Le duc de Richelieu : un gastronome et libertin, emblématique du XVIII ème siècle
Le duc de Richelieu, à ne pas confondre avec le cardinal, bien sûr, aimait les plaisirs de la chair mais aussi la bonne chère... Inséparable de son cuisinier à qui l’on doit le nom de la recette de la "mahonnaise", Richelieu, toute sa vie durant, accorda une place importante à la gastronomie. Jean Vitaux, auteur du Dictionnaire du Gastronome, vous fait découvrir cet amoureux de tous les excès.
Louis François Armand de Vigneron du Plessis, duc de Richelieu naquit en 1696 à Paris et mourut dans la même ville en 1788, à l'orée de la Révolution Française. Sa carrière a embrassé tous les aspects de la vie de cour du XVIIIe siècle : ayant connu la Bastille dans son jeune âge en raison de son trop grand empressement pour Mademoiselle de Noailles, puis sous la Régence pour une affaire de duel et un complot bien mal ficelé, il s'y fit des amis et traversa le siècle tel un météore.
Académicien français à l'âge de 24 ans malgré son orthographe désastreuse, son discours fut sans doute au moins en partie écrit par Fontenelle. Il fut ambassadeur à Vienne à l'âge de 26 ans, où ses dîners fastueux contribuèrent à attirer l'Autriche dans une alliance avec la France. Ce fut un homme de guerre heureux, contribuant à la victoire de Fontenoy, prenant Fort-Mahon aux Baléares, mais prenant ensuite le commandement de l'armée du Hanovre pendant la guerre de sept ans, il ne subit pas le sort funeste du prince de Soubise à la bataille de Rossbach, mais y gagna le surnom de « Petit père de la Maraude ».
En effet, bien qu'ayant fini par toucher une petite partie de l'héritage de son aïeul le Cardinal de Richelieu, après 80 ans d'arguties, son train de vie était si somptueux qu'il fut endetté toute sa vie. C'était un libertin accompli dont Pierre Larousse dans son Grand Dictionnaire du XIXe siècle nous dit : « Sa vie entière fut un scandale, et il est resté le type le plus brillant de la dépravation de cette époque ». Il eut d'innombrables conquêtes depuis les dames de la cour jusqu'aux chambrières et aux actrices de l'Opéra comme La Souris. Il s'amusa même à conquérir toutes les maîtresses du Régent, certes après lui..., et fut l'ami du roi Louis XV. Mais le principal reproche de ses contemporains fut son goût et son usage immodéré des parfums, fustigé par une épigramme de l'époque :
« Un gigot tout à l'ail, un seigneur tout à l'ambre,
A souper vous sont destinés.
On doit, quand Richelieu paraît dans une chambre,
Bien défendre son coeur et bien boucher son nez. »
Mais dans tous les aspects de la vie protéiforme de cet homme du XVIIIe siècle, la gastronomie tint une place constante. Il affirmait qu'« avant le règne de Louis XV, on ne savait pas manger ». Durant son ambassade à Vienne en 1726, il usa des mêmes préceptes que plus tard Talleyrand pendant le Congrès de Vienne en 1815. Il arriva à Vienne avec tout son personnel, ses cuisiniers, ses surtouts de table en orfèvrerie : son convoi comprenait 75 carrosses ! Et les invités furent si impressionnés par des poissons si grands qu'il fallait deux valets pour les porter à table, que le succès de l'ambassade suivit : l'Autriche se rapprocha de la France.
Durant la guerre de Sept-Ans, le Maréchal de Richelieu, fin stratège et bon capitaine, menait toujours grand train et son cuisinier le suivait fidèlement. S'emparant de la forteresse de Port Mahon aux Baléares en 1756, son cuisinier lui servit une sauce divine, confectionnée avec les produits du pays, que l'on qualifia de Mahonnaise puis de Mayonnaise.
Dans tous les cas, le mérite en revient au cuisinier, qui, s'il n'inventa probablement pas la sauce qui commençait à être décrite à l'époque, eut l'idée de la baptiser en l'honneur du Maréchal et de son fait d'armes.
Le banquet qui assura la postérité gastronomique du Maréchal de Richelieu eut lieu lui aussi pendant la guerre de Sept-Ans en 1757 dans la forteresse d'Ostfrise dans le Hanovre. Voulant honorer ses prisonniers de marque, le Maréchal de Richelieu convoqua son cuisinier qui lui avoua qu' « il n'y avait rien en cuisine si ce n'est qu'un boeuf et quelques racines ». Le Maréchal lui répondit : « Très bien en voilà plus qu'il ne faut pour faire le plus joli souper du monde ». Le président Hénault retranscrivit le menu que l'intendant Rullière écrivit sous la dictée du Maréchal.
Servi dans la vaisselle en vermeil du Maréchal sur la table ornée du surtout, avec « la figure équestre du Roy, et les statues de Du Guesclin, de Dunois, de Bayard, de Turenne, ma vaisselle de vermeil avec les armes en relief émaillé », ce souper à la Française, en trois services ne comportait pas moins de 22 plats qui mêlaient tous les morceaux du boeuf, les abats, avec des cuissons différentes et l'utilisation intelligente et raffinée des légumes – que l'on nommait alors racines ». Ce menu Tout en Bœuf du Maréchal de Richelieu est resté justement célèbre.
Le Maréchal n'en resta pas là : en 1759, il fut nommé Gouverneur de Guyenne et de Gascogne et arriva fatigué à Bordeaux : les bains de lait ne l'ayant pas rétabli, il s'adressa à un produit local, qui fut aussitôt rebaptisé par les esprits moqueurs du temps, la «Tisane du Maréchal » : c'était le vin de Bordeaux. Il en fit bon usage et de retour à la Cour, il introduisit le vin de Bordeaux à Versailles. A l'époque, on n'y buvait que du vin de Bourgogne ou de Champagne, car le transport gâtait souvent le vin. Richelieu apporta donc du Château-Lafite (devenu depuis cette époque le Château Lafite-Rothschild) que, selon les mémoires -apocryphes- de la Marquise de Créquy, le roi trouva passable. C'était là le réflexe d'un authentique gastronome qui veut partager avec ses amis ses découvertes gastronomiques.
Le maréchal du Richelieu vécut jusqu'aux derniers feux du « Siècle des lumières »: les dernières années de sa vie, n'ayant plus de dents, il se nourrissait de purée de pigeonneaux qu'il accommodait volontiers de petits pois. Le Maréchal de Richelieu a laissé son nom à un plat, un boudin à la Richelieu, boudin banc truffé servi avec des amandes.
Quelle vie bien remplie de cet homme du XVIIIe siècle qui en vécut tout le faste et les excès, qui mourut à plus de 90 ans. Rendons-lui donc grâce.... à table !
- Consulter sa fiche sur le site de l'Académie française : http://www.academie-francaise.fr/immortels/index.html
En savoir plus :
Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais aussi fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’Histoire de la gastronomie. Il est, avec Benoît France, l'auteur du célèbre Dictionnaire du gastronome (éditions PUF).
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