L’Oreille aux aguets : posture, stigmatisation et baladodiffusion
Jeanne Bordeau, directrice et fondatrice de l’Institut de la qualité de l’expression, décrypte ces mots en vogue dans les milieux des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Dans cette émission : "posture", "stigmatisation", "podcast", des mots révélateurs de l’évolution de nos sociétés ?
Olivier Desarthe propose d'emblée : Poursuivons notre petite discussion autour de la langue et convoquons à la table de l'air du temps le mot «posture», si prisé de nos médias. Ce n'est pas le sens physique du terme qui nous intéressera aujourd'hui mais bien l'aspect intellectuel du mot, «qui indique d'où l'on parle».
La présence de ce vocable dans notre rubrique n'est pas inattendue, posture, ce mot-valise, par trop couru, devient omniprésent dans nos sources d'information. Et, après le monde de la communication qui l'a adopté pour son sens de «positionnement», c'est désormais tous les secteurs d'activité qui l'emploient. Cela est-il vraiment étonnant ? En effet, dans une société en perpétuel mouvement, comment ne pas se rattacher à un terme qui compte pour synonymes «maintien» et «pause» ? Quel luxe que de pouvoir s'accorder une pause pour penser, ou d'arrêter le temps pour mieux cristalliser l'instant. D'ailleurs tout comme «performance», autre mot cher à nos sociétés, posture peut lui aussi s'accorder en bien ou en mal, reflet de l'enseignement des coachs qui ont su nous inculquer l'idée qu'il existe une bonne posture, une posture gagnante. Ainsi possédons-nous une «colonne vertébrale mentale», gage du bon équilibre de nos jugements.
Un équilibre soumis à rude épreuve dans un monde où la «stigmatisation» est de plus en plus présente, nous forçant, justement, à adopter une posture. Si l'on n'écrit plus ce mot en référence aux esclaves que l'on marquait au fer rouge, il garde tout de même l'idée de trace déposée pour ridiculiser, pour écarter, pour rejeter. Et il est vrai que l'usage du terme «à tout bout de plume» reste inquiétant, n'est-ce pas là la marque d'un débat public qui se durcit, de l'expression d'une colère civique ?
Tournons-nous donc vers les outils d'échange public, et plus précisément en direction du «Pdocast», contraction d'«I-pod» (le très plébiscité baladeur d'Apple) et de «Broadcast» qui signifie «diffuser». Il peut ne pas sembler étonnant de trouver ce terme dans les émissions d'une radio numérique, et pourtant, l'absence d'équivalent dans la langue française appelle à réflexion. Si la Commission de la Terminologie avait, dans un premier temps, proposé «diffusion pour baladeur», c'est vers le Québec, Etat qui a le sens de la métaphore et où le mot «baladodiffusion» (avec le L unique de baladeur) circule déjà, que l'espace francophone doit se tourner. Devons-nous voir en cela l'incapacité à trouver une alternative digne de la langue de Molière?
À l'heure où la langue évolue au rythme des progrès scientifiques et technologiques, en prenant bien souvent des accents anglo-saxons, la francophonie se doit de prouver la richesse de ses lettres qui ont toujours eu pour mission première de transmettre leurs lumières.
En parlant de lumière écoutons Alfred de Musset s'adresser à l'astre lunaire dans un extrait de sa «Ballade à la lune»:
«C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.
Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?»
Et oui même la lune peut susciter des questions de posture...
Ecoutez également les autres émissions de cette chronique :
Oliver Desarthe
L'Institut de la qualité de l'expression :
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ou sur son blog pour découvrir ces tableaux de langage :
http://blog.institut- expression.com
Jeanne Bordeau est l'auteur du livre "Entreprises et marques Les nouveaux codes de langage" paru en septembre 2010 aux éditions Eyrolles. Ecoutez-la dans notre émission : De nouveaux codes de langage pour les entreprises