Une pénitence pour Pierre Corneille : traduire "L’Imitation de Jésus-Christ"

Résultat : un chef d’oeuvre, présenté par Bertrand Galimard Flavigny "le bibliologue"

Traduire l’Imitation de Jésus-Christ pour expier ses péchés ? C’est la lourde tâche qui aurait été infligée à Pierre Corneille (1606-1684) après l’échec de ses dernières pièces. Notre "bibliologue", Bertrand Galimard Flavigny, nous conte cette curieuse histoire et en profite pour nous faire découvrir cet ouvrage "nimbé de mystère", maintes fois remanié, traduit et réédité qui fut "un succès de librairie européen" avec ses...2300 rééditions !

Émission proposée par : Bertrand Galimard Flavigny
Référence : pag1072
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On rapporte que Pierre Corneille souhaita abandonner le théâtre après l’échec de sa pièce Pertharite pour se tourner vers la religion. Il aurait alors décidé de traduire l’Imitation de Jésus-Christ.
On raconte encore que son autre pièce l’Occasion perdue et recouvrée aurait choqué le chancelier Séguier qui lui aurait enjoint de se confesser. Sacrement que lui aurait administré le supérieur du couvent de Nazareth. Ce dernier lui aurait alors infligé comme pénitence de traduire l’Imitation de Jésus-Christ.

Pierre Corneille (1606-1684), élu en 1647 à l’Académie française

En réalité à partir des années 1650, récemment élu à l’Académie française en 1647, et après Polyeucte, tragédie chrétienne et « imitation suprême de Jésus-Christ », selon le mot de Raymond Triboulet à propos de Gaston de Renty, il entreprit de traduire « l’Imitation ».

Ce fut davantage une adaptation poétique. Elle fut publiée sous formes de livraisons entre 1651 et 1656. Les deux premières correspondant aux deux premiers livres furent imprimées à Rouen en 1653, en un volume in-12 ; et le troisième représentant les 30 premiers chapitres du Livre III, l’année suivante chez Robert Ballard, toujours en in-12 et la dernière, c'est-à-dire la fin des Livres III et IV, en 1656 chez le même éditeur, en in-12. Chaque chapitre y est illustré par un cuivre gravé par Jérôme David d’après Charles Le Brun ou René Dudot.


L’édition originale proprement dite de cet ouvrage parut sous le titre L’Imitation de Jésus-Christ, traduite et paraphrasée en vers français, par Pierre Corneille à Paris, chez Robert II Ballard, en 1656 et dans le format in-quarto. Il est orné d'un frontispice et de quatre gravures en taille-douce de François Chauveau figurant la descente de la croix et reproduisant les armes du pape Alexandre VII.
Le texte latin est apposé en marge. La bibliothèque Mazarine en conserve deux exemplaires dont celui relié en maroquin rouge à la Du Seuil aux armes du cardinal Mazarin.

De l’avis général, « l’In-quarto de 1656 reste l’une des plus belles éditions de l’Imitation ». Elle remporta un succès considérable, et ses différentes livraisons firent aussitôt l’objet de contrefaçons, en France, en Avignon ou aux Pays-Bas. On en compte par ailleurs pour le seul XVIIe siècle en France, vingt-six éditions différentes. Ce qui est peu en comparaison du nombre d’éditions imprimées dénombrés par Yann Sordet, directeur de la Bibliothèque Mazarine et auteur avec Martine Delaveau du catalogue de l’exposition consacré justement à « l’Imitation »[[Un succès de librairie européen, 1470-1850 sous la direction de Martine Delaveau et Yann Sordet, Ed. des Cendres/Bibliothèque Mazarine, 514 p. 32 €]]. Sur l’ensemble de la période couvrant le début de l’imprimerie à la fin du XVIIIe siècle, il en a compté 2 300. Ce qui en fait le livre le plus souvent imprimé après la Bible. Les estimations des tirages sont encore plus vertigineuses : près de deux millions quatre exemplaires potentiellement en circulation. Un chiffre qui est néanmoins considéré comme inférieur à la réalité.

La bibliothèque Mazarine, quai de Conti (rive gauche) dans le 6e arrondissement de Paris.



« L’Imitation » a tout de même connu cinq siècles d’éditions, de quoi attirer les bibliophiles. L’abbé Henri Delaunay qui vécut de 1804 à 1881 avait rassemblé la plus volumineuse collection d’Imitation jamais réunie. Il en légua un millier d’exemplaires à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Quant à la Mazarine, elle en conserve une soixantaine.

Les origines de cet « ouvrage nimbé de mystère » ont fait l’objet de savantes controverses. Selon Yann Sordet, l’examen des manuscrits et des éditions conservées fait apparaître une quarantaine de candidats au titre d’auteur. L’attribution la plus fondée est celle de Thomas a Kempis qui vécut vers 1380 à 1471. Ce chanoine régulier de la congrégation de Windesheim fut l’un des auteurs du mouvement de la devotio moderna qui exerça une influence considérable sur le renouveau spirituel et intellectuel à la fin de la période médiévale.

Manuscrit de l’Imitatione Christi. de Thomas a Kempis


Les quatre livres de l’Imitatio Christi furent composés avant 1427. Il en subsiste 800 manuscrits médiévaux. L’édition d’Augsburg de 1470 est tenue pour la princeps, la deuxième (en langue catalane) ne vit le jour qu’en 1482 et fut suivie par 72 autres éditions incunables représentant au total environ 15 000 exemplaires. La moitié des éditions princeps a été publiée dans une langue autre que le latin. La première française date de 1488. Elle fut la première d’une longue série.



Bertrand Galimard Flavigny





Retrouvez la chronique Le bibliologue de Bertrand Gallimard Flavigny sur Canal Académie


Voir l'exposition à la Bibliothèque Mazarine :
http://www.bibliotheque-mazarine.fr/expos2012/expoimitatio1.html

Du lundi au vendredi de 10 h à 18 h. Jusqu'au 6 juillet 2012.

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