Littérature comparée et voyages : " Mon enfant, ma soeur, songe à la douceur d’aller là-bas... " (8/11)
Les voyages, volontaires ou involontaires, qui sacrifient à la mode ou cèdent à la nécessité, ont suscité une vaste littérature de l’exotisme.
Le comparatisme en voyage, les écrivains voyageurs, les liens entre littérature et géographie, sont des aspects essentiels de l’ensemble de la littérature comparée.
Écoutez Pierre Brunel, Francis Claudon et Jean-Robert Pitte, de l’Académie des sciences morales et politiques, évoquer la littérature de voyage : voyages réels ou intellectuels, découvertes de « l’ailleurs » et méditations sur la condition humaine.
La littérature européenne, que nous avions présentée dans notre précédente émission, Littérature comparée : existe-t-il une littérature européenne ? (7/11), nous conduit, aujourd’hui, auprès des écrivains voyageurs en Europe. On pense « au grand tour », au voyage romantique et, plus près de nous, au Barnabooth de Valery Larbaud célébrant au début du XXe siècle les paquebots, les trains de luxe, les palaces composites dans les villes d'Europe qu'il aime.
Sans oublier le livre de Marie-Madeleine Martinet sur Le voyage d'Italie dans les littératures européennes, PUF, 1996.
Mais il faut élargir au monde entier, de l'Antiquité à nos jours (Hérodote, Pline, Saint Paul, Marco Polo, Léon l'Africain).
Pour l'époque contemporaine, nos trois invités évoquent -entre autres- Claudel, Loti, Cendras, Roland Barthes, Rimbaut, Dominique Fernandez->http://www.canalacademie.com/idm855-+-Dominique-Fernandez-+.html?var_recherche=Dominique%20Fernandez], [Erik Orsenna->http://www.canalacademie.com/idm1014-+-Erik-Orsenna-+.html?var_recherche=Erik%20Orsenna], [Danièle Sallenave, Sylvain Tesson ( Éloge de la vie vagabonde, 2007, Pocket) et Nicolas Bouvier (Chronique japonaise, 1989, coll.Folio).
Il s'agit de poèmes, récits, lettres, notes, carnet de voyage, journal intime, romans, recueils à thèmes économiques et géographiques, etc.
Le comparatisme en voyage
Des ouvrages fondamentaux touchent aux échanges internationaux, à la psychologie des peuples, à la constitution de mythes d'un nouveau genre, au renouvellement de la pensée d'un écrivain ou des idées-forces d'une littérature.
Pierre Brunel se doit de citer, pour le XIXe siècle, Xavier Marmier, Jean-Jacques Ampère, et pour le XXe siècle Etiemble (Retours du monde, Gallimard, 1970) et Charles Dédéyan (Le critique en voyage, ou esquisse d'une histoire littéraire comparée,1985, rééd. Didier, 1998.
Voir, aussi, l'article de Francis Claudon, «Charles Dédéyan ou le critique en voyage », dans la Revue de littérature comparée, juillet-septembre 2000, Relire les comparatistes français, p.391-398).
Pierre Brunel précise qu'Etiemble évoque le voyage réel, alors que Charles Dédéyan réfléchit sur le voyage intellectuel -même s'il était, lui-même, un grand voyageur.
La littérature de voyage
Sans les grands auteurs anciens, la littérature de voyage n'aurait pas pris un tel essor à partir de XVIe siècle.
La sensibilité à « l'ailleurs », aux autres civilisations, est une source d'inspiration : à partir de quel moment, dans quelles conditions, pour quelles raisons, ces voyages et leurs relations deviennent-ils un « objet littéraire » ?
Pour Francis Claudon, auteur du Voyage Romantique (éd. Philippe Lebaud, 1986), ça se passe au XVIIIe siècle.
Il faut faire une différence entre souvenir textuel et souvenir littéraire. Le déplacement dans l'espace est le complément indispensable de la formation intellectuelle et le fameux « grand tour » est une formation avant tout humaniste.
Diderot écrivait « on fait le grand tour pour combattre les vapeurs anglaises ». Pour combattre le spleen dû au climat brumeux du nord de l'Europe, on se transporte et on médite sur la condition humaine ; c'est un voyage intérieur.
On passe donc de la géographie à la philosophie, du pittoresque à la réflexion et à la littérature, au vrai sens du terme.
Byron, Shelley, au début du XIXe siècle symbolisent ces écrivains voyageurs.
Jean-Robert Pitte précise, alors, qu'à la fuite du spleen, il faut ajouter la recherche des racines des civilisations gréco-latine et chrétienne :
« À cet endroit se rattache toute l'histoire du monde et je date une seconde naissance, une vraie régénération, du jour où j'ai foulé le sol de Rome » Goethe, dans son journal le 3 décembre1786, le soir de son arrivée à Rome.
Littérature et géographie
Jean-Robert Pitte, président de la Société de géographie, rappelle les liens profonds tissés entre la Société de géographie – créée sous la Restauration- et la littérature.
Chateaubriand fut un des premiers présidents de cette Société et bien d'autres grands écrivains voyageurs lui ont succédé.
Jean-Robert Pitte, qui fut à l'origine du colloque de la Société de géographie sur « Rimbaud géographe » en octobre 2004 (actes du colloque publiés en janvier 2006 dans la Revue de la Société de géographie), fait l'éloge de deux écrivains voyageurs contemporains : Sylvain Tesson et Nicolas Bouvier.
Après avoir évoqué, d'une part, le vin et ses implications littéraires et, d'autre part, la place considérable du Japon dans notre littérature, Jean-Robert Pitte et Francis Claudon laissent la parole à Pierre Brunel.
Ce dernier, pour conclure, présente ce qu'il appelle « la new littérature comparée » et les voyages.
En savoir plus :
Pierre Brunel fut professeur de Littérature comparée à l’Université de Paris IV-Sorbonne et dirigea le département de Littérature française et comparée de 1982 à 1989. Il est l’actuel directeur des Cours de Civilisation Française de la Sorbonne. Il fonda le Centre de recherche en Littérature comparée dont il fut le premier directeur. Il est le président du Collège de Littérature comparée qu’il a fondé en 1995. Membre de l’Association internationale de littérature comparée, il est le fondateur et le directeur de plusieurs collections : « Recherches actuelles en littérature comparée », « La Salamandre » et « Musique et musiciens » avec Xavier Darcos.
Qu'est-ce que la littérature comparée ? Pierre Brunel, Claude Pichois, André-Michel Rousseau, aux éd. Aramand Colin, 1996.
Francis Claudon, professeur à l'université Paris-Est Créteil, et à l'université de Vienne en Autriche, spécialiste du Romantisme, est l’auteur, entre autres ouvrages, du Voyage Romantique, des itinéraires pour aujourd'hui aux éditions Philippe Lebaud, 1986.
Jean-Robert Pitte membre de l'Institut, géographe, spécialiste du paysage et de la gastronomie, est président de la Société de géographie, président de l'Association pour le Développement du Festival international de géographie (FIG) et auteur de nombreux ouvrages de géographie culturelle parmi lesquels : Le désir du vin à la conquête du monde, éd. Fayard, 2009
Pauses musicales :
« L'invitation au voyage » de Baudelaire interprétée par Léo Ferré
« Dans les Steppes de l'Asie centrale » de Borodine
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