Sur le Pont des arts décembre 2011 : du Grand Prix d’architecture à Paris, à l’exposition de Velickovic, à Toulouse
Dans l’actualité de l’Académie des beaux-arts en cette fin d’année 2011, Canal Académie braque son projecteur sur le Grand prix d’architecture de l’Académie des beaux-arts 2011 et sur l’exposition de Vladimir Velickovic à Toulouse. Le concours d’architecture s’attaquait cette année à la difficile question du logement étudiant. Devant le manque d’utopie des réponses, le jury, partagé, n’a pas attribué de premier prix, mais deux seconds prix. Morosité ambiante ? Confrontez votre œil à l’obscure beauté de la peinture de Velickovic : effet thérapeutique garanti de la grande peinture.
«Le logement étudiant», sujet du Grand Prix d’Architecture de l'Académie des beaux-arts 2011
L’humour de Claude Parent est bien connu depuis la parution d’un petit ouvrage dans lequel il avait gentiment brocardé ses confrères architectes par des textes savoureux accompagnés de leurs portraits nés sous son crayon. C’était Portraits d'architectes : Impressionnistes et véridiques (Norma, 2005) : un état de lieux distancié sur sa profession. Connu pour être l’architecte de la fonction oblique, ayant goûté le sel de la provocation durant toute sa carrière par l’originalité de ses constructions dont la plus célèbre est l’église Sainte-Bernadette du Banlay (classée monument historique) et par sa vision de l’architecture, il est, du haut de ses 88 ans, le président du jury du grand Prix d’architecture de l’Académie des beaux-arts. Son œuvre graphique et architecturale incarne l’architecture utopique, qui lui vaut depuis ces dernières années, d’être une référence pour les jeunes architectes après un relatif oubli. Ce n'est pas sans humour que Claude Parent a accueilli les lauréats et les finalistes, le 14 décembre 2011, lors du vernissage de l'exposition de leurs projets à l'Institut de France.
Cette année, le jury avait proposé pour sujet : "le logement étudiant", une question cruciale vu l’insuffisance de l’offre. En 2011, on compte en France près de 2 300 000 étudiants, une population en constante augmentation. Le problème se surajoute à la crise du logement, à la diversification et à l’internationalisation du "marché" universitaire. Il y a plus d’étudiants chaque année et la durée des études s’allonge.
Parmi les 66 dossiers reçus, les projets de 16 finalistes, dont ceux des lauréats bien sûr, sont exposés à l'Académie des Beaux-Arts, salle Comtesse de Caen sur le parvis de l’Institut (27 quai Conti à Paris). L’entrée est gratuite. L'exposition dure du 14 décembre au 5 janvier 2012. Créé en 1975, le Grand Prix d'architecture est ouvert à tous les architectes et étudiants en architecture n'ayant pas dépassé l'âge de 35 ans (au 1er janvier de l'année en cours). Le prix se divise en trois récompenses : un Premier Grand Prix doté de 20.000 €, un Deuxième Prix de 9.000 € et un Troisième Prix de 4.000 € et de mentions éventuelles. Cette année, en raison de l'absence d'un premier prix, les sommes ont été distribuées différemment.
Le jury, présidé par Claude Parent, est composé des membres et des correspondants de la section d'architecture de l'Académie des beaux-arts. Il n’a pas attribué de Premier Prix, cette année. Il a ainsi décerné deux seconds prix ex-æquo :
- Les deux Deuxième Prix, sont décernés à Florian Dhormes, architecte depuis 2010 après avoir étudié à l’ENSBA de Lille, pour son projet A la conquête des toits, et à Simon Moisière, étudiant à l’École Nationale Supérieure de Versailles où il prépare un Master, pour son projet 3SRC, dotés d’un montant de 10 000 € chacun.
- Le Troisième Prix est décerné à Emmanuel Manger, diplômé de l’École Nationale Supérieure de Lyon et architecte DPLG depuis 2005, pour son projet Sur un arbre perché, doté d’un montant de 7 000 €.
