Thucydide et la guerre du Péloponnèse

L'histoire après Hérodote (2/3)
Olivier PICARD
Avec Olivier PICARD
Membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres

Olivier Picard présente les historiens grecs qui prirent la suite d'Hérodote. Après les premiers récits organisés du "Père de l’Histoire", ils ouvrirent de nouvelles perspectives. Comment ? Par la synthèse, la critique, la recherche des causes, la philosophie de l’histoire, la prospective... Les auteurs font évoluer le genre historique. Olivier Picard parle de Thucydide mais aussi de Xénophon, Ephore, Diodore de Sicile, Polybe et Plutarque. Il est helléniste et membre de l’Académie des Inscriptions et belles lettres.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : rc538
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Le succès considérable de l' "historia" d'Hérodote donna naissance à un genre littéraire et une forme de pensées, de recherches, poursuivie jusqu'à nos jours, encore, par tous ceux qui se réclament de l'histoire.

Malheureusement la plupart des oeuvres des historiens de l'Antiquité au Xe siècle après J.C. ont disparu.

"Les fragments des historiens grecs" et leur transmission

Olivier Picard précise : "Un historien allemand a réuni ce qu'il a appelé "les fragments des historiens grecs". Il y a plusieurs centaines d'historiens dont nous ne connaissons, quelquefois, que le nom et dont les oeuvres sont à peu près perdues ; et nous dépendons à la fois de ce qui a été écrit et de ce qui a été recopié. Nous sommes tributaires du choix des "scriptoria".


Trois moments furent décisifs pour la transmission des textes :


- la période où les bibliothécaires de la Bibliothèque d'Alexandrie cherchèrent à réunir tout ce que les Grecs avaient écrit

- le passage du rouleau de papyrus au livre, moment capital, où les ouvrages non-recopiés sous forme de livres furent perdus pour la postérité

- l'époque des grands ateliers de copistes de Byzance ; certaines œuvres, connues des Byzantins aux IXe et Xe siècles, ont disparu.

Les copistes, parmi leurs choix, eurent des préférences. Ils s'intéressèrent à la Grèce classique (Hérodote, Thucydide et Xénophon), puis au moment où Rome intervint dans le monde grec et, enfin, à l'oeuvre de Polybe – dont il ne nous reste qu'une petite partie : six livres complets sur quarante.

Les grands perdants furent les auteurs qui ont raconté l'histoire de Philippe de Macédoine, d'Alexandre, des rois héllenistiques. «Pour Philippe et Alexandre, des recoupements sont possibles mais, en particulier, pour les rois du IIIe siècle, nous n'avons pas grand chose» note Olivier Picard.

Olivier Picard, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres




Histoire du temps présent ou histoire du temps passé



En évoluant, l'histoire se divisa en deux catégories.

D'une part, les auteurs qui, comme Thucydide, Xénophon, Polybe, s'attachèrent aux grands évènements du temps présent : l'histoire des évènements proches qu'ils vécurent ou connurent grâce à des témoins.

D'autre part, à partir du IVe siècle avant J.C., ceux -Ephore, Diodore de Sicile- qui se penchèrent sur l'histoire du temps passé. Ils tentèrent d'écrire une histoire universelle.

Et Olivier Picard de poursuivre : «Pourquoi ces deux formes d'histoire divergentes? Cette évolution peut être liée à la vie politique. Hérodote avait beaucoup insisté sur ce qui distinguait tant les Grecs des Barbares: le régime politique. Thucydide, celui qui domina l'histoire grecque, pense aussi que l'histoire de la cité est capitale. L'homme n'existe qu'à travers son rôle de citoyen, ou de soldat au service de la cité. Avec le déclin des grandes cités autonomes on vit apparaître un intérêt pour l'histoire de plus en plus psychologique ou morale.»






Thucydide et l'analyse de la cité




À la différence d'Hérodote, Thucydide (vers 464 -vers 400) était citoyen d'Athènes. Aristocrate, il reçut une excellente éducation et nourrit des ambitions politiques. Grand admirateur de Périclès, il chercha à l'imiter. Il fut, lui aussi, stratège en 424. Mais sa première campagne se termina mal: n'ayant pu arriver à temps pour empêcher le général spartiate Brasidas de prendre Amphipolis, il fut condamné à l'exil. Ainsi se termina sa carrière politique et militaire.

Il ne revint à Athènes qu'en 404. On sait qu'il connut la fin de la Guerre du Péloponnèse (431-404) mais son Histoire de la Guerre entre les Péloponnèsiens et les Athéniens resta inachevée. Elle s'arrêta à l'année 411, sur une phrase.

En 431, Athènes, avec Périclès au pouvoir, était à l'apogée de sa puissance. En 404, elle a tout perdu.

buste de Thucydide, né vers 460 av. J.-C, mort entre 400 av. J.-C. et 395 av. J.-C

Pourquoi cet effondrement, alors que Périclès avait annoncé une victoire?
Thucydide chercha la réponse à cette grande question dans le comportement de la cité. Dans ses quatre discours des Livres I et II, inventés pour faire parler les acteurs de l'histoire et placés dans des bouches antithétiques (Corinthiens, Athéniens, Périclès et le roi de Sparte), il analysa les causes de cet échec inattendu -même par le roi de Sparte.

Livre I, 144, Discours de Périclès aux Athéniens: « Je vois encore bien d'autres raisons d'éspèrer la victoire, pourvu que vous renonciez à profiter de la guerre pour étendre votre empire et vous jeter volontairement dans un surcroît de péril Car je crains plus les fautes que vous pourriez commettre que les plans de nos adversaires.»

Ces discours comme moyens d'analyse, exposant les arguments des deux camps, attestent que Thucydide a lu et médité Hérodote -jamais cité cependant !

Il voulut faire mieux qu'Hérodote en construisant un cadre chronologique rigoureux et précis par années et saisons, et en écartant les mythes et les dieux de l'histoire des hommes.

Le hasard (tyché) peut jouer -par exemple, la peste d'Athènes en 430, qui emporta Périclès en 429 et de nombreux citoyens- mais ne décide pas du résultat final. Les comportements humains et les institutions furent, seuls, les évènements décisifs de la Guerre du Péloponnèse.

Après Périclès, la démocratie militaire athénienne ne sut pas refréner ses tentations "va-t-en-guerre". Ambition personnelle, corruption, cupidité, démagogie et populisme, agitèrent les esprits et la cité. Sans idéal civique et cohésion sociale, Athènes courut à sa perte, malgré les faiblesses institutionnelles de Sparte, son ennemie.

Non seulement Thucydide ne retint que les causes humaines, mais ne les voulut que politiques et revêtues du caractère le plus général possible.



En savoir plus:


- Consultez la fiche d'Olivier Picard sur le site de l'Académie des inscriptions et belles lettres

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