« Faire confiance à l’intelligence territoriale », le rapport d’une mission sénatoriale
La réforme territoriale est en cours d’examen par le Parlement. Saisi en premier, le Sénat, qui est la « Maison des Collectivités Territoriales », a adopté plusieurs projets de loi, après un travail de réflexion approfondi dans le cadre d’une mission d’information. La sénatrice Jacqueline Gourault évoque, dans un entretien avec Myriam Lemaire réalisé le 23 mars 2010, les enjeux de cette réforme et les mesures annoncées.
Cette émission s'inscrit dans la série "Rapports du Sénat" présentée par Myriam Lemaire.
À l’initiative de son Président, Gérard Larcher, le Sénat a décidé de créer dès le mois d’octobre 2008 une mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, chargée de réfléchir en amont et de formuler des propositions sur la réorganisation territoriale, au moment où le Président de la République mettait en place le Comité pour la réforme des collectivités territoriales présidé par Édouard Balladur.
« Cette réflexion du Sénat a précédé la rédaction de la loi par le gouvernement. Le Sénat a voulu accompagner la réflexion du gouvernement. Le Sénat étant le représentant des collectivités territoriales et la "Maison des collectivités territoriales", toute loi qui les concerne passe en première lecture au Sénat, ce qui a été le cas de cette loi », souligne Jacqueline Gourault.
Composée de 36 membres représentant toutes les sensibilités politiques du Sénat et ayant une expérience approfondie des responsabilités locales, la mission présidée par le Sénateur Claude Belot a poursuivi pendant huit mois ses travaux, en procédant à de nombreuses auditions et en effectuant des déplacements sur le terrain.
Après un rapport d’étape publié en mars 2009 qui établit un diagnostic et présente ses premières orientations sur la réorganisation territoriale, la mission a souhaité approfondir ses analyses autour de trois axes : la gouvernance territoriale, la clarification des compétences et la remise à plat des finances locales. Dans un deuxième rapport intitulé « Faire confiance à l’intelligence territoriale », publié en juin 2009, elle a présenté 90 nouvelles propositions.
Jacqueline Gourault et Yves Krattinger en sont les rapporteurs.
Une réforme nécessaire
Pour Jacqueline Gourault, il y a nécessité de réforme parce que le paysage territorial a beaucoup évolué depuis 30 ans. « La décentralisation plus l’intercommunalité ont beaucoup changé les relations entre les collectivités territoriales et entre celles-ci et l’État ».
Elle pense nécessaire de clarifier les compétences des différentes collectivités territoriales et aussi le rôle de l’État par rapport à celles-ci car « l’État a tendance à vouloir s’occuper des missions qu’il a transférées ».
L’organisation territoriale de la France est complexe. Est-elle une exception en Europe ?
« Nous sommes une exception pour le nombre de communes mais notre histoire le justifie », répond Jacqueline Gourault. Elle souligne que les Français sont très attachés à leurs municipalités qui sont l’émanation des anciennes paroisses. « Ce tissu municipal est plutôt une richesse et il n’est pas très coûteux », estime-t-elle, les conseillers municipaux étant des bénévoles.
En revanche, il y a trop de syndicats de communes, de syndicats de pays car « l’on est assez doué en France pour multiplier des structures variées ». Pour la Sénatrice, il y a donc un besoin de simplification, mais la commune est un élément positif.
Faut-il supprimer un niveau de collectivités territoriales ? Pendant longtemps, rappelle la Sénatrice, il a été question de supprimer un échelon. Le rapport Attali envisageait de supprimer le département. Mais la réforme conçue par le gouvernement se fait dans le cadre constitutionnel actuel, c’est-à-dire avec les trois niveaux que sont la commune, le département et la région.
La création de conseillers territoriaux
« C’est pourquoi a été inventée l’idée de conseiller territorial ». Le projet de loi prévoit la création de conseillers territoriaux qui seraient à la fois conseillers généraux et conseillers régionaux et siégeraient dans les deux assemblées.
