Deux meubles historiques retrouvent leur château d’origine : Versailles et Chantilly
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques
Ce n’est pas tous les jours que deux des plus beaux châteaux français échangent leur mobilier ! Belle histoire que celle de la table de la bibliothèque privée de Louis XVI, installée sous la Révolution à la bibliothèque de l’Institut, qui retourne aujourd’hui à Versailles, en échange d’un bureau créé par Boulle pour le prince de Condé qui, lui, était à Versailles et qui rejoint désormais le Château de Chantilly... Le Chancelier de l’Institut de France, Gabriel de Broglie, raconte les détails de cet échange inhabituel de deux meubles d’exception.
Laissez-nous aujourd’hui vous conter le récit d'une histoire de meubles ayant appartenu et appartenant toujours à notre patrimoine historique, qui viennent d’être échangés entre le château de Versailles et l’Institut de France. C'est une étonnante histoire que nous relate Gabriel de Broglie, Chancelier de l’Institut de France, détaillant les tenants et aboutissants de ce singulier « partage».
Admettons-le : cela n’arrive pas tous les jours que de grandes institutions se mettre d’accord pour rapporter en leur demeure d’origine des trésors, meubles historiques laissés en dépôt. En réalité, trois entités sont ici concernées : l’Institut de France, le château de Chantilly et le château de Versailles.
Souvenons-nous en effet que le château de Chantilly, en tant que partie de l’héritage du duc d’Aumale, Henri d’Orléans, avait été légué à son petit-neveu le dernier duc d’Aumale qui, lui même sans héritier, l’avait légué à l’Institut de France en 1884. Depuis, c’est donc l’Institut de France qui est en charge de la gestion et de l’entretien de ce magnifique château.
Des ouvrages d’exception
Au fond de la bibliothèque de l’Institut de France à Paris, rappelle Gabriel de Broglie, se trouvait une très grande table, aux généreuses dimensions (3.95 x 1.88, soit presque 4 m sur 2 m). Recouverte d’un cuir, marron actuellement, vert à l’origine, elle avait été faite pour la bibliothèque privée de Louis XVI, au second étage du château de Versailles, en acajou de Cuba et bronze doré, signée Limonne, ébéniste du château (on trouve une autre table de ce même ébéniste dans la salle à manger de Louis XVI).
A l’Institut de France, elle avait tout de suite su trouver sa place dans ce lieu d’érudition, adaptée en effet à l’étude de livres de très grand format, contrairement à la plupart des autres tables de bibliothèque.
Mais comment avait-elle pu se retrouver là ? La question est encore loin d‘être résolue. Le Chancelier semble pourtant pencher pour une hypothèse qui, somme toute, demeure la plus plausible : Elle aurait été saisie à la Révolution (comme la plupart du mobilier royal de Versailles, par la suite dispersé) et apportée en 1793 à Paris pour être donnée au Comité de salut public qui siégeait dans l’ancien Collège des Quatre Nations (devenu par la suite … l’Institut de France). Elle serait donc restée là, sur place, quand l’Institut a occupé le lieu en 1805-1806.
Mais pourquoi un échange ?
On peut penser qu’il entre dans la politique de "réameublement" engagée pour que Versailles retrouve ses meubles d’origine.
En effet depuis 2007, une politique active de dépôts du Mobilier national en faveur de Versailles a permis de faire entrer au château des meubles et objets d’art de première importance : des œuvres provenant de Versailles et ayant échappé aux ventes révolutionnaires, ou d’autres offrant une parfaite équivalence avec celles disparues ou exilées telles que bureaux plats, pendules, chaises, etc.
Cette politique de « réameublement » a bien sûr suscité une large adhésion au sein de l’Institut, et en premier lieu de la part de Gabriel de Broglie lui-même ; cependant jusqu’ici, les multiples demandes de Versailles concernant cette table étaient restées lettre morte, n'ayant pas abouti malgré la mise en place de différentes commissions (de l'Académie des beaux-arts et de la Bibliothèque de l'Institut).
Pourtant en 2011, le département de conservation du château de Versailles, et en particulier sa directrice générale, Béatrix Saule, a laissé entrevoir une solution, sur la base d’une proposition que l’Institut de France a jugée magnifique : échanger cette fameuse table contre un très beau bureau plat signé Boulle, exécuté initialement pour le prince de Condé, ancien propriétaire du château de Chantilly, et aïeul du Duc d’Aumale qui lèguera, nous l’avons dit, celui-ci à l’Institut de France en 1884.
