-arts, c’est une mission pour vous ?
- Arnaud d'Hauterives : Oui. Je suis le doyen des Secrétaires perpétuels maintenant.
- Jacques Paugam : Cette mission vous a-t-elle apporté beaucoup de choses ? Du bonheur ?
- Arnaud d'Hauterives : Oui du bonheur et en même temps le Perpétuel est la mémoire de l’Académie. Il est en quelque sorte le confesseur. J’ai tellement appris, tellement vu. J’ai eu des moments d’exaltation, de plaisir. J’ai des confrères que j’adore et que j’apprécie beaucoup. D’autres que j’ai découverts et qui m’ont déçu à un degré tel que je me suis dit : «Ce n’est pas possible qu’ils aient de telles aspirations, quel est leur but ?». Mais nous avons cependant la chance d’être dans un endroit exceptionnel, à tous points de vue. Cette maison accueille des personnages de qualité, tous extraordinaires.
- Jacques Paugam : Mais n’avez-vous pas sacrifié une partie de votre vie, de votre carrière, en étant Secrétaire Perpétuel ?
- Arnaud d'Hauterives : J’estime que j’ai sacrifié ma vie, oui. C’est une sorte de sacerdoce. Au départ quand mon Académie m’a proposé de devenir Perpétuel, je ne pensais pas que cette tâche m’envahirait à ce point. Je ne le regrette pas mais, parfois, quand je me lève le matin, je pense à l’Académie et, quand je me couche, je pense encore à l’Académie. C'est pesant mais je le fais car je crois en cette maison.
- Jacques Paugam : Quelle est l’œuvre (peinture, dessin, sculpture) que vous aimeriez revoir avant de mourir ?
- Arnaud d'Hauterives : C’est un très beau tableau qui me bouleverse. Il se trouve à Amsterdam. Il est de Rembrandt et s’intitule La fiancée juive.
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- Arnaud d'Hauterives de l'Académie des beaux-arts
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