Les Académiciens racontent l’histoire : Louis XV (3/4), Fleury et Pompadour
Pour vous présenter Louis XV, le « Bien-Aimé », mais aussi le cardinal de Fleury, la Pompadour et... le triste état de la France, Canal Académie a choisi ici deux académiciens d’époques différentes : le marquis d’Argenson (XVIII e) de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, et Pierre de Nolhac (XX e), de l’Académie française. Les comédiens Michel Girard et Pierre Victor assurent la lecture de ces textes.
Cette émission est la troisième de la série consacrée à Louis XV. Dans la quatrième, vous pourrez continuer à découvrir Louis XV avec ces mêmes auteurs.
Canal Académie vous invite à découvrir des extraits des Mémoires et journal inédit du marquis d’Argenson
- René Louis de Voyer de Paulmy (1722-1787), 2e marquis d' Argenson est nommé secrétaire d'État aux Affaires étrangères par Louis XV (1744 à 1747) en novembre 1744. Il fut élu membre honoraire de l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1733. Son frère, le comte d’ Argenson, fut secrétaire d’Etat à la Guerre de 1743 à 1757.
Tome 1
Le cardinal de Fleury : De 1726 jusqu’à sa mort en 1743, l’ancien précepteur de Louis XV, le cardinal de Fleury dirige la France aux côtés du roi.
"Le cardinal de Fleury est à la fois le ministre du roi et de la nation ; avec le temps on lui rendra justice comme à Sully. On lui refuse d'avoir un vaste génie ; mais nous sommes dans un temps où l'on peut se passer de ceux de cette trempe. Du moins, ne peut-on lui refuser l'esprit aimable, un grand usage du monde et de la cour, de l'aménité, de la politesse, même une galanterie décente et qui ne contrarie aucun des caractères graves dont il est revêtu. Ses qualités ministérielles sont la justesse d'esprit, la solidité dans les vues et les intentions, la franchise et la bonne foi vis-à-vis des étrangers, une politique assez adroite, mais qui n'est point traîtresse. Il sait se démêler des pièges que lui tendent les courtisans, sans user de moyens perfides et machiavélistes. Il a soin de ne hasarder aucune dépense mal à propos, mais surtout de ne point mettre la nation en frais pour courir après des idées chimériques. Il met beaucoup de modération et de désintéressement dans ses dépenses personnelles; il évite le faste, et trouve beau et plus noble de se mettre au-dessus. Sa conduite à cet égard est l'égide qu'il oppose à ceux qui voudraient l'engager à leur faire des grâces extraordinaires, qui ne serviraient qu'à nourrir leur luxe. Enfin ce ministre semble fait pour assurer le bonheur dont nous jouissons, sans l'altérer; et c'est tout ce que nous pouvons désirer, car la France est à présent au point de pouvoir dire : Que les dieux ne m'ôtent rien, c'est tout ce que je leur demande.
"
Triste dénouement du ministère de M.le cardinal de Fleury. (Loisirs d'un ministre)
- Début de la guerre de succession d’Autriche
- Mort de l’empereur Charles VI et avènement de sa fille Marie-Thérèse (1740)
"A la fin de l'année 1736, tous les éloges que je viens de faire de M. le cardinal de Fleury et de M. de Chauvelin (garde des Sceaux), les espérances que j'avais conçues du bien qui devait résulter de leur accord, étaient vrais et justes. J'écrivais, comme je fais encore aujourd'hui, pour moi seul, et tout au plus pour mes enfants après ma mort, ce que je voyais, ce que je croyais, ce que je pensais, sans préjugé et sans intérêt de tromper personne. Le cardinal venait de conclure une paix qui procurait au roi la Lorraine, province d'une richesse et d'une ressource immenses, sans qu'il en eût presque rien coûté à la France. Notre militaire s'était distingué ; nous avions eu des succès partout, quoique nos généraux eussent fait quelquefois de grandes fautes. Notre royaume n'était pas à beaucoup près épuisé d'hommes et d'argent, ainsi qu'il l'a été depuis. La France était calme au dedans et glorieuse au dehors.