- Deux mentions, de 3 000 € chacune, sont décernées à Hugo Badia Berger, étudiant en Master à l’ENSBA de Marne la Vallée, pour son projet La Malle et à Alexandre Ciancio, étudiant en Master à l’ENSBA de Nantes, pour son projet Estudianstère.
Dans cette émission, Claude Parent s'exprime sur les choix du Jury, étonné par le fait qu'aucun projet n'ait été localisé à la campagne ou sur un campus. Tous s'enracinent dans un cadre urbain, témoignant d'une préoccupation majeure. Peu de projets se sont focalisés sur ce qu'on appelait autrefois "la chambre d'étudiant". Les préoccupations des questions environnementales et de localisation, l'utilisation d'espaces inexploités ont retenu l'attention des candidats. Une nouvelle Cité Universitaire internationale à l'instar de celle qui jouxte le périphérique d'un côté et le parc Montsouris de l'autre à Paris, est impossible à reproduire aujourd'hui. Le Corbusier comme Claude Parent y ont laissé leur empreinte.
Pour la première fois, en plus de la procédure habituelle du concours, les candidats ont défendu leur projet oralement devant les membres du Jury.
Florian Dhormes, Deuxième Prix ex-æquo, est parti de l’existant et du parc immobilier inexploité, une idée qui a séduit le jury, considérant que 10% des immeubles parisiens, soit quelques 2 000 immeubles, moins de 2% du parc existant, pourrait fournir une capacité potentielle de 14 000 chambres étudiantes. Sans rien toucher à l'existant, Florian Dhormes a proposé d'aménager les toits de ces immeubles. La structure devient une « paroi double peau ventilée » permettant une vie au milieu des toits, offrant aux étudiants et aux habitants des immeubles qui pourraient profiter de jardins ou de potager en terrasse, une vue imprenable sur Paris. Les toits mansardés sont intelligemment revisités.
Simon Moisière, Deuxième Prix ex-æquo, est parti de la problématique du campus, choisissant celui de Paris-Saclay qui accueille 15 000 étudiants et n’en loge que 1 500 ! Son idée consiste à utiliser les espaces non utilisés des multiples sens giratoires des nombreux échangeurs présents à proximité. Claude Parent défend comme le lauréat, la validité technique du projet, les moyens d'isolation phonique ayant beaucoup progressé. Ce sont donc des tours rondes, comme des donjons que présente Simon Moisisère, tournées à la fois vers l'extérieur et vers l'intérieur où les espaces de vie sociale prennent corps, protégés de l'environnement extérieur, propices aux échanges par des vis-à-vis astucieux. Le projet joue sur un espace de résonance en confrontation directe avec le bruit extérieur. Au sommet, le «jardin des états d’âmes» offre une vue sur cette frontière ville-campagne, en contraste avec le bruit ou la vie de la coursive intérieure.
Le troisième prix attribué à Emmanuel Manger part de l’idée de créer un bâtiment dans la cité, affirmant une identité forte, voulant mettre l’accent sur les relations sociales, un support indispensable à la vie étudiante. Pour lui, la chambre de l’étudiant est un lieu de repli, un nid. L'étudiant doit se sentir chez lui comme perché sur un arbre.Il peut contempler la ville, la parcourir, la vivre. La construction d'une rampe extérieure apporte une touche poétique qui conduit à un jardin suspendu en toiture. Le travail subtil des espaces desservis par la rampe a retenu l'attention du jury.
Le projet de Hugo Badia Berger Intitulé La malle, proposait avec un brin de provocation et d'humour, une malle, autant dire une boîte dans laquelle l’étudiant pouvait satisfaire les 4 activités qui rythment sa vie : le travail, la cuisine, la toilette et le sommeil. Il y construit ainsi les moyens d’une autonomie qui a séduit le jury car il est un des rares candidats à s’être prioritairement penché sur ce qu’on appelle habituellement « la chambre d’étudiant » , faisant de l’étudiant l’architecte de sa chambre… La" Malle" est à déposer sur les toits parisiens post-1950 inexploités. Elle est faite de planches en bois, d'objets "ready-made", et dispose de batteries électriques et de réservoirs d’eau. Un confort rustique assiste l’étudiant dans la difficile prise de conscience des enjeux environnementaux, le forçant à se limiter dans ses usages.
