Que dévoile le roman moderne au sujet de la conscience selon Jean-Louis Chrétien
Jean-Louis Chrétien a reçu le "prix Cardinal Lustiger", décerné par l’Académie française, en 2012, pour son ouvrage "Conscience et roman" (deux tomes) et pour l’ensemble de son oeuvre. Sur un thème qui l’interroge : comment s’exprime la conscience dans le roman moderne ? Comment se manifeste la nouvelle prétention des romanciers à explorer de fond en comble la conscience ? Ces deux volumes font chacun le sujet d’une émission. Voici celle consacrée au 1er volume. Le philosophe -qui se plonge ainsi dans la littérature des XIX et XX è siècles, est l’invité de Damien Le Guay.
Que dit le roman moderne de la conscience ? Comment donne-t-il accès à de nouvelles compréhensions de la conscience, à de nouveaux étages de la conscience ?
Auteur d’une œuvre généreuse et admirable, Jean-louis Chrétien, philosophe, professeur à l’université Paris IV-Sorbonne, consacre 600 pages au roman moderne – ce qu’il dit de la conscience et les nouvelles régions qu’il explore. (Conscience et roman I, Conscience et roman II, Editions de minuit.) Il part du même étonnement que Madame de Staël qui, au début du XIX ème siècle, se demandait : « Les anciens n’auraient jamais fait ainsi de leur âme un sujet de fiction : il leur restait un sanctuaire où même leur propre regard aurait craint de pénétrer. »
Pourquoi et comment ce « sanctuaire » fut-il exploré ? Il y a là une nouveauté, un inédit. Le projet moderne, par l’entremise du droit d’intrusion des romanciers, tend à mettre à nu cette intimité jusqu’alors vierge, réservée à Dieu seul et au commerce de l’âme avec elle-même. Il vise à exposer au grand jour ce qu’il y a de plus secret.
Aussi nous faut-il, avec Jean-louis Chrétien, mieux comprendre cette transformation radicale, ce qu’il nomme « l’apocalypse du roman » - au sens de la levée des secrets, de la révélation, d’une rupture d’équilibre. « L’expérience du livre change d’objet » dit-il « elle devient l’expérience de l’inexprimable, l’expérience dans la fiction de ce dont, par principe et pour des raisons essentielles, nous ne pouvons pas faire l’expérience dans la réalité, observer de l’intérieur une autre conscience que la nôtre sans que rien nous en échappe. »
Pour mener à bien son investigation, Jean-Louis Chrétien, au fil de ses chapitres, fait une lecture attentive de certains auteurs-majeurs ( pour le XIXè siècle : Stendhal, Balzac, Flaubert, Victor Hugo ; pour le XXè siècle : Henry James, Virginia Woolf, William Faulkner, Samuel Beckett) et divise son travail en deux volumes : l’un consacré au « monologue intérieur »et le second relatif à « la conscience à mi-voix sur le style indirect libre ».
Nous demanderons à Jean-Louis Chrétien si ce « viol » des consciences n’est pas une manière de se prendre pour Dieu – en ceci que la « cardiognosie » (la connaissance du cœur) est un attribut divin ? Il nous faudra, aussi, demander à l’auteur de remettre son travail dans l’ensemble de son œuvre, alors même qu’il semble faire un « pas de coté », une digression ! Y-a-t-il un « tournant » dans l’œuvre, si admirable, de Jean-Louis Chrétien ? Que veut-dire, pour lui, l’acte de lire, d’aller voir en cet autre fictif celui que nous ne sommes pas et espérons être ?
Dans un second entretien, nous verrons, avec Jean-Louis Chrétien, comment il lit, comprend et analyse « Madame Bovary » et d’une manière générale Flaubert au regard de sa problématique.
Damien Le Guay
Jean-Louis Chrétien, lauréat 2012 de l'Académie française :
Voici l'extrait du discours prononcé par Jean-Louis Dabadie sous la Coupole lors de la séance du 6 décembre 2012 :
"La réflexion de Jean-Louis Chrétien porte sur la parole, la parole en ses multiples aspects (y compris la poésie qu’il a pratiquée), comme propre de l’homme.
Son ouvrage Conscience et roman étudie l’une des principales caractéristiques de la littérature contemporaine : le fait que le romancier « lit » et traduit littéralement ce qui traverse la conscience humaine – des secrets jusque là censés n’être connus que de Dieu seul. Ce sont, après la transparence de la subjectivité chez Stendhal et Balzac, les monologues intérieurs de Hugo (Tempête sous un crâne), le stream of consciousness chez Virginia Woolf, et jusqu’à Faulkner et jusqu’à Beckett.
Dans le deuxième tome, La Conscience à mi-voix, Jean-Louis Chrétien s’attache au « style indirect libre », de Flaubert à Henry James. La parole s’avère impuissante à contenir tout ce qui habite la conscience, mais par là l’ouvre à une transcendance. Alors, pour notre confrère Mgr Claude Dagens, en voulant, par le verbe et l’omniscience, se substituer à Dieu, paradoxalement l’homme devient capable de le retrouver".
texte de Damien Le Guay
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