Alexandre le Grand , avec Olivier Picard, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Alexandre (356-323 avant J.C.) était macédonien. C’est une donnée essentielle pour comprendre son épopée. La mise au jour, en 1977, du tombeau de son père, Philippe II, et des trésors de la nécropole d’Aigai illustre l’importance et la prospérité, de la Macédoine antique. Mais, la Macédoine faisait-elle vraiment partie du monde grec ? Quel royaume, quels projets, Philippe II laissa-t-il en héritage à son fils ? Quels problèmes politiques s’imposèrent au nouveau Grand Roi ? Olivier Picard, historien helléniste, répond à ces questions.
D'emblée Olivier Picard précise : « La Macédoine antique : Grèce ou pas Grèce ? La question est posée dès l'Antiquité avec Démosthène qui, dans ses Philippiques, traite Philippe II de « barbare ».
À l'époque des Guerres Médiques, déjà, la question s'était posée. À ce moment-là, Alexandre Ier de Macédoine a demandé à participer aux Jeux Olympiques - jeux réservés aux Grecs. Les historiens anciens nous disent que la candidature de ce premier Alexandre fut acceptée car sa famille descendrait d'Argos, dans le Péloponnèse, et d'Héraklès.
Dans l'époque contemporaine la question est toujours d'actualité avec le conflit entre la Macédoine de Skopje et la Grèce.
Mais revenons à l'Antiquité. Il est certain que la Macédoine a un évolution politique différente de celle des Grecs et qu'elle n'a pas participé au premier grand développement de la civilisation grecque mycénienne. Les Macédoniens ont eu des contacts avec les Mycéniens mais il n'y a pas de royaumes mycéniens en Macédoine. Et, à cet égard, le massif de l'Olympe constitue une frontière indubitable.
Cependant, la Macédoine fait partie du monde grec et cherche à s'helléniser de plus en plus.
La culture grecque est à l'honneur à la cour macédonienne, très ouverte aux artistes et philosophes de la Grèce du Sud et de la mer Egée: Euripide y séjourne et, de 343 à 340, Aristote est le précepteur du futur Alexandre le Grand.
Les dernières découvertes épigraphiques montrent que la langue macédonienne est un dialecte grec et, par ailleurs, nous savons que Philippe II impose l'attique comme langue officielle.
Donc on peut dire que les attaques de Démosthène sont des attaques politiques et que la Macédoine est bien un rameau de la civilisation grecque. »
La Macédoine avant Alexandre III le Grand
La Haute-Macédoine, avec ses plateaux montagneux arides, est une région assez déshéritée mais la Basse-Macédoine, riche en eau, a une agriculture luxuriante. Ses ressources naturelles expliqueraient, peut-être, son développement démographique important du IV° siècle -qui permettra à Alexandre de réaliser ses conquêtes militaires.
Philippe II eut le mérite remarquable d'intégrer cette population, en plein essor, dans une organisation sociale plus ouverte et dans une armée considérée, à cette époque-là, comme la première armée du monde.
À l'origine, la Macédoine était une société aristocratique très fermée de cavaliers, compagnons du basileus, n'accordant qu'une place limitée aux fantassins.
Philippe créa une infanterie de paysans libres bénéficiant de droits politiques et qu'il menait au front, lui-même en première ligne. Alexandre, à qui son père avait attribué la cavalerie, restera un roi cavalier.
Philippe II, chef de guerre courageux, fut aussi un fin politique.
Après la victoire de Chéronée, en 338, il reprit à son compte le programme panhellénique. Il fut désigné hêgemon, général en chef, chargé de diriger l'armée commune des cités et États grecs -parmi les cités importantes, seule Sparte refusa d'adhérer.
Il s'agissait, officiellement, « de déclarer la guerre aux Perses pour venger les Grecs des profanations que les Barbares avaient commises dans les temples de la Grèce ».
Officieusement les raisons n'étaient pas les mêmes : Philippe avait besoin chaque année de conduire son armée au combat, à la victoire, au butin -si possible sur un territoire fructueux.
Après la victoire sur les Grecs, il n'était pas question de penser à piller la Grèce. La Thrace ne présentait plus d'intérêts économiques. Restait l'Asie Mineure, territoire extrêmement riche.
Au printemps 336, Philippe II envoya un premier corps expéditionnaire chargé de libérer les cités d'Asie Mineure de la domination perse et de préparer le terrain pour un débarquement prochain de l'armée toute entière.
Dans l'été 336, Pausanias, un noble macédonien assassina Philippe.
Alexandre proclama la volonté de continuer l'oeuvre de son père et reprit les préparatifs en vue « d'assurer la tranquillité et la stabilité des États européens ».
Au printemps 334, l'armée macédonienne débarqua près d'Abydos, sur les territoires du Grand Roi, Darius III. L'épopée d'Alexandre qui le mena jusqu'aux rives de l'Indus commençait.
Alexandre, le Grand Roi
Isocrate, entre autres, présenta l'Empire perse comme un ensemble en voie de décomposition, prêt à être conquis. Mais c'est faux. Rien ne permettait d'imaginer qu'il allait s'effondrer.
Jusqu'à l'arrivée du Conquérant en Phénicie, au printemps 332, le sort de la guerre n'était pas fixé.
Et pourtant, dès le début de 332 Alexandre souhaitait conquérir l'intégralité de l'Empire perse et non pas seulement ses régions côtières.
La réponse qu'il fit au Grand Roi, Darius III, après Issos l'atteste avec certitude.
La première bataille rangée entre les deux armées royales se déroula en novembre 333 en Cilicie près de site d'Issos.
Darius III, vaincu, s'enfuit. Puis, il chercha à négocier en proposant au Conquérant d'épouser une de ses filles et de le reconnaître comme son héritier.
Alexandre refusa : « Tu es vaincu, je suis vainqueur. Et dorénavant, quand tu auras à t'adresser à moi, fais-le comme au roi d'Asie ».
Les problèmes politiques du nouveau Grand Roi
En 323, l'oeuvre du Conquérant était fragile et incertaine. Les mécontentements grondaient dans son empire, en Europe et en Asie.
L'ambition d'Alexandre supposait une rupture politique complète avec le projet initial.
Grecs et Macédoniens s'opposèrent à ces changements imprévus. D'une part, fortune faite, ils souhaitaient rentrer chez eux et d'autre part, ils refusaient le modèle royal perse que le Conquérant s'attachait à imiter.
Les usages perses révulsaient les Grecs d'Europe : l'éloignement du roi de son armée, le développement de la majesté royale, l'image d'un surhomme égal aux héros, sinon aux dieux, etc.
Par ailleurs, le modèle macédonien ne pouvait s'appliquer à l'ensemble de l'Empire perse, trop hétérogène.
Il fallait trouver une voie intermédiaire entre les modèles perses et les traditions gréco-macédoniennes : instaurer une monarchie universelle, une pansileia ? Difficile à réaliser car la pensée grecque était très éloignée de ce schéma politique.
Le problème politique était d'autant plus grave qu'Alexandre était tout seul à ce moment-là.
Et Olivier Picard de conclure : Alexandre meurt en juin 323 à Babylone, avant que son projet politique soit vraiment bien défini et qu'il soit entré réellement en fonctionnement. Le problème de sa succession se pose en l'absence d'un héritier indiscutable et les principaux lieutenants du roi défunt manifestent leurs ambitions concurrentes : un roi, mais quel roi et pour quel État ?
Le monde grec mettra quarante ans à trouver une réponse.
En savoir plus :
- Consultez la fiche d'Olivier Picard sur le site de l'|http://www.aibl.fr/membres/>
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