Mais les courtisans jouèrent un tour de leur métier au garde des sceaux, ou plutôt à M. le cardinal, dont les six dernières années de sa longue vie se sont cruellement ressenties. On lui persuada que l'héritier désigné de sa place se lassait d'attendre, brûlait du désir de posséder son héritage, et était capable de lui donner des dégoûts pour l'obliger à le lui abandonner. Le cardinal, qui peut-être peu de jours avant d'entrer au ministère ne l'ambitionnait pas, craignit de le perdre dix ans après l'avoir obtenu : tant il est vrai que l'on s'accoutume aisément au pas fort difficile. Mais il oublia qu'il avait plus de quatre-vingts ans, qu'un second lui devenait de jour en jour plus nécessaire, et que, sans cet appui, il allait être le jouet des intrigues ; que dans le courant même des affaires ordinaires, il n'aurait plus personne qui lui indiquât des expédients, et dont il pût faire ce qu'on appelle son bras droit. Il s'imagina qu'il se vengeait d'un traître, et il perdit un homme qui lui était nécessaire. Il fit un coup d'éclat qui prouvait son crédit sur l'esprit du roi, mais personne n'en doutait. Le roi n'avait jamais eu avec M. de Chauvelin une seule conversation tête à tête. Sa tournure même ne lui convenait pas ; sa familiarité, ses éclats de rire, le ton de ses plaisanteries, lui déplaisaient à l'excès. Mais les courtisans, plus fins que le premier ministre, sentirent que, comme le cardinal pouvait tout obtenir du roi, d'un autre côté ils pourraient dorénavant tout obtenir du premier ministre, même ce qui était le plus contraire au bien de l'État et à ses principes.
L'empereur Charles VI n'avait fait de si grands avantages à la France que pour s'assurer la garantie de cette puissance pour sa pragmatique sanction, c'est-à-dire pour l'acte qui assurait l'intégrité de ses états à sa fille aînée. Le cardinal l'avait promis, et la réputation de vertu et de bonne foi dont il avait joui jusqu'alors avait tranquillisé l'empereur sur l'effet de cette promesse. Aussi Charles VI mourut-il, en 1740, dans la douce persuasion que sa fille et son gendre hériteraient de toutes ses couronnes, et que, si quelqu'un voulait les troubler dans cette possession, la France elle-même les défendrait. Il n'y avait que la reine d'Espagne qui n'était pas très-contente de n'avoir pas eu un établissement en Italie pour son second fils Don Philippe. Quelque injuste que fût cette prétention, il eut été possible de la satisfaire sans entreprendre d'anéantir la nouvelle maison d'Autriche ; mais alors celui qui aurait pu arranger cette affaire en habile et sage politique était exilé à Bourges. Des négociateurs, ou plutôt des intrigants, plus dangereux et moins délicats, troublèrent la tête d'un premier ministre de quatre-vingt-six ans, et la ruine de la maison d'Autriche fut résolue.
On la lui fit regarder comme si aisée, qu'il aurait eu à se reprocher d'avoir manqué une si belle occasion d'effacer presque jusqu'à la mémoire de la prétention de Charles-Quint à la monarchie universelle ; on lui dit qu'il serait comptable envers la postérité s'il négligeait d'en profiter. Le pauvre cardinal en fut si persuadé, qu'il ne disputa plus que sur les grands frais dans lesquels cette entreprise jetterait la France. Il craignit qu'elle n'épuisât ses épargnes et ne dérangeât son système d'économie. On lui fit entendre que la France en serait peut-être quitte pour se montrer seulement, ou du moins qu'il en coûterait peu d'hommes et peu d'argent. Il se laissa séduire ; il donna beaucoup plus qu'il ne voulait, beaucoup moins qu'il ne fallait, et il mourut décrié aux yeux de toute l'Europe, trahi par une partie de ses alliés, haï de l'autre, ayant manqué de se concilier ceux dont il devait le plus s'assurer, tels que le Roi de Sardaigne. Il laissa la France dans la plus grande détresse, et engagée dans une guerre par mer, sans avoir pris aucune mesure pour l'empêcher, ni la soutenir. Solon disait à Crésus que nul ne pouvait se dire heureux avant sa mort. Ne pourrait-on pas dire également que l'on n'est jamais sûr d'être jusqu'à la fin de ses jours habile politique, sage, ni même vertueux?"
Tome 2
Misère des provinces.
(Février 1739, jusqu'à fin de 1740)
1725. "L'opinion constante du marquis d'Argenson a été qu'il vaut mieux hausser que baisser le prix des monnaies ; que la première opération, maintenue en de justes limites, enrichit les peuples en aidant à acquitter les dettes ; que la baisse, au contraire, les appauvrit. Son économie politique se réduit, en général, à ce principe : La prospérité des États, comme celle des particuliers, consiste à devoir le moins possible, et conséquemment les lois doivent favoriser les débiteurs, et leur faciliter les moyens de se liquider.
Peu importent mes idées, dira-t-on peut-être, ce sont celles de nos gouvernants qui importent davantage; et ce n'est malheureusement que trop vrai. On a imaginé, afin de répandre l'argent dans Paris, de donner de grandes et ridicules fêtes pour le mariage de Madame Première avec l'infant don Philippe; comme s'il n'y avait pas cent emplois plus utiles pour le pauvre peuple à faire de l'argent amassé dans les coffres royaux, à commencer par une réduction sur les tailles, si vivement désirée.
