Agences de notation et perte du triple A : la chronique "Finances" de Jacques de Larosière
Jacques de Larosière revient sur la dégradation de la note de la France par l’agence Standard and Poors en expliquant dans quelles conditions cette décision a été prise et quelles en sont les conséquences. La France va-t-elle voir ses capacités à emprunter se réduire ou bien au contraire ce déclassement n’aura-t-il aucune influence ? Enfin, Jacques de Larosière nous éclaire sur le fonctionnement des agences de notation. L’ancien gouverneur de la banque de France et ancien président du FMI répond aux questions d’Hélène Renard.
- Le 13 janvier 2012, Standard and Poors a dégradé la note de la France d’un point : de AAA à AA+, est-ce une ingérence à l’égard du Gouvernement ?
Il est normal qu’une agence de notation, lorsqu’elle analyse un Etat, s’occupe de certains aspects de la politique du Gouvernement. En effet, l’importance de la dette publique, sa soutenabilité, la politique économique sont des éléments essentiels de l’appréciation que les marchés portent sur l’économie d’un pays et donc sur sa santé financière.
- Pourquoi Standard and Poors a-t-il réduit la note de la France le 13 janvier 2012 ?
Les marchés avaient, en fait, devancé l’Agence : en effet, les taux d’intérêt que le Trésor Français devait payer pour ses emprunts étaient nettement supérieurs à ceux de l’Allemagne. Ainsi, pour un emprunt à 10 ans, la France payait, le 15 novembre dernier (c’est-à-dire deux mois avant la décision de l’Agence de notation), 192 points de base (1,9 %) de plus que l’Allemagne qui avait pourtant la même note que la France. Cet écart n’était que de 20 points de base environ avant la crise. Si les marchés - suivis avec retard par Standard and Poors - ont décoté les emprunts publics français, c’est que nos « fondamentaux » laissent à désirer :
- notre déficit public en 2010 s’élevait à 7 % du PIB (contre 3,3 % en Allemagne) ;
- le poids de nos dépenses publiques (55 % du PIB) fait de la France le champion des prélèvements obligatoires ;
- notre déficit commercial est chronique et insoutenable (face à un excédent allemand) et dénote une baisse inquiétante de compétitivité de notre pays.
- Quelles ont été les conséquences de la perte du triple A de la France ?
a) sur notre capacité à emprunter, cette dégradation n’a eu aucun effet. Comme je l’ai déjà dit, les taux français avaient, depuis un an, subi la décote des marchés. En fait, l’écart de nos taux par rapport à l’Allemagne s’est plutôt réduit depuis le 13 janvier, date de l’annonce de la dégradation de notre note.
Le 12 janvier 2012, la France payait ses taux à 10 ans 121 points de plus que l’Allemagne.
Le 2 février, cet écart s’est réduit à 106 points de base.
Le Trésor a procédé à une importante adjudication de Bons du Trésor le 2 février 2012. Les taux sur les Bons à 10 ans ont été de 3,13 % (contre 3,29 % pour les émissions du 5 février, avant la décision de Standard and Poors). La situation s’est donc améliorée.
Cela paraît, à première vue, paradoxal. Mais plusieurs éléments ont joué :
- d’abord, Standard and Poors avait déclaré le 5 décembre 2011 qu’elle pourrait être conduite à baisser la note de la France « jusqu’à deux crans ». En définitive, la baisse d’un cran a plutôt rassuré.
- ensuite, et surtout, la politique plus active de la BCE pour fournir de la liquidité à long terme au système bancaire a contribué à faciliter les émissions des Etats de la zone euro ;
b) Quant au Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), l’abaissement de la note de la France, ainsi que celle des autres pays européens qui nous ont accompagnés le 13 janvier : notamment l’Autriche, la Slovaquie, la Slovénie (1 cran) ainsi que l’Italie, l’Espagne, le Portugal (2 crans), a mécaniquement détérioré la signature de ce Fonds (puisque celle-ci est basée sur les notes pondérées de tous les Etats de la zone Euro). De fait, la note du FESF a été abaissée d’un cran (AA+) le 16 janvier dernier.
c) sur les conditions de crédit accordées aux emprunteurs par les banques françaises, le déclassement n’a eu aucune influence puisque les taux d’intérêt de marché n’ont pas bougé et se sont même détendus.
