Si j'étais votre député, Aristide Bruant

Robert Werner lit les poètes
Robert WERNER
Avec Robert WERNER
Correspondant

Si j'étais votre député,

- Ohé ! ohé ! qu'on se le dise !

J'ajouterais "Humanité ",

Aux trois mots de notre devise...

Au lieu de parler tous les jours

Pour la république ou l'empire

Et de faire de longs discours,

Pour ne rien dire,

Je parlerais des petits fieux,

Des filles-mères, des pauvres vieux

Qui, l'hiver, gèlent par la ville...

Ils auraient chaud, comme en été,

Si j'étais nommé député,

À Belleville.

Je parlerais des tristes gueux,

Des purotins batteurs de dèche,

Des ventres-plats, des ventres-creux.

Et je parlerais d'une crèche

Pour les pauvres filles sans lit,

Que l'on repousse et qu'on envoie

Dans la rue !... avec leur petit !...

Mères de joie!...

Je parlerais de leurs mignons,

De ces minables chérubins

Dont les pauvres petits fignons

Ne connaissent pas l'eau des bains.

Chérubins dont l'âme et le sang

Se pourrissent à l'air des bouges

Et qu'on voit passer le teint blanc

Et les yeux rouges.

Je parlerais des vieux perclus

Qui voudraient travailler encore,

Mais dont l'atelier ne veut plus...

Et qui traînent, jusqu'à l'aurore,

Sur le dur pavé de Paris,

- Leur refuge, leurs invalides, ?

Errants... chassés... honteux... meurtris,

Les boyaux vides.

Je parlerais des petits lieux,

Des filles-mères, des pauvres vieux

Qui, l'hiver, gèlent par la ville...

Ils auraient chaud, comme en été,

Si j'étais nommé député,

À Belleville.

 

Aristide Bruant, Si j'étais votre député

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