Yvonne Choquet-Bruhat, première femme à entrer l’Académie des sciences
Les travaux d’Yvonne Choquet-Bruhat sont à la frontière entre la physique et les mathématiques. Ses recherches ont conduit notamment à des progrès spectaculaires récents en astronomie, pour le calcul des ondes gravitationnelles émises lors de l’effondrement et la fusion de deux trous noirs. Première femme à faire son entrée à l’Académie des sciences en 1979, toujours proche de la jeune génération, elle poursuit ses activités de publication en leur compagnie, par passion, sans faire pour autant de la science un combat. Yvonne Choquet-Bruhat nous livre quelques moments de sa vie au cours de cette émission.
L’Académie des sciences, c'est une histoire de famille chez les Choquet-Bruhat.
Le frère d’Yvonne, François, mathématicien était membre de l’Académie des sciences ; son mari, Gustave Choquet aussi ; notre invitée y fit son entrée en 1979, devenant ainsi la première femme à faire son entrée au sein de l’institution. Et depuis peu, le fils Daniel Choquet, biologiste, s’est ajouté au palmarès.
Le père d’Yvonne aurait pu, lui aussi, trouver sa place à l’Académie des sciences : Georges Bruhat était un éminent physicien expérimentateur, titulaire de la chaire de physique à l’Ecole normale supérieure et dont le plus connu de ses livres est encore à ce jour réédité [[Georges Bruhat, Optique, éditions Dunod, 6e réédition, 2006]].
Déporté pendant la guerre pour avoir refusé de collaborer avec la gestapo, il ne survivra pas aux camps.
De cette période, Yvonne Choquet Bruhat ne garde que peu de souvenirs, « J’étais très protégée, même trop », et se laisse porter par ses études.
« Dans un sens m’a beaucoup influencée, mais il faut dire qu’il portait plus d’intérêt à son fils. Il ne pensait pas que sa fille deviendrait une scientifique connue. Il pensait que je serais une bonne mère de famille, professeur de lycée ».
Pourtant, Yvonne avance de façon brillante : reçue à l’ENS (Ecole normale supérieure), elle ressort première de l’agrégation de mathématiques, « comme ça, sans vraiment travailler » confesse-t-elle. Pour notre invitée, « les mathématiques, c’est assez simple. La physique, c’est plus pour les besogneux ! ». Et ce qui intéresse dès le départ Yvonne Choquet-Bruhat, c’est de comprendre le monde réel à travers la physique, avec les outils mathématiques.
Pourtant, l'époque signe les grandes heures du groupe Bourbaki qui promeut des mathématiques pures. On devine qu'Yvonne Choquet Bruhat est loin d'y adhérer, de même que ses maîtres que sont Georges Darmois, Jean Leray et André Lichnerowicz !
Trois hommes pour une femme
Georges Darmois, mathématicien, membre de l’Académie des sciences, était l’ami du père d’Yvonne. « Il a toujours été présent pour moi et il a été mon patron de thèse ».
Quant à André Lichnerowicz, il est son soutien. Il lui demande de résoudre les problèmes de Cauchy pour les équations d’Einstein. Ce qu’elle fit sans aucune difficulté !
Mais celui qui l’inspire s’appelle Jean Leray. Il lui confie un sujet de thèse plus intéressant, sur l’existence d’ondes gravitationnelles. C’est lui qui l’invite à Princeton où elle rencontre Albert Einstein.« Jean Leray m’a présenté à Einstein en disant que j’avais travaillé sur la relativité générale et que j’étais la fille de Georges Bruhat, mort en déportation. Einstein m’a fait entrer dans son bureau et m’a dit : exposez-moi votre thèse, ce que je fis. C’était un homme pas du tout intimidant. Je lui ai exposé ma thèse, il a trouvé cela intéressant et m’a dit de passer dans son bureau quand je voulais, lui qui ne fréquentait pas beaucoup les gens. J’y suis allée de temps en temps mais depuis, j’ai regretté de ne pas y être allée plus souvent ! En fait, ses travaux de l’époque ne m’intéressaient pas vraiment, mais je les comprends mieux maintenant.
Il cherchait ce que les physiciens ont poursuivi et poursuivent encore : une théorie unitaire qui expliquerait tout. Mais la voie sur laquelle s’était engagée Einstein à l’époque n’était pas la bonne. Il aimait bien faire des calculs mathématiques, même s’il n’était pas certain que c’était la bonne voie ».
Yvonne Choquet-Bruhat écourte son séjour à Princeton. Elle est appelée à devenir maître de conférence à Marseille, poste qu’elle occupera pendant plusieurs années. Elle remporte entre-temps la médaille d’argent du CNRS, « mais la concurrence était moins dure à l’époque » s’empresse d’ajouter notre mathématicienne. « J’ai eu plus de succès que d’ambition. Je n’ai pas eu l’impression d’avoir eu à prouver quelque chose ».
Puis elle devient professeur à l’université Pierre et Marie Curie à Paris, de 1960 à 1992, date à laquelle elle devient émérite.
Entre temps, Yvonne Choquet-Bruhat fait son entrée à l’Académie des sciences, en tant que correspondant au début, puis en tant que membre en 1979, devenant la première femme. Etait-ce une surprise ? « Oui et non » répond l’intéressée : « Lichnerowicz m’avait dit que je serai la première femme à entrer à l’Académie des sciences, mais c’est surtout Leray qui a fait campagne pour moi. Comme j’ai toujours été la seule femme partout où j’allais, ça ne m’a pas fait plus d’effet que ça ! »
Les applications des travaux d’Yvonne Choquet Bruhat
Yvonne Choquet Bruhat a créé de nouvelles méthodes mathématiques qui ont permis l’étude de plusieurs théories physiques :
- la théorie de la relativité générale, la théorie de la gravitation d’Einstein
- ou encore l’hydrodynamique relativiste
Ces formules ont conduit à des progrès spectaculaires récents, notamment en astronomie, pour le calcul des ondes gravitationnelles émises lors de l’effondrement et de la fusion de deux trous noirs ; des éléments très importants pour les détecteurs interférométriques géants d’ondes gravitationnelles comme VIRGO (projet franco-italien) ou LIGO (projet américain).
VIRGO est destiné à vérifier l'existence des ondes gravitationnelles, prédites par la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein.
Aujourd’hui, Yvonne Choquet-Bruhat continue ses activités et travaille avec Thibault Damour sur des travaux personnels et collabore avec la jeune génération.
« Comme le dit Jean d’Ormesson, plus on fait de physique plus on se rend compte que c’est une chose bien étrange que le monde... Car plus je travaille, plus je me rends compte que le réel est inaccessible ! Il y aura encore beaucoup de travail pour les physiciens ! »
En savoir plus :
Yvonne Choquet-Bruhat, General Relativity and the Einstein Equations, éditions Presses universitaires d’Oxford
Yvonne Choquet-Bruhat, Basic general relativity, cosmology and black halls, éditions Presses universitaires d’Oxford (à paraître)
Jean-François Dars, Annick Lesne, Anne Papillault, Les déchiffreurs, voyage en mathématiques, éditions Belin, 2010. Photographie illustrant le travail des mathématiciens dont ceux d'Yvonne Choquet-Bruhat
- Yvonne Choquet-Bruhat, membre de l'Académie des sciences