Les positions politiques de Chateaubriand : une Révolution, un Empereur et trois Rois
François-René de Chateaubriand est un monument littéraire, l’auteur des Mémoires d’outre-tombe publiées après sa mort. Il y relate sa vie et son époque, ses nombreuses amours et sa carrière politique en saccades, ses voyages et ses positions politiques. Jean-Claude Berchet, qui a consacré 40 ans de sa vie à son héros et qui réalisa une édition critique des Mémoires d’outre-tombe vient de faire paraître une biographie qui fait déjà autorité. Saluée dans la presse, et en particulier par Mona Ozouf, elle est magistrale tant par son étendue (presque mille pages) que par la maîtrise de son sujet. Ajoutons, ce qui ne lui retire rien, qu’elle offre une belle qualité d’écriture.
Qui était donc Chateaubriand ? (né en 1768 et mort en 1848): « Le roi des égotistes » disait Stendhal. « Il avait prévu l’avenir » pensait de lui le général de Gaulle qui le tenait pour un visionnaire. Était-il l’égal de Tocqueville, son cousin à la mode de Bretagne ? Sans doute pas. Ses contemporains ne l’ont pas ménagé. « Il veut toujours qu’on le plaigne des malheurs qu’il s’impose » disait de lui la duchesse de Broglie. Et Talleyrand d’ajouter : « il croit qu’il devient sourd quand il n’entend plus parler de lui. ». Reste, pour la littérature, ces Mémoires qui sont une autobiographie sublime et sublimée, monument de « vanité et de jalousie impuissante », selon l'expression de Marc Fumaroli.
Avec Jean-Claude Berchet, nous voudrions approfondir les positions politiques de Chateaubriand. Existe-il une ligne directrice à ces positions d’apparences changeantes ? Il est, semble-t-il, un enfant de Mirabeau désireux de « royaliser la Nation et de nationaliser la royauté ». Ce désir devrait passer, dans son esprit, par un régime à l’anglaise – régime d’assemblée avec un roi au-dessus de la mêlée.
Si nous retardons, et nous le faisons avec Jean-Claude Berchet, le détail de ses prises de position, tout remonte à la Révolution française. En 1789, Chateaubriand a 22 ans. Son père voulait faire de lui un officier. Sa mère un prêtre. Confronté aux violences de la Révolution (son frère aîné sera guillotiné), il s’engage, prend position, quitte son insouciance bretonne pour devenir, comme il le dira lui-même, un « monarchiste par raison » et un « bourbonien pour l’honneur ». Tout vient de là. De ce choc. De ce déchaînement de violence. Plus tard, après un voyage aux Etats-Unis et un autre de neuf ans en Angleterre, il revient en France, épouse la cause du premier consul, entre à l’Académie Française, puis finira par critiquer les dérives policières et autoritaires de l’Empereur. Il aimait en Bonaparte ce qu’il refusa en Napoléon.
Après les Cent-Jours, il est nommé par Louis XVIII ministre d’État, une charge honorifique richement dotée, devient pair de France en août 1815 et défend l’idée d’une monarchie parlementaire avec, toujours, le souci de limiter les prérogatives du roi. Et, justement, quand le roi, le 7 septembre 1816, dissout la chambre, Chateaubriand dénonce un excès de pouvoir – lui qui souhaite sauver le roi malgré lui. Cette désapprobation provoque sa disgrâce. Le 20 septembre 1816, il est destitué de sa charge ministérielle. Il perd avec elle le traitement qui y était attaché. Après une ambassade à Berlin puis à Londres, il devient, le 1er janvier 1823, ministre des Affaires étrangères et est confronté à la question espagnole. Mais, là aussi, par manque de discipline gouvernementale et de solidarité, il est démis de ses fonctions le 6 juin 1824. Il sera resté en poste un an et demi. Mais cette destitution blessera à jamais son amour-propre. « J’ai été mis à la porte, comme si j’avais volé la montre du roi » dira-t-il.
Sous Charles X, nommé ambassadeur à Rome en septembre 1828, il donnera sa démission en août 1829. Louis-Philippe, roi de tous les Français a partir de 1830, aurait été heureux d’accueillir le grand écrivain, mais ce dernier vient lui expliquer qu’il ne doit pas être roi mais seulement régent du royaume, en ceci qu’un roi existe déjà (le fils du duc de Berry) et que le principe héréditaire ne peut souffrir d’exception. Jusqu’à sa mort, en 1848, il finit la rédaction de ses Mémoires d’outre-tombe.
En somme, Chateaubriand, loin d’être l’ambitieux si souvent décrit, sacrifia son confort personnel (et donc les rentes et les pensions offertes) à ses convictions. Il ne s’entendit pas avec quatre monarques. Il fut plus bonapartiste que napoléonien. Plus parlementaire que Louis XVIII. Plus libéral que Charles X. Plus royaliste que Louis-Philippe. Heureusement, pour avoir eu peu d’emprise sur la vie politique de son temps, il en eut sur la littérature.
Damien Le Guay
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Jean-Claude Berchet
- Agrégé de lettres classiques, Jean-Claude Berchet est maître de conférences à l'Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle et vice-président de la Société Chateaubriand.
- N'hésitez pas à consultez la biographie de Jean-Claude Berchet, Chateaubriand, aux Éditions Gallimard, 2012.