« Le départ de notre train est imminent »
Le langage des annonces dans les transports surprend décidément Pierre Bénard, qui épingle ici quelques spécimens du parler ferroviaire.
On nous fit d’abord savoir, bien sûr, que notre train était « entièrement non-fumeurs ». Invitation rituelle à n’en pas griller une, même à l’extrémité des voitures, même dans les lieux les plus discrets.
Puis nous fûmes avertis, dans la touffeur qui triomphait d’une climatisation fourbue, que « le départ de notre train était imminent ». Nous en conçûmes le faux espoir qu’un peu d’air frais résulterait de ce mouvement de la machine.
Ainsi donc le départ de ce train « non-fumeurs » était « imminent ».
Ce qui me semblait «imminent », à moi, c’était ce que l’on nomme le coup de chaleur, avec tout ce qui le caractérise : forte température, dessèchement des muqueuses, nausée, état de choc, voire perte de connaissance ...
Ce qui me paraissait imminent, c’était cela. On aurait dû nous informer que « notre train était entièrement non-climatiseurs » ... On aurait dû nous dire aussi que la poussée de fièvre et l’envie de vomir étaient « imminentes ».
C’aurait été, d’ailleurs, faire un meilleur usage d’ « imminent », qui normalement se rapporte à l’idée de menace. Dire « imminent » le départ du train, c’est en parler comme d’une catastrophe, de la chute d’une météorite (ou d’un météorite, c’est comme il vous plaira), de l’explosion d’une bombe à retardement ou de celle d’un scandale dévastateur.
En somme il eût été plus simple et plus correct, plus français et plus léger, de nous dire tout bonnement, tout nûment, tout crûment, tout bêtement, tout naïvement : « Notre train va partir ». Notez que je ne pousse pas le goût de la sobriété jusqu’à faire observer que l’on aurait pu dire, encore plus simplement : « On part ».
A la première station de notre étuve roulante, de notre sauna sur bogies, il fut signalé aux voyageurs qui étaient arrivés (les veinards !) que « la descente s’effectuait du côté droit ». Cette descente qui s’ « effectue » est une chose charmante. « Effectuer » s’employant, en bonne langue, pour des opérations minutieuses, compliquées, on imagine les voyageurs quittant le chaudron ambulant avec mille précautions, en veillant à chaque pas, comme Armstrong sortant du L.E.M. d’Apollo XI et s’assurant de tout, échelon après échelon, avant de tâter le sol de notre satellite.
Mais tout de même ... Il ne s’agissait que de poser le pied sur un quai de la gare de Vierzon !
A l’approche du terminus, comme chacun, ayant vidé sa bouteille, se préparait à rendre l’âme et à faire ce que l’on appelle une « bonne mort », on exprima sans nuance perceptible d’ironie l’espoir que nous avions « effectué un bon voyage ».
Au fond, c’était bien dit. Ce voyage éprouvant, dans une chaleur de four, nous ne l’avions pas fait. Nous l’avions effectué.
Pierre Bénard.
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