La deuxième mention a été attribuée à Alexandre Cianco pour son projet « Estudianstère », dont le nom-même évoque les familistères et les phalanstères. A Nantes, où il a étudié, il choisit d’investir un ancien garage circulaire à rampe continue des années soixante. La rampe s’enroule autour d’un patio central et aboutit là encore à un toit transformé en jardin. Un amphithéâtre et même un sauna et bien sûr les logements étudiants entendent faire de ce bâtiment une pièce majeure de la ville, un nouveau phare.
L'exposition Vladimir Velickovic, les versants du silence
Entre l’architecture et la peinture de Velickovic, on pourrait croire qu’il n’y a aucun rapport. Ce serait oublié que Vladimir Velckovic est architecte de formation, diplômé de l’École d’architecture de Belgrade. S’il a troqué l’équerre pour les pinceaux, son sens de la composition et de l’espace dans ses toiles et ses dessins relève peut-être de cette première formation.
Le musée des Abattoirs à Toulouse lui consacre la plupart de ses espaces pour une exposition qui dépasse la rétrospective chronologique en faisant dialoguer ses œuvres par thèmes pour en montrer la profonde cohérence depuis 50 ans. L’exposition est ouverte du 17 novembre 2011 jusqu’au 29 janvier 2012. L’occasion pour le public d’avoir une magnifique vue d’ensemble de son œuvre car des toiles et des dessins des années soixante, jamais exposés en France, y sont présentés. On définit souvent la peinture de Vladimir Velickovic comme une peinture qui s’insurge contre l’anéantissement de l’Être. Sa peinture appartient au registre du tragique, nourrie par une tradition picturale qui aborde la souffrance, la mort, la guerre, le mal. Elle n’en demeure pas moins une peinture viscéralement positive malgré la dureté des questions qu’elle aborde.
Dans cette émission, Amélie Adamo, commissaire avec Alain Mousseigne de l’exposition Vladimir Velickovic, Les Versants du silence, présente l'exposition et son interprétation de la peinture de Velickovic.
Elle est docteur en Histoire de l’art, spécialiste des questions de transmission, de temps et de mémoire dans la peinture de la fin du XX e siècle. Elle est l'auteur de deux livres : Une histoire de la peinture des années 1980 en France (Editions Klincksieck, en mars 2010) et de Métamorphoses du sacré sur Vladimir Velickovic (Editions Galilée, Octobre 2011). Amélie Adamo explique l’originalité du style de Velickovic. Pour elle, l’expérience intime du tragique et de la Seconde guerre mondiale a déterminé chez lui un rapport au sacré. De manière inconsciente ou avouée, il donne une lecture profane d’une tradition chrétienne des images qu’on a en mémoire croyant ou non, crucifixions, gisants, ce qu’elle appelle une lecture des métamorphoses du sacré. Même lorsque Vladimir Velickovic se réfère à des pièces maîtresses de l’art comme le retable d’Issenheim de Colmar peint par Matthias Grünewald, il fait preuve de liberté. Rien n’est vraiment très classique chez Velickovic.
Extrait de Métamorphoses du sacré sur Vladimir Vélickovic
Pas de déterminisme ni de géométrie euclidienne, ici-bas, quand l’homme n’est plus mesure de toute chose mais dénué de sens : un simple accident. Les corps cloués à terre, aux raccourcis saisissants, s’inscrivent, ainsi dans « Blessures » et « Corbeaux », dans des espaces de perdition. Tout n’est que nuit et désolation. Pas de soleil, pas d’étoiles. Pas de ruisseau, pas de colline. Seul l’horizon s’étend à perte de vue, indiquant ciel et terre. Puis il se noie partout dans l’épaisseur des brumes immobiles. L’œil y dérive alors à tâtons, perdu dans l’odeur de fumée et de gaz mêlés. Parce qu’il n’y a pas de repère quand l’homme franchit l’infranchissable.