Cette nouveauté essentielle de la réforme a été le sujet le plus discuté de l’ensemble des lois votées par le Sénat en première lecture, souligne Jacqueline Gourault. Elle suscite des interrogations. D’éminents juristes du Sénat pensent qu’il y a un risque d’inconstitutionnalité dans la mesure où aucune collectivité ne peut avoir de primauté sur l’autre (cf. : Article 72 de la Constitution).
Dans ses propositions, la mission n’avait pas retenu la création de conseillers territoriaux. Elle préconisait la création d’un Conseil régional des exécutifs qui aurait permis une meilleure coordination des politiques territoriales, rappelle la sénatrice. Mais le texte de loi adopté en première lecture par le Sénat prévoit la création du conseiller territorial.
Les principaux enjeux de la réforme
Pour Jacqueline Gourault, cette réforme a plusieurs enjeux :
- Il y a tout d’abord un enjeu de finances publiques. La loi de finances a supprimé la taxe professionnelle qui était « le nerf de la guerre de beaucoup de collectivités territoriales ». « Nous, les collectivités, sommes d’accord pour participer à notre mesure à l’assainissement des finances publiques. Mais l’État doit assumer ses propres responsabilités », souligne-t-elle.
- Le deuxième enjeu est celui de la clarification des compétences des collectivités territoriales et d’une meilleure lisibilité pour les citoyens. Cette clarification est nécessaire mais elle n’est pas traitée dans ces lois et pourrait faire l’objet d’une loi ultérieure en 2010 ou en 2011.
- Le troisième enjeu est « d’instaurer entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux des relations plus saines sur le plan des finances et le plan des compétences, en respectant la tradition française. C’est un équilibre subtil entre un pouvoir central qui a toujours de vieilles réactions jacobines et le pouvoir girondin des libertés locales qu’il faut veiller à sauvegarder ».
« Nous aurions souhaité avoir une vision plus globale de la réforme », observe Jacqueline Gourault, regrettant que « tout cela soit saucissonné en plusieurs lois » (4 projets de lois ont été déposés).
Ainsi, le principe de la création du conseiller territorial a été voté en première lecture sans que son mode d’élection soit connu. Une autre loi est prévue sur le mode de scrutin. Il pourrait combiner le scrutin uninominal majoritaire et une part de scrutin proportionnel et serait à un tour, indique Jacqueline Gourault[[Depuis cet entretien, la Commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté un amendement du gouvernement prévoyant comme mode d’élection le scrutin uninominal majoritaire à deux tours.]]. Elle souligne que le scrutin uninominal n’est pas favorable à la parité hommes / femmes. Cet avis est partagé par plusieurs sénateurs et sénatrices.
Rationaliser l’intercommunalité
Pour Jacqueline Gourault, un point essentiel de la réforme est la rationalisation de l’intercommunalité et son renforcement. Elle souligne que la carte de l’intercommunalité qui couvre désormais 92 % du territoire doit être achevée. « C’est un élément fédérateur. L’intercommunalité apporte une meilleure gestion des fonds publics et correspond bien à l’état d’esprit des élus municipaux. Elle permet de faire ensemble ce que les municipalités les plus petites ne pouvaient faire seules ».
Ce projet de loi prévoit aussi la possibilité de fusion de communes sur la base du volontariat, avec le dispositif des communes nouvelles.
Le calendrier prévu
Le projet de loi de réforme des collectivités territoriales adopté par le Sénat en première lecture le 4 février 2010 est examiné en séance publique à l’Assemblée nationale à partir du 25 mai 2010. Ce texte devrait pouvoir retourner au Sénat en seconde lecture pour une adoption prévue à l’automne 2010.
En savoir plus :
- Le site de Jacqueline Gourault
Sur le site du Sénat :
- La fiche de Jacqueline Gourault
- Mission temporaire du Sénat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales :
- Rapport d’étape sur la réorganisation territoriale, tome I (n° 264)
- Tome II Annexes du Rapport d'étape http://www.senat.fr/noticerap/2008/r08-264-2-notice.html
- Rapport « Faire confiance à l’intelligence territoriale » (n°471)
- Voir le dossier législatif du Sénat et de l’Assemblée Nationale sur leurs sites.
Écouter les émissions de Canal Académie :
La réforme territoriale ou l’Acte III de la décentralisation !
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