Mais nos ministres sont enchantés de leurs belles opérations, tant ils se croient supérieurs aux événements, et maîtres du mal par le remède!
— On dit que les receveurs généraux eux-mêmes demandent la réduction des tailles."
Novembre 1740.
— "On n'ose plus sortir dans les rues de Paris dès sept heures du soir, et partout les Suisses font la patrouille à la place du guet. Le pain est maintenu à cinq sous moins un liard, grâce aux exactions que l'on exerce sur les malheureuses provinces. On craint à chaque instant des révoltes générales. Dans plusieurs villes, les habitants ont dit que, tant qu'il leur resterait des bâtons et des fourches, ils empêcheraient bien qu'on n'enlevât leurs grains. On a été obligé de couvrir le froment d'avoine, et d'employer d'autres ruses pour tromper la surveillance.
— Le duc de La Rochefoucauld a dit au roi que Sa Majesté ignorait peut-être en quel état étaient ses provinces; que cela passait toute idée; que tout était fardé ici ; que le ministère ne travaillait qu'à déguiser le mal, à feindre l'abondance dans Paris; mais que, dans les provinces où il y avait tant de détresse l'an dernier, on était au double misérable cette année, et que celles qui étaient le mieux l'an passé étaient maintenant à l'égal des autres. A cela S. M. a répondu qu'elle le savait fort bien, qu'elle savait même que le royaume avait diminué d'un sixième depuis un an.
Le cardinal en est aussi convaincu, et comme on lui parlait de la possibilité d'une guerre étrangère, S. Em. a répondu, avec son ton doucereux, que ce serait impossible, vu qu'on manquait d'hommes en France.
Il est positif qu'il est mort plus de François de misère depuis deux ans que n'en ont tué toutes les guerres de Louis XIV.
— Comme on plaisante ici sur les choses les plus sérieuses, il court une épigramme sur le cardinal, dont je n'ai retenu que le trait. La France est un malade que, depuis cent ans, trois médecins, de rouge vêtus, ont successivement traité. Le premier (Richelieu) l'a saigné; le second (Mazarin) l'a purgé, et le troisième (Fleury) l'a mis à la diète."
Ces extraits de textes vous sont lus sur Canal Académie par le comédien : Michel GIRARD
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Pierre de Nolhac (1859- 1936) a laissé derrière lui une œuvre littéraire importante consacrée à l'histoire et particulièrement à l'humanisme de la Renaissance. On lui doit notamment Louis XV et Marie Leszczynska, Louis XV et Madame de Pompadour
Il fut reçu à l'Académie française par Maurice Donnay, le 18 janvier 1923.
- A partir de 1732, plusieurs favorites jouent un rôle important dans la vie personnelle du roi. La marquise de Pompadour devient maîtresse du roi en 1745, année au cours de laquelle Voltaire est nommé historiographe du roi. Madame de Pompadour réside à Versailles de 1745 jusqu’à sa mort en 1764. Maîtresse puis amie et conseillère de Louis XV, elle exerce un rôle politique, sans parler de son influence prépondérante dans le domaine des arts. Elle place sous sa protection le peintre François Boucher et soutient nombre d’artistes à l’instar du sculpteur Jean-Baptiste Pigalle. Elle fait nommer au poste de directeur des Bâtiments son frère, le marquis de Marigny.
Découvrez maintenant des extraits du livre de Pierre de Nolhac, LOUIS XV et Madame de POMPADOUR
, publié en 1903.
LOUIS XV et Madame de POMPADOUR (1745-1752)
Extraits 1 (pages 1-11)
CHAPITRE PREMIER
MADAME LE NORMANT D’ÉTIOLES
"Versailles ne fut jamais plus animé, et pour une fête plus brillante, que le soir du 25 février 1745. C’était la dernière des grandes réjouissances de la Cour en l’honneur du mariage du Dauphin avec l’Infante d’Espagne. La tradition voulait que le roi de France conviât le plus grand nombre de ses sujets à célébrer avec lui cet heureux événement. Comme les jours précédents, le Château était illuminé sur les façades du côté des cours; par le froid sec de cette nuit d’hiver, les compagnies, qu’amenaient tous les carrosses de la capitale, apercevaient de loin ces lignes de lumière qui montaient vers le ciel et semblaient dessiner un palais de fées.