Louis-Philippe avait en effet réquisitionné dans les années 1837/1838 ce bureau pour le placer au château de Versailles, déjà soumis à l'époque à une politique ... de « réameublement».
Nous sommes donc, au final, face à un échange de bons procédés entre deux (et même trois) institutions décidant de partager et de réhabiliter un morceau de notre patrimoine historique. Il va sans dire que cet échange a cependant suscité quelques interrogations à l’Institut, qui y voyait un certain nombre de difficultés à surmonter, difficultés que nous explique Gabriel de Broglie.
Pour les deux premiers parties en présence, l'échange était tout à fait équitable : ce magnifique bureau de Boulle s'est parfaitement intégré dans le vieux Chantilly, retrouvant son emplacement d'origine dans un petit salon en boiseries dorées, restauré récemment, à l'angle de la très belle galerie des Conquêtes. Appartenant à l'histoire de Chantilly, ce meuble historique a donc trouvé sa place au sein du château, dans le pur respect du duc d'Aumale, très attaché, on le sait, à l'héritage des Condé. Quant à la table de Louis XVI, elle a retrouvé tout naturellement son écrin royal à Versailles.
Mais la bibliothèque de l'Institut de France semble, elle, il est vrai, quelque peu lésée dans cette affaire : elle a en effet perdu une table et n'a rien gagné (matériellement parlant en tous les cas) en échange. Mireille Pastoureau, conservatrice générale de la bibliothèque de l’Institut, souhaite que la table soit remplacée par un meuble, si l’on peut dire, « digne » de ce haut lieu d’histoire.
Or pour le moment, seul un meuble d’appoint a été trouvé, l’Institut étant toujours à la recherche d’une nouvelle table, en harmonie avec le lieu, et surtout aux mêmes dimensions.
Cette recherche s’est inscrite également dans un projet de réaménagement plus général de cette partie de l’Institut, lieu essentiel puisque, lors des réceptions solennelles des Académies, les académiciens sont tous réunis dans cette partie de la bibliothèque et, au roulement des tambours de la Garde républicaine, c’est par un passage au fond de cette pièce (où se trouvait auparavant la table) que tous s’engouffrent pour arriver sous la Coupole.
Bien sûr est aussi apparue une autre difficulté, celle du déplacement de cette immense table, et c’est avec amusement que le Chancelier de Broglie nous conte ici cette anecdote.
La table a dû être démontée (de grandes tiges dorée en bronze maintenaient l’ensemble) entre les pieds et le bâti. Le plateau, lui, est resté en un seul morceau, d’une dimension importante il va sans dire, sans parler de la vitre qui protégeait cette table, de 15 cm d’épaisseur, qu’il a fallut découper en 4 morceaux.
Ce fut donc tout une aventure, le public peut l’imaginer aisément, pour faire sortir ce meuble du bâtiment, en passant notamment par des escaliers plutôt «récalcitrants».
Notons d’ailleurs que la table n’est aujourd’hui pas encore arrivée dans son véritable lieu d’origine, c’est-à-dire la bibliothèque privée de Louis XVI au second étage du château de Versailles, la faire entrer dans la pièce étant, pour l’instant, tout bonnement impossible. Elle demeure donc, en attendant qu’une solution soit trouvée, dans la bibliothèque du premier étage.
Voici donc contée une histoire de «tables» des plus amusantes, une histoire d'« échange » (échange de dépôt rappelons-le et non de propriété), peu commun au sein de telles institutions. Une occasion de nous montrer à quel point le patrimoine historique de France n’est pas figé et que de belles histoires peuvent encore y être racontées...
En savoir plus :
- Consultez la fiche de Gabriel de Broglie, Chancelier de l’Institut de France, membre de l’Académie française et de l’Académie des Sciences morales et politiques
- Retrouvez Gabriel de Broglie sur Canal Académie
- Consultez nos autres émissions sur Versailles :
Le Mobilier national de Versailles s’expose à Paris et à Beauvais
A la découverte du Château de Versailles (1/4)
Les jardins de Versailles (1/3) : l’histoire des jardins à la française
- Consultez également nos émissions sur le Château de Chantilly et sur l'Institut de France :
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