Charles le Téméraire : la chute du "Turc de l’Occident", par Philippe Contamine (6/6)
Depuis le début du XVe siècle, la puissance bourguignonne avait suscité l’inquiétude. La progression de cette puissance, et la violence étatique du Téméraire, firent naître la peur. Cette peur, qui coalisa ses ennemis, est-elle, seule, à l’origine de la dislocation de l’État bourguignon ? Le duc Charles avait-il le sens dynastique ? Quel avenir pour la Bourgogne ? Écoutez les historiens médiévistes Philippe Contamine et Bertrand Schnerb.
D'emblée, Philippe Contamine précise : Nous savons que le duc Charles est ardent. Pour ces conquêtes, il préfère souvent la force aux négociations et ses colères, réelles ou feintes, sont célèbres. On l'appelle parfois «le Turc de l'Occident»! Oui, cette force qui va, il faut la considérer sous l'angle de la passion tout autant que sous l'angle de la raison. Son ultime ambition serait-elle de laisser un nom mythique dans l'histoire ? Paradoxalement -mais avec lui, on n'est pas à un paradoxe près !- ce chef d'État héritier d'une Maison princière, n'a pas l'idée dynastique. Il aurait dû marier sa fille, Marie de Bourgogne, au plus vite pour tenter d'offrir, de son vivant, un héritier à l'État bourguignon. Mais, il ne se voyait pas, sans doute, mourir si tôt. En tous cas, pas avant l'empereur Frédéric III dont il briguait la place !
La malheureuse entrevue de Trêves, du 29 septembre au 25 novembre 1477
L'acquisition des possessions haut-rhénanes des Habsbourg et la conquête du duché de Gueldre furent un prélude au déclenchement d'une grande entreprise diplomatique visant à concrétiser les ambitions bourguignonnes dans l'Empire.
Dans un déploiement de faste qui frappa les contemporains, Le Téméraire rencontra, à Trêves, l'empereur Frédéric III de Habsbourg. Cette brillante entrevue aurait dû être l'apogée de la politique impériale du duc de Bourgogne. Il espérait y négocier le titre de Roi des Romains ou, au moins, l'érection de ses principautés en royauté territoriale. En devenant Roi de Bourgogne, il aurait, enfin, réalisé la restauration lotharingienne.
Mais Frédéric III ne pouvait lui donner satisfaction : d'une part sa politique personnelle visait à réserver la dignité impériale aux Habsbourg, d'autre part les progrès de la Maison de Bourgogne inquiétaient nombre de princes allemands et de villes impériales, notamment dans l'espace rhénan.
Le Téméraire n'obtint que l'investiture impériale pour le duché de Gueldre, puis Frédéric III quitta Trêves précipitamment.
Charles le Téméraire, qui préparait la cérémonie de son couronnement de Roi de Bourgogne, ne put que prendre acte de son échec. Son rêve était brisé mais pas son ardeur.
La Lorraine et la mort
Philippe Contamine et Bertrand Schnerb évoquent, alors, les aventures diplomatiques et militaires du duc Charles dans les années qui suivirent : l'échec devant Neuss, les « Guerres bourguignonnes » contre les Confédérés suisses, les défaites -retentissantes et ressenties partout comme des événements insolites- de Grandson en mars 1476 et de Morat en juin 1476, la reprise des hostilités en Lorraine et sa mort le 5 janvier 1476 devant le siège de Nancy.
Pris de flanc, les Bourguignons y furent mis une nouvelle fois en déroute. Charles le Téméraire fut tué sans probablement avoir été reconnu. Deux jours plus tard le corps de dernier duc de Bourgogne de la Maison de Valois, fut retrouvé dans les marais glacés de l'étang Saint-Jean, sur le champ de bataille.
L'édifice politique érigé par le duc Charles s'effondra.
Le duché de Bourgogne et la Picardie revinrent à la couronne de France. Marie de Bourgogne épousa Maximilien, fils de Frédéric III ; la Franche-Comté et l'ensemble des Pays-Bas devinrent, alors, des possessions Habsbourg.
Un sentiment de loyauté envers la Maison de Bourgogne fut exalté par les Habsbourg et Charles-Quint, petit-fils de Marie, aima toujours à lire les Mémoires d'Olivier de La Marche, historiographe et serviteur fidèle du Téméraire.
En savoir plus :
- Philippe Contamine est membre de l'Académie ses inscriptions et belles lettres, historien médiéviste, professeur émérite à l'université Paris-Sorbonne, ses travaux portent sur la guerre, l'État, la noblesse, l'économie et la vie privée entre le XIIIe et le XVe siècle.
- Bertrand Schnerb, spécialiste de la société et des institutions bourguignonnes des XIVe et XVe siècles et professeur d'histoire médiévale à l'Université de Lille III, est l'auteur de : l'État bourguignon: 1363-1477, publié chez Perrin en 1999, et réédité chez Perrin dans la Collection Tempus en 2005.
- Écoutez les cinq premières émissions de cette série :
- Philippe le Hardi (1363-1404) : fondateur de l’État bourguignon (1/6), par Philippe Contamine
- Jean sans Peur (1371-1419) : le prince de la Guerre civile (2/6) par Philippe Contamine
- Philippe le Bon (1419-1467) : le duc du Juste Milieu (3/6), par Philippe Contamine
- Philippe le Bon, duc fastueux et prince de la Toison d’Or, par Philippe Contamine (4/6)
- L’Apogée de Charles le Téméraire : quatrième et dernier duc de Bourgogne (5/6), par Philippe Contamine
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