Le mythe de Thésée selon Pablo Picasso et le tapissier Marcel-Léon Saint-Saëns
Une eau-forte de Picasso et une tapisserie de Marcel Léon Saint-Saëns représentant Thésée et le minotaure, sont ici examinées par les élèves de l’école d’art Koronin. Deux approches et deux techniques différentes pour présenter une scène mythologie célèbre. Cette émission entre dans la série consacrée à l’étude des mythes grecs dans l’art, la musique et la littérature.
Pour continuer dans notre étude sur les trois mythes grecs de Thésée, Narcisse et Prométhée, Philippe Morin, directeur de l'école d'art Koronin livre son analyse sur deux représentations de Thésée. Pour commencer, il s'intéresse à l'eau-forte de Pablo Picasso, intitulée le Minotaure vaincu. Ensuite, il se penche sur la tapisserie de Marcel Léon de Saint-Saens, Thésée et le minotaure. Ces deux œuvres abordent le combat de Thésée contre le minotaure avec un angle différent. Violence, d'un côté, douceur, de l'autre, chaque artiste semble avoir voulu donner une symbolique différente à cette étape du mythe grec.
Le Minotaure vaincu est une eau-forte réalisée par Pablo Picasso en 1933. Ce qui frappe, de prime abord, pour Philippe Morin, c'est la douceur des traits du minotaure.
Cette pauvre bête, impuissante, clouée au sol et vaincue nous apparaît inoffensive. Elle susciterait presque la pitié à celui qui la contemple et oublie son rôle de minotaure qu'elle joue dans le mythe de Thésée. A ses côtés, Thésée tient un poignard, il vient de gagner son duel avec la bête et semble être statique, contemplant son ennemi terrassé. Philippe Morin revient sur le décor de fond de cette eau-forte, un décor qui fait tout de suite penser à celui d'une arène, sur les gradins de laquelle, le public encourage les combattants. "Les personnages ont des accessoires, des bijoux, sont parées." Elles viennent au spectacle et on peut même deviner qu'elles encouragent les deux combattants à se dépasser, à se battre avec encore plus d'ardeur. Leurs regards sont tournés vers le minotaure à terre, ils semblent vouloir vérifier que la bête est déjà morte. Peut-être sont-ils déçus? L'effusion de sang et de violence est terminée...
Évidemment, le décor revêt tout une symbolique chez Picasso. Le peintre espagnol était féru de corridas et de tauromachie, un thème qu'il a exploité toute sa vie durant mais surtout de 1928 à 1938. Ses tableaux représentant le minotaure sont aussi nombreux : Minotaure courant , Minotaure avec un poignard, Minotaure aimant une femme… Cette figure a donc accompagnée l'artiste dans beaucoup de créations. Il a même eu l'idée d'associer le thème du minotaure à celui du taureau, ces représentations forment la trame de fond de la Minotauromachie.
Intéressons-nous maintenant à la tapisserie de Marcel Léon Saint-Saens, intitulée Thésée et le minotaure. Cette tapisserie a été tissée entre 1943 et 1944.
Quelle est la première impression qui se dégage de cette tapisserie? Pour le professeur, pas d'hésitation, c'est bien sûr toute la violence de la scène qui surprend l’œil. Il est vrai que de nombreux éléments mettent en avant cette sensation d'un combat violent et sans répit. Tout d'abord, les couleurs choisis par l'artiste.
Ensuite, la position des corps.
On voit dans la position de Thésée, tout l'engagement qu'il met au combat. Il inspire la puissance et hargne, qui sont d'ailleurs par sa tunique dont les plis semblent êtres acérées et coupants. D'ailleurs, ces formes géométriques sont très présentes dans la composition: les rayons du soleil se brisent et forment comme des éclats de verre, la corne de la bête, la flamme de l'orage...
