Le maréchal Henri de Turenne : « Je me suis appliqué à apprendre sous lui le métier de la guerre » (Louis XIV)
Turenne, né le 11 septembre 1611, mort au champ d’honneur en 1675, connaît un statut particulier parmi les plus prestigieux chefs militaires qui ont servi la France. Frédéric II, Voltaire, Napoléon, Clausewitz lui rendirent hommage. Le général Weygand, de l’Académie française, écrivit en 1926 sa biographie : « Un courage moral et une fermeté de caractère exceptionnelle. Or, l’équilibre entre les talents et le caractère est justement […] ce qui fait les grands généraux. » Pourquoi, aussitôt disparu, Turenne est-il entré dans la légende ? Yves-Marie Bercé, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, évoque son génie militaire, son rôle dans l’organisation des armées du royaume, ses vertus intimes et sa postérité.
_ Turenne appartenait à la plus haute aristocratie de l’Europe. Ce fut par cette ascendance princière qu’il accéda immédiatement à des charges importantes, à des responsabilités considérables, et qu’il put mener cette carrière à la fois sur le champ de bataille et dans le cabinet des chancelleries.
Un chef de guerre et un prince érudit
Son père, le duc Henri de la Tour d’Auvergne, maréchal de France, vicomte de Turenne et compagnon d’Henri IV, était puissamment et richement possessionné dans le Bas-Limousin et le Quercy. En 1591 il avait épousé, en premières noces, la princesse Charlotte de la Mark. En vertu du contrat de mariage, le vicomte de Turenne prit le titre de duc de Bouillon et prince de Sedan. En 1594 Charlotte mourut sans lui laisser d’enfant. L’année suivante, le duc de Bouillon épousait Elisabeth de Nassau fille du prince d’Orange, Guillaume le Taciturne.
Leur fils, Henri, passa donc sa jeunesse en Hollande, dans sa famille maternelle, et fit ses premières armes comme volontaire dans les armées des Provinces-Unies. Il reçut une excellente éducation : il parlait le latin – ce qui était l’usage pour les princes au XVIIe siècle - mais aussi le néerlandais, l’allemand, et le français, bien sûr ; il connaissait les mathématiques. Son éducation militaire fut hors-norme au contact d’abord des armées du prince de Nassau puis, plus tard, auprès du prince Bernard de Saxe-Weimar, lui-même.
Guerre de mouvement, audace, rapidité, surprise
En 1633, il se rallia définitivement au camp français. Son entrée dans la clientèle personnelle du cardinal de Richelieu, lui permit, d’emblée, d’être haut placé dans la hiérarchie sociale, militaire et politique de son temps. Il servit en Piémont, en Lorraine, en Allemagne, dans tous les territoires d’opérations où la France fut engagée à partir de1635.
En 1638, on lui confia les « Weimariens », régiments de mercenaires appartenant à Bernard de Saxe-Weimar, qui venaient de mourir au combat.
De 1644 à 1648, il fut constamment présent sur les espaces de guerre en Allemagne. Son génie militaire se manifesta à la bataille décisive de Susmarshausen en 1648. L’empereur Ferdinand III dut négocier (Paix de Munster et signature du Traité de Westphalie en 1648).
« La Guerre de Trente ans », achevée en 1648 en Allemagne et en 1659 aux Pays-Bas, fut, en grande partie, une guerre de mouvement. Turenne, partisan d’opérations de grandes envergures, très mobiles, basées sur le renseignement et la surprise, y révéla sa parfaite maîtrise des techniques de l’art militaire de son temps.
Turenne et la Fronde
Turenne fut frondeur. Comme la plupart des Français, il rejetait la légitimité de Mazarin. Le cardinal paraissait un ministre usurpateur qui accaparait les pouvoirs de la régence, reportait la conclusion d’une paix générale alors que l’occasion pouvait s’en offrir et s’associait à une politique fiscale terroriste. Turenne s’engagea, et engagea les places qu’il tenait dans l’est de la France, du côté des armées de la Fronde. Il subit un revers à Rethel en 1650. Au printemps 1651, la Régente Anne d’Autriche chercha à se concilier les principaux opposants et Turenne négocia, alors, son ralliement au parti de la Cour.