- Les agences de notation sont-elles vraiment indépendantes ? N’ont-elles pas fait des erreurs de jugements ?
a) l’indépendance : les grandes agences sont détenues par des investisseurs privés. Pour les deux plus grandes, les actionnaires sont essentiellement des fonds de private equity (notamment le fonds Capital World Investment, le fonds Hathaway de Warren Buffet, Vanguard, BlackRock …) ainsi que des banques d’investissement. Au total, les institutions US représentent de 80 à 86 % du capital de ces agences.
La présence de représentants de grands fonds de private equity peut poser évidemment un problème de conflit d’intérêt : ces fonds sont continuellement présents en bourse et prennent des positions. De ce fait, leur stratégie peut être influencée par (ou reflétée dans) les changements de notation : d’où un risque d’instrumentalisation.
Plus grave peut-être, ce sont les émetteurs qui financent les agences de notation. On peut se poser la question : « est-il bon que le professeur-notateur soit rémunéré par les élèves notés ? » Encore plus grave fut la situation des agences de notation à l’égard des banques d’investissement qui fabriquaient et mettaient sur le marché des « produits financiers complexes » dans les années qui ont mené à la crise de 2007. Non seulement les banques rémunéraient les agences pour des notations qu’elles donnaient à ces produits, mais elles demandaient aussi - contre rémunération - aux agences de les conseiller sur les modes de fabrication de ces produits. L’agence était donc payée deux fois par son client : pour les notations et pour le conseil (conseil qui aboutissait évidemment à classer triple A les produits en question).
Le triple A donné par les Agences aux produits à base de subprime a défrayé la chronique en 2007. Ces titres se sont avérés désastreux malgré leur triple A et très vite leur note a plongé dans les profondeurs de l’abîme.
b) la qualité des notations. La qualité est très variable. D’une façon générale, on peut dire que les agences ont tendance à réagir trop tard et à suivre les événements et les marchés au lieu de les précéder. Ainsi, la notation de l’Argentine dans les années 90, celle d’une entreprise comme ENRON, montrent une grande stabilité des notes suivie, après la révélation des problèmes ou des défauts, par une chute précipitée des appréciations. Ce fut la même erreur qui caractérisa les notes des Etats européens dits « périphériques » dans les premières années de l’euro. Que les notes grecque, irlandaise ou portugaise aient été presque égales à celle de l’Allemagne, jusqu’en 2007-2008, a fortement compromis la crédibilité des agences. Cette tendance à manquer « les points de rupture », a beaucoup fait pour « euphoriser » les marchés de 2000 à 2008 et donc à endormir la vigilance des Etats et des régulateurs à l’égard des déficits budgétaires ou des bulles de crédit de ces Etats.
Ceci explique que des régulateurs et l’Union Européenne cherchent désormais à réduire la dépendance de la supervision bancaire à l’égard des notations.
Ceci explique aussi que l’Europe recherche des solutions européennes à la surveillance des notateurs. C’est, logiquement, à l’ESMA - l’Autorité Européenne des Marchés - d’assurer ce contrôle : contrôle des méthodes utilisées, suivi de la qualité des notations, autorisations, retraits d’agrément éventuels…
c) Ceci explique aussi que l’Union cherche à encourager la création d’une agence européenne de notation.
Pour être crédible, une telle initiative devrait être :
- indépendante des Etats (pour éliminer le risque de politisation),
- indépendante de l’influence des émetteurs et des actionnaires.
D’où l’idée d’une fondation privée sans but lucratif qui créerait l’Agence et d’une rémunération par les acteurs du marché (les investisseurs, les fonds, les bourses).
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-Jacques de Larosière : quelques décisions pour rassurer les marchés sur l’euro
-Développement social et développement économique, un lien nécessaire ?