Science-Fiction par Michel Pébereau : The City and The City de China Miéville
Les habitants de Beszel et d’UI Qoma, villes doubles partageant un même territoire, ont interdiction absolue d’entrer en contact avec leurs voisins. Quand le cadavre d’une inconnue est découvert dans un terrain vague de Beszel, l’inspecteur Tyador Borlù est chargé de mener une enquête qui menace de mettre en danger l’équilibre précaire entre les deux villes... Michel Pébereau présente dans cette nouvelle chronique The City and the City, roman noir classique et minutieusement construit de China Miéville. A la fois fantastique et policier, ce polar d’une virtuosité et d’une complexité étonnante, ayant reçu pas moins de cinq prix en Grande-Bretagne et aux États-Unis, est à ne pas manquer.
C’est au départ l’histoire d’une enquête policière classique. Le cadavre d’une inconnue est découvert dans un terrain vague de la ville de Beszel. On pense qu’il s’agit d’une prostituée assassinée. Et puis le problème se complique. La victime est une étudiante canadienne ; son corps a été déposé là après sa mort.
Le policier en charge des investigations, l’inspecteur Tyador Borlu, comprend vite que son travail ne va pas être facile. En suivant ses recherches, on découvre en effet progressivement que Beszel n’est pas une cité ordinaire. Elle occupe le même espace géographique qu’une autre, Ul Qoma.
Les deux villes sont inextricablement imbriquées l’une dans l’autre : un savant quadrillage attribue à l’une ou à l’autre des morceaux de rues, des maisons voisines. Chacune développe sa culture, son architecture, sa monnaie et ses habitudes vestimentaires, est soumise à ses propres lois et à ses propres autorités.
La règle, très stricte et scrupuleusement appliquée, est que les habitants de l’une doivent ignorer ceux de l’autre : ils s’« évisent » réciproquement en permanence ; c’est-à-dire qu’ils ne se voient pas, n’existent pas les uns pour les autres. Les infractions sont très sévèrement réprimées.
Une police spéciale, la « Rupture », veille ; ses sanctions sont d’autant plus terrifiantes qu’elles sont arbitraires ; certains des contrevenants disparaissent tout simplement. Il est possible de passer d’une cité à l’autre, mais selon les procédures du voyage dans un pays étranger : l’autorisation spéciale est difficile à obtenir ; et sitôt passé dans l’autre zone, le voyageur doit « éviser » son monde d’origine.
Un problème qui va freiner l’enquête sera de savoir si le meurtre est le résultat d’une infraction à la règle de l’évisement, ce qui impliquerait le dessaisissement de l’inspecteur Tyador et l’intervention immédiate de la terrible « Rupture ».
La question est d’autant plus délicate qu’on se met à soupçonner que la victime, anthropologue, conduisait des recherches sur une légende : l’existence d’une troisième ville qui cohabiterait secrètement avec les deux autres.
La découverte de cet univers kafkaïen est fascinante. Elle est réalisée avec une logique implacable, et un réalisme assez effrayant : une incontestable virtuosité. On ne peut manquer de penser aux problèmes de la cohabitation de communautés au Proche-Orient. Avec effroi. Mais aussi avec espoir.
C’est que les deux villes vivent en paix, leurs habitants étant, chacun chez soi, dans une réelle sécurité. L’enquête finira par aboutir, en dépit de ses difficultés, de la nécessité d’une coopération de l’inspecteur avec ses collègues d’Ul Qoma, de la menace permanente de cette force obscure qu’est La Rupture.
Le récit est remarquable : il se contente de décrire, avec précision et objectivité, ce monde étrange, en se gardant de tout jugement. C’est une véritable démonstration de ce que la Science-Fiction peut apporter à la réflexion sur le monde présent. Il a reçu cinq prix aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Il a été classé comme l’un des meilleurs livres de l’année 2009 par le Los Angeles Times.
China Miéville, qui a quarante ans, n’en est pas à son coup d’essai. Il est né dans une famille britannique de hippies, très engagés dans la contre-culture. Il a décidé de devenir écrivain à l’âge de treize ans, et s’intéresse aussi à la musique et au cinéma. Il a enseigné pendant une année l’anglais en Égypte, puis au Zimbabwe, avant de faire des études à la London School of Economics et à Harvard.
Il a fait de la politique aussi, au British Socialist Workers Party. Son premier roman, le Roi des rats, en 1998, est une œuvre de jeunesse. Il acquiert la notoriété en 2001 dès le second, qui relève à la fois de la « fantasy », du fantastique et de la science-fiction et qui est aussitôt couvert de prix, en Grande-Bretagne et en France : c’est Perdido Street Station.
Il y crée un univers extraordinaire, étrange, foisonnant, dans une mégalopole étouffante et fascinante, où des humains côtoient des recréés et des robots, des «xénians » - femmes à tête de scarabée, batraciens géants, hommes cactus… Les uns et les autres sont engagés dans des intrigues complexes pour le pouvoir ou pour l’argent.
Ses romans suivants, Les scarifiés en 2003, et Le Concile de fer en 2005, poursuivent l’exploration de ce monde extraordinaire, chacun contant une histoire indépendante des autres. Ils ont aussi fait l’objet de nombreuses distinctions. China Miéville a l’ambition d’écrire des romans dans tous les genres des littératures de l’imaginaire. Jusqu’à présent, chacune de ses œuvres a été une réussite.
On peut trouver Perdido Street Station (en deux volumes), Les Scarifiés et Le Concile de Fer aux Éditions Pocket.
China Miéville
The City and The City
traduit de l’anglais par Nathalie Mège
Éditions Fleuve Noir
(391 pages - 20 €)
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