L’œuvre ultime de Brancusi : la photographie de ses propres sculptures
Vers la fin de sa carrière, Constantin Brancusi (1876-1957) aura pris pas moins de 1 800 photos de ses sculptures. Jacques-Louis Binet, correspondant de l’Académie des beaux-arts, revient sur quelques grandes productions du sculpteur comme La colonne sans fin, Le baiser ou encore Mademoiselle Pogany, attirant notre attention sur l’importance des socles et la savante mise en scène de ses productions derrière l’objectif .
Constantin Brancusi approche la taille de pierre ou du bois avec toujours les mêmes antagonismes : la volonté de l’artiste contre la résistance du matériau, le divorce entre l’image rêvée et le poids de la matière.
Dans Le baiser 1907, Brancusi fait d’abord preuve « d’un souci d’équité absolue » entre image et matière selon les mots de Pierre Schneider : même taille dans la figure, qui s’inscrit dans un cube à la base et des deux personnages, des deux têtes, des deux yeux se touchant presque de part et d’autre d’une verticale, l’ensemble dessinant un demi-cercle, lui-même inclus dans les bords de la chevelure. Le tracé horizontal puis oblique des bras réunit l’ensemble.
La version de 1945 s’intitule Borne de frontière, élevée sur une ancienne ligne de front devenue inutile puisque les deux territoires avaient été réunis, l’image d’unité et de paix retrouvée.
Pendant un temps, Brancusi est sensible à l’émergence comme dans Le sommeil en 1908. La sculpture n’est pas encore totalement détachée du bloc de pierre brute. Dans La sagesse de la Terre, le sculpteur obtient un résultat très sensuel tout en étant contenu dans un cube de pierre, mêlant ainsi la raison et la sensualité.
Le mouvement et les femmes, centres d'intérêts de Brancusi
Très vite il devient le Brancusi que l’on connaît, le sculpteur qui lisse et polit toutes ses matériaux, au point d’en devenir obsessionnel. L’ovale reflète tout à la fois le commencement du monde, le nouveau né, la muse endormie ou encore Prométhée.
L’homme rappelle à qui veut l’entendre que plus que l’apparence, c’est l’essence qui l’intéresse. Une essence qu’il puise chez les femmes notamment : le buste de Mademoiselle Pogany où il joue avec la face et la chevelure en est un exemple.
Une essence qu’il puise également dans le mouvement, et spécialement l’élan ; un élan symbolisé par les oiseaux (il en sculptera 28) dont Maiestra, nom d’un conte d’origine roumain où l’oiseau réunit les amants séparés. Dans L’Oiseau dans l’espace, la forme est étirée, l’oiseau libère son souffle, la tête et les pattes rejoignent la verticalité de l’ascension, le corps perd son extrémité et laisse apparaître un angle ouvert dirigé vers la lumière, représentant ainsi l’élan.
Quant à La colonne sans fin, elle est comme l’aboutissement de cette volonté de monter vers le ciel.
Brancusi s’intéresse autant aux sculptures qu’aux socles qui les soutiennent. Il les crée lui-même, de toutes les formes et toutes les matières, cherchant là encore à élever ses créations.
L’atelier de Brancusi
L’originalité de Brancusi aura été de tout conserver auprès de lui dans son atelier, hormis La colonne sans fin ; un atelier reconstitué et aujourd’hui visible à Beaubourg à Paris, en accès libre.
Dans une mise en scène savante, Brancusi place chacune de ses sculptures selon un choix précis. Il se lance alors dans la photographie de ses œuvres. Ses amis sont les photographes Man Ray, Steichen et Steigliz. Tous les trois lui proposent de prendre les photos pour lui. Mais elles s’avèrent trop esthétiques pour le sculpteur qui décide de prendre ses quelque 1 800 photos lui-même. Son idée est fixe : mettre ses sculptures en mouvement et les illuminer.
Brancusi réalisa aussi des films, aujourd’hui visibles au Centre Pompidou dans le cadre d’une exposition du 12 juillet au 15 septembre 2011 consacrée à ses photos ; une première mondiale.
En savoir plus :
Exposition au Centre Pompidou à Paris, du 12 juillet au 15 septembre 2011. Brancusi, film et photographie.
Reconstitution de l'atelier de Brancusi, Beaubourg, Paris. Entrée libre.
Pierre Schneider, Brancusi et la photographie : Un moment donné éditions Hazan, 2007
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