La fin de vie et l’euthanasie
Le Pr André Vacheron expose dans cette séance académique les raisons pour lesquelles, selon lui, l’euthanasie ou, comme l’on dit aujourd’hui, l’aide médicale pour mourir, n’est pas une solution acceptable alors que le développement des soins palliatifs autorise désormais une fin de vie sans souffrance.
Devant l'Académie des sciences morales et politiques réunie en séance le lundi 31 janvier 2011, le Pr André Vacheron a exposé sa conviction relativement à la délicate question de la fin de vie et de l'euthanasie. Il a commencé par rappeler combien les conditions de la mort ont changé depuis un siècle. La fin de vie est souvent assombrie par diverses maladies et handicaps et l'on voit un accroissement de la dépendance. D'où les peurs qui naissent, peur de souffrir, peur d'un acharnement inutile, peur de la mort. "A la question largement débattue, faut-il dire toute la vérité au malade en péril de mort ? je réponds sans hésitation que si dire toute la vérité es tdans le principe une obligation formelle, il ne faut pas la révéler quand le malade n'est pas en état de la recevoir et qu'elle peut le déserpérer. Il ne faut en dévoiler que l'infime partie qui ne ferme aucune porte. Il faut combatte l'angoisse et toujours laisser l'espérance. Comme l'a écrit Bernanos dans "Le journal d'un curé de campagne": "on n'a pas le droit de jeter bas, d'un seul coup, d'une seule parole, tout l'espoir d'un homme".
Puis le Pr Vacheron rappelle la définition précise de l'euthanasie : un acte qui provoque la mort d'un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie. Elle est aussi fréquemment qualifiée de mort douce. Il évoque rapidement l'utilisation du mot euthanasie au fil de l'histoire, de Platon à Bacon.
Cinq types d’action médicale sont possibles en fin de vie. En allant de ceux qui posent le moins de problèmes à ceux qui en posent le plus, ce sont :
1) L’administration d’analgésiques à doses élevées et croissantes qui peuvent accélérer le décès ;
2) La limitation ou l’abstention des traitements actifs ou de réanimation ;
3) L’arrêt des dispositifs de survie artificielle : par exemple le débranchement d’un respirateur ;
4) L’aide au suicide assisté ;
5) L’injection d’une substance létale.
- Les trois premières modalités ont été qualifiées d’euthanasie passive. En fait, il ne s’agit pas véritablement d’euthanasie puisque l’objectif est de soulager le malade et de laisser évoluer spontanément vers la mort une maladie incurable ;
- les deux dernières modalités sont parfois qualifiées d’euthanasie active, ce qui constitue un pléonasme puisque l’euthanasie est un acte délibéré pour provoquer la mort.
- Réfuter l’emploi du mot euthanasie quand il s’agit du refus d’une thérapeutique déraisonnable est couramment taxé d’hypocrisie : débrancher un respirateur ou faire une injection létale, c’est pareil pour les défenseurs de l’euthanasie. Non ce n’est pas pareil : le refus d’obstination thérapeutique déraisonnable va laisser survenir la mort naturellement. Le médecin assume la limite de son pouvoir médical alors que dans l’euthanasie il l’utilise pour arrêter la vie. Soigner et faire mourir ne sont pas des gestes équivalents.
- Deux autres définitions prennent en compte la volonté de la personne concernée :
- L’euthanasie est dite involontaire ou mieux imposée quand elle est subie par un sujet qui n’a rien demandé. Décidée par un tiers, un soignant ou un proche de la famille, c’est un homicide inacceptable et illégal, c’est un meurtre avec préméditation.
- Par contre, l’euthanasie est dite volontaire ou mieux réclamée lorsqu’elle fait suite à la demande expresse et réitérée du sujet lui-même. Quand elle est seulement facilitée par un tiers qui met à disposition de la personne des conseils ou des médicaments, il s’agit d’un suicide assisté, médicalement ou non.
