Philosophie des sciences : une philosophie de la Nature ?

par Bertrand Saint-Sernin, de l’Académie des sciences morales et politiques
Bertrand SAINT-SERNIN
Avec Bertrand SAINT-SERNIN
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Après avoir étudié, dans une première chronique, les rapports entre nature et artifice, être revenu, dans sa deuxième intervention, sur la notion de causalité et avoir évoqué, dernièrement, les relations entre la biosphère et la technosphère, Bertrand Saint-Sernin, de l’Académie des sciences morales et politiques, tente de répondre aujourd’hui à une question intrinsèque à la philosophie de sciences depuis ses origines : à quelles conditions celle-ci peut-elle prendre la forme d’une philosophie de la nature ?

«La première condition serait que la cosmologie et l’anthropologie s’unifient, c’est-à-dire que, comme Critias le demande à l’astronome du Timée (27 a), on traite dans le même discours de l’origine de l’univers et de la nature de l’homme. Cet idéal semble avoir été celui de Pascal, qui ne dissocie pas le discours ordinaire de celui du géomètre, à qui la finesse est indispensable : « et les esprits fins seraient géomètres s’ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés de géométrie ».


Or, dès l’Antiquité, la réflexion sur l’univers prend la forme mathématique. Cela signifie que l’anthropologie, qui privilégie la forme dramatique (celle de la littérature et de l’histoire), doit tendre vers la forme mathématique (dont les mathématiques sociales fournissent une esquisse). Comme il n’y a pas d’évidence irréfutable que les mathématiques auront le dernier mot, il faut « voter », dit Platon dans le Timée (51 d), que les nombres, les formes géométriques, les relations causales, etc., font partie du réel au même titre que ce qui se voit, se sent, se touche, etc.


Mais une telle unification de la cosmologie et de l’anthropologie n’est envisageable que si l’esprit accède – au moins dans certains domaines – aux causes qui produisent les êtres et les choses, c’est-à-dire aux processus naturels.
Cela implique que le réalisme ne soit pas une illusion, mais un programme scientifique raisonnable. Le choix entre le positivisme et le réalisme est donc une décision majeure : il commande notre conception de la réalité. Si le pari de Cournot et de Whitehead en faveur du réalisme est gagnable, cela veut dire que la philosophie des sciences peut prendre la forme d’un philosophie de la nature et que, selon la formule de Goethe, nous avons accès à « l’atelier divin de la création ».


Pour qu’un tel but ne reste pas inaccessible, il faut que le hasard soit maîtrisé par la science et que sa nature soit comprise. Or ce n’est qu’à partir du milieu du XVIIe siècle que Fermat et Pascal découvrent comment modéliser mathématiquement les jeux de hasard.
En bientôt quatre siècles, de nouveaux champs ont été conquis : au cours du XVIIIe siècle, le duel, qui oppose deux joueurs intelligents, et le vote ; au XIXe siècle, les décisions des jurys prises à la pluralité des voix, les jeux non-coopératifs, certains problèmes économiques de concurrence et d’équilibre, la mécanique statistique ; au XXe siècle, la théorie des jeux généraux, la statistique économique, la microphysique.

Reste à déterminer si le hasard domestiqué par la science résulte du défaut d’information de nos esprits finis ou si la contingence fait partie de la nature. Les sciences de la nature et, notamment, la biologie tendent à donner à l’idée de hasard une dimension ontologique.» (...)








- Retrouvez l'intégralité de l'intervention de Bertrand Saint-Sernin sur le sujet «La philosophie des sciences peut-elle se présenter comme une philosophie de la nature ?» :



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