Sylvie Germain ou l’anti-quiétude en Dieu Rendez-vous nomades
Sylvie germain est écrivain, romancière, essayiste. Depuis plus de trente ans elle approche, sans jamais l’étreindre, la question de Dieu. Elle déroute pour ne pas prendre les autoroutes religieuses ou les routes toute fléchées. Elle dérange ceux qui sont installés dans leurs habitudes religieuses. Elle énerve ceux qui iraient à la messe pour l’avoir toujours fait et seraient chrétiens par souci d’un ordre, d’une identité, d’une tradition. A ceux-là elle dit et redit : quelle est votre foi ? Que dites-vous de Dieu ? En ceci elle rejoint le grand Augustin : « Si elle n’est pas pensée, la foi n’est rien ». Ses adversaires : les bigots, les assoupis, les habitués, les analphabètes de la foi, ceux qui sont incapables d’en rendre compte, de la mettre en mots et en intelligence. Sa hantise : ceux qui fanatisent Dieu, qui le "médiocrisent", l’hystérisent, le font parler !
Cette romancière (depuis Le livre des nuits, 1984) et cette essayiste (depuis Les échos du silence, 1996) nettoie les mots, les idées et les concepts qui aident à penser Dieu. A-t-elle la foi chrétienne ? Stricto sensu, non, au sens d’avoir une morale, un code de conduite, des connaissances prémâchées. Est-elle pour autant ailleurs, dans les cieux éthérés des proclamations incertaines et des reconnaissances du bout des lèvres ? Non. Alors ? Il y aura toujours ceux qui prennent leurs distances de l’extérieur, pour éviter de s’engager et ceux qui, une fois engagés, prennent leur distance de l’intérieur, comme on reprend son souffle. Les seconds espèrent, ainsi, nous rendre encore plus vivants– nous qui ne le sommes pas toujours. Sylvie Germain est une béguine chrétienne : dépouillée de l’intérieur, elle nous interpelle, soucieuse d’inquiéter nos quiétudes. Elle ne possède rien. Se sait prise. Revendique une familiarité avec le Livre et cherche à se faire polliniser par lui.
Dans ce dernier livre (Rendez-vous nomades) elle dit Dieu. Ou, plutôt, se demande comment le dire. Ou encore hésite à le dire comme une évidence alors même qu’Il se manifeste par sa fugitive présence. En somme, ici, disciple d’Emmanuel Lévinas (ce qu’elle fut, autrefois, dans ses études de philosophie), elle se met au diapason de nos frères aînés dans la foi et s’interroge : faut-il le nommer ? Que dit ce nom ? A quoi nous fait-il penser ? Peut-il se capter au risque de devenir une idole ?
Elle revient au sens premier. En grec, Dieu (Theos) vient de « ths » - au sens d’un sifflement d’admiration et d’éblouissement devant la merveille d’un inattendu. Un je-ne-sais-quoi se fait ressentir, un effleurement, un silence, une absence. Puis, dans un second temps, en dépassant une certaine réserve, toute juive, les hommes vocalisent et nomment Dieu. Deux temps. Passage de l’admiration muette, en point d’en être « bouche bée », à la nomination attendue par Dieu même qui attend des hommes qu’ils Le nomment. Et ce travail de nomination, de juste recherche du nom le plus approprié de Dieu selon les circonstances est une manière d’interpeller en nous notre part de mystère, d’inconnu. Connaître Dieu, c’est se connaître. Le chercher c’est se chercher. Lui reconnaitre un insondable c’est se le reconnaitre. Sylvie Germain va plus loin – à la suite d’Adolphe Gesché. Elle distingue l’être de Dieu de son existence. Dieu n’a besoin de personne pour être « celui qui est ». Par contre, il a besoin des hommes pour s’exposer, pour être reçu, aimé – en somme pour exister. Là est sans doute l’ultime pointe de son abaissement (kénose). Il a besoin de nous pour que nous attestions de sa présence. Notre confession de foi le fait exister. Que nous demande-t-Il ? Notre hospitalité – comme à Abraham au chêne de Mambré, comme aux disciples d’Emmaüs.
Ce souci d’hospitalité de Dieu, sous la tente, dans nos déserts, nous qui sommes des nomades, ce devoir de faire exister Dieu, renversent bien des perspectives confortables. Et c’est tant mieux ! Ils nous invitent à plus d’exigence vis-à-vis des mots employés. Nous tiennent dans une saine inquiétude spirituelle. Nous obligent à une fidélité vivifiée.
Damien Le Guay
- Sylvie Germain, Rendez-vous nomades , (Albin Michel, 187 pages, 15€).
- Pour ce livre, Sylvie Germain est la lauréate du prestigieux Grand Prix de la SGDL pour l’ensemble de son œuvre. Le prix lui sera décerné à la Société des Gens de Lettres le 12 juin 2012.
Lire aussi, sorti en 2011 « quatre actes de présence », (DDB, 125 pages, 13€). Belles pages sur l’enfer comme un enfermement en soi .
Extrait du livre, Rendez-vous nomades , de Sylvie Germain :
« Dieu caché, intensément discret, attendrait donc des hommes le dépliement et le déploiement de son être - ce Je suis éternel – sur cette terre, dans le temps de ce monde. Et cette « attente » qui est un don fait aux hommes, nullement une obligation, ne s’adresse pas à l’humanité prise dans son ensemble, massivement, mais à chaque être humain, quel qu’il sot, où et quand que ce soit en ce monde. Dieu-zéro-à-l’infini qui n’existe que chaque fois, et autant de fois, qu’un vivant accueille en lui cette possibilité qui lui est offerte de le découvrir, le redécouvrir, de le nommer, le renommer. »
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