Vers le milieu de la nuit, l’affluence redoubla. Le grand appartement et le jeu de la Reine, commencé à six heures dans la Galerie des Glaces, avaient pris fin à neuf heures, pour laisser le Roi et la Reine manger à leur grand couvert. A minuit devait s’ouvrir le bal masqué. Un nouveau public entrait alors : c’était Paris qui arrivait pour avoir sa part des réjouissances royales. Deux files de carrosses avançaient lentement dans l’avant- cour. Les masques mettaient pied à terre à l’escalier de marbre et à la cour de la Chapelle, et pénétraient des deux côtés dans les appartements. Aucun billet n’était exigé: dans chaque société une personne se démasquait ; l’huissier prenait son nom et comptait ceux qui entraient avec elle. Comme on donnait le nom que l’on voulait, une formalité aussi simple n’avait rien de sévère, et même le flux des arrivants la rendit bientôt impossible. Les barrières de chêne furent forcées; tout le monde passa librement, se dirigeant, à travers les antichambres et les salons remplis de danses, d’orchestres et de buffets, vers la Grande Galerie, qui était le centre de la fête.
Cette cohue, que décrivent les Mémoires, se transforme, dans la célèbre estampe des Cochin, en une élégante foule, qui circule aisément parmi le décor magnifique. La Galerie ruisselle de lumières : lustres, torchères et girandoles se multiplient dans les glaces. Sous le plafond pompeux de Le Brun s’anime la mascarade : Arlequins et Colombines, Turcs, Arméniens, Chinois, médecins à haute perruque, sauvages emplumés, pèlerins et pèlerines, bergers, magiciens, diables et folies. Les dames, placées sur les gradins, prennent des rafraîchissements offerts par les pages. Un groupe dans un coin, sur le parquet, boit et mange; il est là pour rappeler que cinq à six cents masques, assis par terre dans les salons voisins, se gobergèrent aux frais du Roi de victuailles pillées aux buffets.
Qu’il y eût beaucoup de bourgeoisie, et de la plus mince, la princesse de Conti n’en saurait douter : elle ne trouve pas une place à prendre; un masque lui refuse la sienne et, quand elle se découvre, voyant qu’on ne la reconnaît pas : « Il faut, dit-elle, qu’on soit ici de bien mauvaise compagnie. » Il n’est pourtant pas que des manants sous les déguisements de cette nuit. Quelqu’un qui s’assied fort près de la Reine et qui passe inaperçu, est un fils de roi, le prétendant Charles-Édouard, qui mettra l’Angleterre en feu l’année suivante. Si tous les dominos tombaient, on percerait bien d’autres mystères."
- Retrouvez maintenant la suite avec un extrait des pages 13 et 15 du livre de Pierre de Nolhac :
"C’était une fête vraiment célébrée par la nation tout entière, que ce mariage du Dauphin qui achevait de sceller l’alliance, si compromise au moment des secondes fiançailles de Louis XV, entre les deux branches de la maison de Bourbon. Plus encore que le mariage, contracté cinq ans plus tôt par la fille ainée du Roi avec l’Infant don Philippe, l’union nouvelle fut l’occasion de cérémonies et de réjouissances exceptionnelles. La Cour, selon l’usage, en avait commencé la série. On avait eu, à Versailles, avant la soirée du bal masqué, un magnifique bal paré qu’a dessiné Cochin et où la Dauphine montra, au menuet, ses grâces espagnoles; il fut dansé dans la somptueuse salle du Manège, décorée par les Slodtz en 1737 et qui servait, en attendant la construction d’un Opéra, à toutes les fêtes données par le Roi. Le jour même des noces, dans ce beau lieu transformé en salle de spectacle et garnie de loges fleuries, avait été représenté un ballet de circonstance, la Princesse de Navarre, œuvre allégorique de Voltaire et de Rameau, où l’apothéose finale supposait que le Roi y viendrait, mais incognito, le Dauphin seul devant y paraître pour remercier ces messieurs de la Ville de la joie témoignée pour son mariage. C’était la nuit du dimanche gras. Le Prévôt des marchands avait fait ajouter à la grande salle une deuxième, construite dans la cour, d’une architecture de dorures et de glaces et dont le plafond atteignait la hauteur des toits. Sur cette cour donnait l’appartement préparé pour le Dauphin."
Ecoutez sur Canal Académie la lecture de ces textes dans la voix du comédien: Pierre Victor
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- Ecoutez les deux premières émissions sur Louis XV :
- Les Académiciens racontent l’histoire : Louis XV (1/4), enfance et Fontenoy
- Les Académiciens racontent l’histoire : Louis XV (2/4), le tsar, Reims et Damiens
- Ecoutez aussi Mme du Barry, une image renouvelée de la dernière favorite de Louis XV
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- Les Académiciens racontent l’Histoire : Eugénie (1/2)
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