La Bataille des Dunes, 1658
De 1655 à 1659 Turenne conduisit les opérations situées, désormais, sur la frontière des Pays-Bas espagnols (actuelle Belgique). Sa victoire décisive sur Condé à la fameuse Bataille des Dunes (aux portes de Dunkerque) amena le roi d’Espagne à accélérer les tractations à Fontarabie et à signer la Paix des Pyrénées en 1659.
Une nouvelle fois, Turenne joua un rôle essentiel dans les victoires de la cause française. Pour le jeune Louis XIV des années 1660, Turenne fut la référence ; Condé s’était rallié mais il était encore un peu tenu à l’écart. Le vétéran des champs de batailles de la Guerre de Trente Ans, c’était Turenne. Ministre d’État, il initia le roi aux conditions de la conduite des armées.
La réorganisation de l’armée
Á partir des années 1665-1666, Louis XIV prit conscience des capacités de son royaume ; il eut, alors, l’ambition d’une sorte d’hégémonie militaire et du grignotage des frontières de la Lorraine, de la Franche-Comté, des Pays-Bas espagnols, etc. Il chargea Turenne et les secrétariats d’État à la guerre tenus par Le Tellier, puis Louvois, de réorganiser l’armée : recrutements, armement, approvisionnements, contrats avec des munitionnaires. On assista à une professionnalisation, lente mais certaine, du métier des armes.
Turenne, en particulier, revalorisa la cavalerie - à laquelle il tenait énormément pour la rapidité de ses mouvements - avec la spécialisation de Dragons. Il se fit donner le titre de Colonel-Général de la Cavalerie légère (titre apparu seulement depuis la fin du XVIe siècle).
Louis XIV associa sa propre gloire à celle des cheveux blancs de Turenne
La plus grande conflagration du XVIIe siècle fut la Guerre de Hollande menée par Louis XIV de 1672 à 1678-79, conclue avec la Paix de Nimègue.
Turenne s’y couvrit d’une gloire telle que Louis XIV orchestra, lui-même, les mérites de son chef militaire, la mémoire de ses batailles et ses campagnes. Le monarque, dans ce moment intense de propagande militaro-politique, mettait en scène sa propre gloire associée à celle du héros national.
En juillet 1674, Turenne pratiqua la politique de la terre brûlée sur la rive gauche du Rhin. Il « fit le dégât » sur les terres ennemies pour qu’elles ne servissent pas à l’approvisionnement des Impériaux : « 1er ravage du Palatinat ».
Pendant l’hiver 1674, il remporta la victoire de Turkheim où il surprit l’ennemi grâce à une approche de nuit audacieuse - cette victoire, en plein hiver, sera fortement liée, pour toujours, à la mémoire du Maréchal.
Le 27 juillet 1675, ce personnage, déjà au faîte de sa gloire, mourut - un boulet isolé le frappa au cours d’une reconnaissance d’avant-garde. Sa popularité redoubla.
Louis XIV demanda, honneur exceptionnel, qu’il soit enterré à Saint- Denis. Le 31 août, ses funérailles furent grandioses.
Après le désastre du ravage de la basilique de Saint-Denis par les Révolutionnaires, Bonaparte, en 1800, voulut que l’on retrouvât le monument funéraire de Turenne et qu’on le transportât à Saint-Louis des Invalides dans la nécropole des gloires militaires de la France.
Turenne entre dans la légende
Ses Mémoires, sa correspondance furent l’objet de commentaires particulièrement approfondis par Napoléon et Clausewitz, entre autres - nous l’avons déjà précisé plus haut.
Parmi les écrivains militaires, Turenne n’est pas le plus clair, le plus illustre. Cependant il fut rattaché aux plus grands succès des armées françaises du XVIIe siècle, cette période d’hégémonie de la France dans le concert des nations européennes. Ses succès tactiques, certes, mais aussi ses vertus furent glorifiées : un « Honnête Homme » généreux avec ses ennemis, attentif à bien traiter ses soldats et ses prisonniers.
Parfois, on quitta le récit de l’histoire objective et on entra dans une sorte d’hagiographie.
Sa mémoire devint intemporelle, commémorée, aussi, par des airs de marches militaires attribuées à Lully et encore jouées de nos jours : Marche de Dragons de Turenne ; Les Dragons de Noailles : « ils ont traversé le Rhin avec Monsieur de Turenne… »
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