Dans l’actualité des expositions
Dans l’actualité des expositions, au carrefour de l’histoire du spectacle et de l’histoire mondiale, je vous invite à vous rendre au musée du quai Branly à Paris pour voir l’exposition « Exhibitions, l’invention du sauvage » qui retrace l’histoire des femmes, des hommes et des enfants venus, d’Afrique, d’Asie, d’Océanie ou d’Amérique que l’on a exhibés dans des spectacles de théâtre, de cabaret, de cirques, dans les foires. L'exposition revient sur la triste histoire des zoos humains. Lilian Thuram est le commissaire général de cette exposition sur la mise en spectacle de la différence, à travers les prismes heureusement abandonnés aujourd'hui de l’exotisme et de la monstruosité. Son exposition rend magistralement la mesure d’un imaginaire sordide et mercantile qui a fait le lit de tant de pensées racialistes. Près de 500 pièces sont présentées allant des affiches, aux photos, aux objets, maquettes, bustes, appareils de mesure, films et documents. C’est à voir du 29 novembre 2011 jusqu’au 3 juin 2012 au musée du quai Branly à Paris.
Pour en savoir plus
Liste des 11 autres finalistes du Grand Prix d'architecture 2011
- Arthur Boidin, Le nuage communautaire, architecte, École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Lille
- Jovénil Dos Reis, La Cuvée des étudiants, architecte, École Nationale Supérieure d'Architecture de Paris Val de Seine
- Thomas Etesse, Les étudiants sur le toit des villes, étudiant, École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles
- Martin Lefevre, Logement étudiant… rayonnement, influences et stratégies, architecte, École Nationale Supérieure d'Architecture de Paris Val de Seine
- Etienne Mares, Etudiant, mais pas seulement, architecte, École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles
- Nicolas Maugery, HYGGELIG / KøBENHAVN, étudiant, École Nationale Supérieure d'Architecture de Paris-Malaquais
- Kieu An Nguyen Duong, Projet O, architecte, École Nationale Supérieure d'Architecture de Versailles
- Benoît Quagliozzi, Mixité, Densité, Liberté… « Des étudiants sur les toits », architecte, École Nationale Supérieure d'Architecture de Paris Val de Seine
- Laura Rosenbaum, 33 logements au dessus des rails, architecte, École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Bordeaux
- Damien Tavares, Résidence du Mont Blanc, architecte, École d'Architecture de la Ville et des Territoires de Marne-la-Vallée
- Matthieu Wotling, De l'interface urbaine à l'unité de vie, architecte, École Nationale des Arts et Industries de Strasbourg
- Pour tout savoir de l'inscription et des conditions du concours du Grand Prix d'architecture de l'Académie des beaux-arts, consultez le site de l'Académie des beaux-arts
Composition du jury
- Présidé par M. Claude Parent,membre de la section d'architecture de l'Académie des beaux-art
- Roger Taillibert, membre de la section d’architecture.
- Paul Andreu, membre de la section d’architecture.
- Yves Boiret, membre de la section d’architecture.
- Aymeric Zublena, membre de la section d’architecture.
- Jacques Rougerie, membre de la section d’architecture.
- André Dunoyer de Segonzac, correspondant de la section d’architecture.
- Robert Chauvin, correspondant de la section d’architecture.
- Jean-François Collignon, correspondant de la section d’architecture.
- Gilles de Bure, correspondant de la section d’architecture.
- Frédéric Migayrou, correspondant de la section d’architecture.
- François Chaslin, correspondant de la section d’architecture.
- Philippe Tretiack, correspondant de la section d’architecture.
- Exposition (renseignements pratiques)Vladimir Vélickovic, Les versants du silence, aux Abattoirs à Toulouse .
Exposition Exhibitions, L'invention du sauvage, musée du quai Branly (renseignements pratiques)