Pour Philippe Morin, la représentation du minotaure est singulière. En effet, celui-ci, comme dans l'eau-forte de Picasso, a mis genoux à terre. Son pelage, même, paraît doux, soyeux. Sa gueule ouverte et son œil affolé peuvent inspirer de la pitié. Se référant au mythe, le professeur note que la bête était en plein soleil lorsque Thésée vint l'attaquer. Elle est donc surprise, prise par derrière par un adversaire déterminé et empli de violence.
Philippe Morin y voit aussi une autre explication. Il faut alors revenir à la date de création de cette tapisserie: 1943-1944. Avec cette tapisserie, Marcel Léon Saint-Saens se sert de la métaphore mythologique pour dénoncer l'occupation allemande et la barbarie du nazisme. Ici, l'ennemi est repu, il vit sur ses acquis et ne s'attend pas à voir celui qu'il a dominé, se rebeller soudainement.
Philippe Morin nous indique également que la tapisserie peut être séparée en deux parties.
- Du côté droit, où se trouve Thésée, un orage jaillit dans le ciel et pointe vers l'ennemi. Au sol, une plante, qui pourrait être un chardon, a poussé.
- Du côté gauche, où se trouve l'ennemi incarné par le minotaure, un soleil rouge dont le centre est noir (couleur rappelant celle du nazisme), déverse des rayons agressifs vers le sol. La seule plante qui y pousse est un tronc sec et dont la forme géométrique (zig zag) dessine des angles, encore une fois, pointus.
La puissance de la vie affronte donc la puissance du mal et pourtant, la représentation même du personnage de Thésée peut déstabiliser. En effet, celui-ci a les muscles saillants, on voit tout le galbe de son mollet, pareil à celui d'un animal, comme par exemple le cheval. Son genou s'appuie sur le flanc du minotaure forçant de dernier à chuter sur le sol.
Son épée touche la gorge du minotaure tandis que son autre main, saisit avec vigueur la peau de l'animal. Tous ces éléments soulignent sa
révolte et sa détermination à vaincre l'ennemi.
Ces deux œuvres abordent donc le mythe de Thésée de différentes manières, même si des similitudes peuvent être trouvées dans les messages qu'ont voulu délivrer les artistes.
En savoir plus:
- D'autres auteurs se sont inspirés de ce thème. Il est intéressant de revoir les œuvres antiques telles "la vie de Thésée" dans La Vie des Hommes Illustres de Plutarque (éditions Charpentier) ou l'Hippolyte d'Euripide, mais aussi de consulter des auteurs classiques comme Racine et son Phèdre ou contemporains avec L’Amour de Phèdre de la dramaturge britannique Sarah Kane.
Il est surtout important de ne pas négliger le mythe de Thésée dans l'Art. S'il a été un sujet passionnant pour les compositeurs, comme par exemple le Teseo (1713) de Georg Friedrich Händel, il a surtout amplement inspiré peintres et sculpteurs.
Regardez quelques ouvrages antiques comme l'amphore d'Euthymédès représentant Thésée enlevant Hélène (vers 510 avant J.C, Munich) et consultez un vaste ensemble d’œuvres traitant du sujet : Combat des Lapithes et des Centaures : L'enlèvement de Deidamie, sauvée par Thésée (1636-1637, Musée du Prado) de Pierre Paul Rubens, Thésée retrouve l'épée de son père (1638, Musée Condé de Chantilly) de Nicolas Poussin, Thésée combattant le Minotaure (1843, Musée du Louvre) d'Antoine-Louis Barye, Minotaure (1886, Musée Rodin) d'Auguste Rodin ou encore Ariane et Thésée (1890, Musée Gustave Moreau) de Gustave Moreau.
- Pour aller plus loin n'hésitez pas à consulter le Dictionnaire amoureux de la Grèce de Jacques Lacarrière :
- Retrouvez la série d'émissions réalisée avec les élèves et les enseignants de l'école d'art Koronin.
- Consultez les autres émissions de Canal Académie évoquant ou la .