Jean d’Ormesson se souvient de Marguerite Yourcenar
Dans cette émission, Jean d’Ormesson se souvient du combat qu’il mena pour l’élection de Marguerite Yourcenar à l’Académie française. Non, elle ne fut pas aisée. Qu’importe. Aujourd’hui en 2010 nous célébrons le trentième anniversaire de l’entrée d’un grand écrivain sous la Coupole. C’était le 6 mars 1980. Jean d’Ormesson raconte.
Le souvenir reste bien vivace. Comment ne le serait-il plus ? Il se sentit bien seul ce jour-là lorsqu'il proposa cette idée. Seul contre une compagnie remontée et même indignée ! Jean d'Ormesson avait osé proposer l'entrée d'une femme à l'Académie française.
Les querelles de l'Académie créent sa légende
Dans l'assemblée interloquée, le silence fut immédiat. Les murmures qui montèrent peu à peu cédèrent la place à une «opposition extrêmement forte qui créa une élection très disputée» comme le déclare notre invité.
Une femme à l'Académie et pourtant : «rien dans le réglement n'interdisait l'élection d'une femme mais il y avait quelque chose de plus fort que le réglement : la tradition». Ah la tradition ! Vieille de plus de 350 ans. 350 ans sans femmes : «cela marque une compagnie». La rupture était consommée. Impossible de reculer. Il fut donc bien seul à mener le combat. «Cela me paraissait si évident. J'avais lu Marguerite Yourcenar, Les mémoires d'Hadrien m'avait ébahi. Il me semblait naturel de proposer cet écrivain à l'Académie. Sans complaisance ni féminisme. Au final, j'avais l'impression de forcer la main de mes confrères. Je me retrouvais malgré moi au coeur d'une histoire rocambolesque. On m'avait même accusé de faire ma propre publicité. J'ai fini par quitter la salle.»
Marguerite Yourcenar au fauteuil de Roger Caillois
De cette épreuve, Jean d'Ormesson en ressort grandi. N'a-t-il pas, au fond, permis une ouverture nécessaire ?
Roger Caillois, écrivain, sociologue et critique littéraire laissait son fauteuil vacant en décembre 1978. Se posait alors la question de sa succession. Qui pouvait être accueilli à la place d'un homme sans «étiquette» ?
- «J'ai été très impliqué dans cette élection car je trouvais qu'un écrivain comme Marguerite Yourcenar avait la stature pour remplacer un homme tel que Roger Caillois. Comme j'avais une vénération pour lui (j'avais travaillé 20 ans à ses cotés !), j'étais heureux que Marguerite Yourcenar lui rende hommage.»
- «Je trouvais que les deux personnages au fond se ressemblaient beaucoup. Ils étaient tous les deux d'admirables stylistes. Je trouvais belle l'idée qu'une romancière succède à un grand érudit des pierres.»
Entrer en littérature comme on entre en religion
Le talent littéraire de Marguerite Yourcenar allait de pair avec sa vision propre de l'écriture. Comme elle aimait à le rappeler, elle était «entrée en littérature comme on entre en religion». Pour Jean d'Ormesson, le mot qui représente le mieux cet écrivain est «élévation» : «elle était quelqu'un de très élevée, avec une exigence éthique, morale, littéraire. Ce n'était pas une personne qui prenait la littérature à la légère. Elle voulait véritablement la servir.»
- «Elle avait une écriture très tendue, ferme, sans compromis».
Marguerite Yourcenar est finalement élue au fauteuil de Roger Caillois le 6 mars 1980. Elle est reçue sous la Coupole de l'Institut de France le 22 janvier 1981 par son parrain Jean d'Ormesson. Quel souvenir ce dernier garde- t-il de l'événement ?
- «Ce fut une journée très importante, la presse était incroyablement agitée jusqu'en Amérique puisque Marguerite Yourcenar vivait aux Etats-Unis.»
Les grands combats font-ils l'histoire ? Au moins la renouvellent-ils. Le 18 mars 2010 une femme est à nouveau reçue sous la Coupole de l'Institut de France par Jean d'Ormesson. Son nom est Simone Veil.
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