La question posée est celle de la responsabilité morale de la personne qui a aidé au suicide. Le suicide n’est plus incriminé depuis 1791 et la complicité est inexistante. C’est la faille juridique dans laquelle les partisans de l’euthanasie s’engouffrent pour défendre leur revendication. La jurisprudence française a cependant sanctionné l’assistance au suicide sous la qualification de non assistance en personne en danger.
"En France, l'euthanasie, rappelle-t-il, est assimilée à un assassinat s'il y a administration d'un traitement intentionnel pour tuer..."
Puis, il aborde les trois principes éthiques sur lequel reposerait la légitimité de l'euthanasie selon ses tenants :
- le respect de la qualité de la vie
- le respect de l'autonomie
- le respect de la dignité humaine
Les défenseurs de l'euthanasie prennent d'ailleurs l'acharnement thérapeutique comme cible privilégiée. Mais, ajoute-t-il "L'euthanasie suscite un dilemme moral : même pour de bonnes raisons, essentiellement compassionnelles, on demande à autrui de transgresser l'interdit de tuer... "
Pour que l'information de ses auditeurs soit complète, il cite précisément les articles du code pénal, ceux du code de déontologie médicale. Puis il n'omet pas d'évoquer les cas fort douloureux mais tout à fait exceptionnels de Vincent Humbert (tétraplégique) et de Chantal Sébire.
Sa communication développe longuement la loi Léonetti de 2005 en insistant sur les droits qu'elle offre au médecin et au patient.
Puis il aborde le développement et l'intérêt des soins palliatifs en milieu hospitalier et à domicile, appelant le travail du docteur Maurice Abiven qui fut le premier en France à développer une unité de soin palliatifs (à Paris, à l'Hôpital de la Cité Universitaire, en 1987).
Enfin, il passe en revue les législations de plusieurs pays ayant autorisé l'euthanasie (mais en donnant de nombreuses précisions nécessaires et en soulignant les dérives observées) : aux Pays Bas, en Belgique, en Suisse, au Luxembourg, dans l'Etat d'Orégon aux Etats Unis, avant d'évoquer la législation en France.
Sa position ? Il n'est nul besoin de légiférer.
Sa conclusion ? "L'euthanasie n'est pas une alternative aux soins palliatifs qui doivent être délivrés à un agonisant. Ce peut être une exception marginale dans des situations extraordinaires, non l'inverse. La loi a vocation à se fonder surs des pratiques, non sur des exceptions. Il n'existe aucun droit à la mort mais un droit de la mort. La dignité de l'homme est de l'accepter à son heure, celle du soignant de l'accompagner sans la provoquer".
Pour aller plus loin :
- Lire l'intégralité du texte de la communication du Pr Vacheron sur le site asmp.fr
- Ecouter son "Point de vue" sur ce même sujet : Point de vue : Pr André Vacheron sur l’euthanasie
- Un observatoire national pour la fin de vie présenté par André Vacheron
et entendre son discours sur "le doute en médecine" lors de la séance Le doute, thème de la séance de rentrée solennelle 2010 des cinq académies
- Avec le Dr Régis Aubry, président de l'Observatoire national de fin de vie : Nouvelles questions sur la mort aujourd’hui : Ethique et Médecine (1/2) et aussi Nouvelles questions sur la mort aujourd’hui : Mourir à l’hôpital (2/2)
- Sur le coma : Le coma, cet inconnu (1/2) et Le coma, cet inconnu (2/2)
- Avec le Dr Jean Léonetti : Jean Leonetti : il a conduit la mission sur la fin de vie (émission de 2007)
- et aussi avec Godefroy Hirsch Qu’en est-il de la loi Léonetti (22 Avril 2005) sur les droits des malades en fin de vie ? (émission de 2009)
- et le cancérologue Pr Lucien Israël : Regard sur l’euthanasie, dangers et dérives