L’œuvre ultime de Picasso : Autoportrait face à la mort
Quelle fut la toute dernière oeuvre de Picasso ? Ce peintre qu’on ne présente plus, -fondateur du cubisme avec Braque et compagnon d’art du surréalisme-, resta créatif jusqu’à l’âge de 92 ans. Jacques-Louis Binet, correspondant dans la section membres libres de l’Académie des beaux-arts, et Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie nationale de médecine, s’intéresse ici à l’œuvre ultime de Picasso, durant ses 15 dernières années de création. Ce sujet sera repris -parmi d’autres- lors de la 9ème Journée du livre médical, le vendredi 16 septembre 2011 (entrée libre à l’Académie de médecine).
Les 15 dernières années de la vie de Picasso sont souvent appelées « Jacqueline ou la liberté du grand âge ».
Fatigué, vieillissant, sa dernière femme Jacqueline n’accepte plus que quelques rares visites dans leur dernière demeure : le Mas de Notre Dame de Vie à Mougins. Le peintre décide de se consacrer uniquement à son travail.
Ces dernières années riment avec solitude. Matisse, Braque, Cocteau… :« tous ses amis sont morts » précise Jacques-Louis Binet. Mais Jacqueline est là pour le protéger.
Quelque temps après une opération de la vésicule biliaire qui se déroule avec succès, le peintre âgé de 85 ans en 1968 se remet au travail et grave quelque 360 burins en 6 mois. Les frères Crommelynck, graveurs venus l’assister, n’arrivent pas à suivre la cadence !
« Il développe deux thème dans ses gravures : le mousquetaire espagnol et une explosion d’érotisme » nous explique Jacques-Louis Binet. « Ses mousquetaires ont un côté jeune, revanchard, avec une certaine noblesse dans les jeux de capes, de chapeaux et d’épées. Mais il en fait aussi des voyeurs, obsédés par les femmes. Si l’érotisme a toujours apparu dans l’œuvre de Picasso, il est d’après Pierre Daix explosif dans ses gravures ».
Ses gravures se résument en trois mots : la femme, la mort et l’obsession sexuelle.
L’œuvre ultime de Picasso : son Autoportrait à la mort
Il a longtemps demeuré très difficile de déterminer l’œuvre ultime de Picasso. Certains comme l'historien d'art Dominique Bozo ont voulu faire du Peintre de 20 ans tenant son pinceau l’œuvre ultime de peintre espagnol. Mais d’autres critiques d’art qui ont bien connu Picasso pensaient que Le mousquetaire à l’oiseau, Le vieillard assis ou encore Le voyeur étaient également des œuvres ultimes.
Jacques-Louis Binet nous apporte pour sa part encore une autre réponse : « Je pense que l’œuvre ultime de Picasso a été découverte par Pierre Daix. Ce grand critique d’art, héros de la résistance, avait été présenté à Picasso par Eluard ».
Pierre Daix est un des seuls amis admis à passer la porte de la maison de Picasso dans les dernières années de la vie de l’artiste. Tous les deux préparent un catalogue raisonné de la gravure. Lors de l’une de ses dernières visites à Picasso le 4 juillet 1972, le peintre le retient pour lui montrer un dessin : « Je crois que j’ai touché à quelque chose, ça ne ressemble à rien que j’ai déjà fait » lui dit-il. Et Picasso montre à Pierre Daix son Autoportrait face à la mort. Terrifié, le critique d’art se demande si Picasso n’a pas voulu représenter le souvenir d’une attaque cérébrale.
« Trois mois après cette visite, Pierre Daix revient pour poursuivre son travail avec Picasso. Mais ce dernier est fatigué, coupe court à l’entretien et veut lui montrer de nouveau le dessin, oubliant qu’il lui avait montré une première fois ». Cette fois-ci, Pierre Daix a le temps d’observer le dessin et voici ce qu’il écrit :
« Découpage du thème précédent en facettes contrastées, souvent par des hachures violentes, Picasso reprend la gamme des couleurs bleu de Prusse, vert et mauve du précédent, durcit les traits bistres, y ajoute des traits rouges, appuie les lignes mauves-grenats en haut du crâne vert-bleu. C’est en quelque sorte le dépassement par l’art de ce que la séquence précédente avait de directe, ce qui explique peut-être que ce portrait y a mis fin ».
Et Pierre Daix dit à Picasso en attente de son retour : « Vous avez toujours fait des autoportraits aux moments importants de votre vie ».
Il écrira un plus tard : « J’avais l’impression qu’il regardait l’image de sa mort en face, en bon espagnol, et ne faisait là qu’anticiper sa mort prochaine ».
On doit les derniers instants de la vie de Picasso au critique d'art Pierre Cabanne narré ici par Jacques-Louis Binet : « Un jour Picasso est très essoufflé, Jacqueline appelle le médecin qui vient vite. Il demande au docteur : vous êtes resté célibataire ? Vous avez tort de ne pas vous être marié, c’est utile. Il tend la main à Jacqueline et meurt le 7 avril 1973 ».
Aujourd’hui, L’Autoportrait face à la mort appartient à une chaîne de télévision japonaise. Picasso qui avait voulu s’en débarrasser l’avait mis en vente un an avant sa mort en 1972. Les musées français n'avaient pas jugé utile à l'époque de l'acquérir.
« Pour moi, L’Autoportrait face à la mort est son œuvre ultime au sens au Picasso lui-même l’avait décrite comme telle face à Pierre Daix » conclut Jacques-Louis Binet.
En savoir plus :
Consultez nos émissions évoquant
Consultez la série d'émissions de Jacques-Louis Binet consacrée à l’œuvre ultime dans l'art :
- L’oeuvre ultime de Matisse : La grande décoration aux masques
- L’œuvre ultime de Chardin : ses autoportraits
- L’oeuvre ultime de Manet : Les fleurs
- L’œuvre ultime de Brancusi : la photographie de ses propres sculptures
- L’oeuvre ultime de Louise Bourgeois : de la femme maison à son identification à Eugénie Grandet
UNE JOURNEE A NE PAS MANQUER !
Le vendredi 16 septembre 2011, se tiendra la 9ème Journée du livre médical à l'Académie nationale de médecine (16 rue Bonaparte 75006 Paris), sur le thème "l'oeuvre ultime et la médecine". Tous les artistes évoqués dans la série de Jacques-Louis Binet (Manet, Bourgeois, Brancusi, et Picasso), et bien d'autres également (Klee, Dufy, Le Caravage, Giacometti, Pina Bausch) seront présentés par les meilleurs spécialistes.
L'entrée est libre, de 9 h 30 à 12 h 15 puis l'après-midi de 14 h 30 à 17 h 30.
Pierre Daix :
Pierre Cabanne :