Roger Caillois, classique et atypique
Damien Le Guay introduit ici l’œuvre de Roger Caillois, de l’Académie française, explorateur du monde, intellectuel à la croisée de différents courants et anti-conformiste. Gallimard lui a consacré un Quarto.
Il aimait les pierres. A travers elles il imaginait une existence déliée de superficiel, de vanité, de conformisme, un retour aux sources de l’originel. Il ne voulait pas écrire de symphonie livresque mais sur l'amour profond. Il s'exaltait de la découverte de talents (il fit connaître Borgès) et sur des sujets très divers : le jeu, l’ésotérisme, les rêves, la guerre, les voyages (l’Argentine où il vécut), les influences intellectuelles (surréalisme, sociologie…), l’imagination, la curiosité.
Loin des convenances et du calcul, ce grand intellectuel qui naquit en 191, fut tout à la fois écrivain, sociologue, minéralogiste, critique littéraire, haut fonctionnaire à l’Unesco, directeur de la revue Diogène... Se retrouvant toujours en dehors des sentiers battus, il ne cessa de braver tous les courants, toutes les polémiques, toute la déroute causée par ses passions croisées.
Une œuvre faite «de bric et de broc»
On se demande comment cet homme, membre de l’Académie française dès 1973 et devenu un grand classique du monde des lettres fut toujours ou jamais accepté dans un monde qu’il dessinait de façon non-linéaire avec un caractère hétéroclite, une œuvre singulière faite, comme il le disait lui-même, de « bric et de broc ».
Damien Le Guay, dans cette chronique, nous fait redécouvrir cet intellectuel (auquel Gallimard a consacré un Quarto en 2008). Réhabilitation ? Consécration ? Prise de conscience ? Un peu de tout cela à la fois. Pour visiter ou revisiter le monde très intérieur et complexe de Roger Caillois, Quarto propose de partir d’un petit livre très personnel qui clôture l’ensemble de son œuvre et qui a pour titre Le fleuve Alphée. C’est une autobiographie fantasmée qui fait référence à la mythologie grecque. Le fleuve Alphée est le fleuve qui, pour mourir, à la fin se dégage de la mer qu'il a rejoint pour remonter dans le lit de sa rivière. Telle est la métaphore de la propre vie de Caillois car elle traversa beaucoup d’influences littéraires, sociologiques, intellectuelles de l’époque.
Reniant les mouvements irrationnels, l'écrivain aimait avant tout quand l’homme se perdait. Il fuyait disait-il « l’effervescence spéculative » et nous mettait en garde contre l’esprit de la pensée qui vient étouffer le surgissement spontanée de la nature.
Les pouvoirs de l'imagination
Extrait de ce que dit Roger Caillois à propos de son œuvre :
- «Je me suis parfois demandé si j’aurais du mieux diriger mes intentions et entreprendre une œuvre de longue haleine. Le sentiment maussade qui m’envahit devant la diversité de mes ouvrages est né d’une instabilité incurable. Je manque de la constance que les uns reçoivent de la naissance, les autres de leurs métiers, de leurs soucis ou de leurs carrières. J’ai pris comme il venait les sujets de mes livres. Je me suis aperçu très tard qu’ils reposaient sur un dénominateur commun : les miracles des pouvoirs de l’imagination. Contrairement à l’opinion répandue, ceci l’emporte aisément et souvent sur la réalité, sur l’intérêt immédiat ou lointain et même sur le souci de la sécurité y compris chez les animaux.»
Le point de vue de Jean d’Ormesson sur Roger Caillois
«Il n’était ni poète, ni romancier, dit Jean d'Ormesson, ni homme de théâtre, ni historien. Il n’était pas vraiment philosophe ni vraiment sociologue. Il était de droite pour les gens de gauche et de gauche pour les gens de droite. Il cultivait l’ironie, le paradoxe, le contre-pied sauf peut-être l’exploration sur le mode fantaisiste du XVIe arrondissement. Aucune de ses œuvres n’a été portée à l’écran ni au grand ni au petit écran. Comment voulez-vous survivre dans de telles conditions ? »